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Anna Karénine [Léon Tolstoi]

Publié le 19 décembre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,
Vous avez pu remarquer que depuis deux semaines la publication des chroniques se fait moins fréquemment sur le blog. Mais j'avais une bonne raison puisque j'étais en train de lire un gros pavé de plus de 800 pages : Anna Karénine ! Il ne m'aura pas fallu moins de trois semaines pour en venir à bout mais je peux enfin rayer ce classique de ma liste de livres à lire. Je vous laisse découvrir mon avis à son propos sans plus attendre :

Anna Karénine [Léon Tolstoi]La quête d'absolu s'accorde mal aux convenances hypocrites en vigueur dans la haute société pétersbourgeoise de cette fin du XIXe siècle. Anna Karénine en fera la douloureuse expérience. Elle qui ne sait ni mentir ni tricher - l'antithèse d'une Bovary - ne peut ressentir qu'un profond mépris pour ceux qui condamnent au nom de la morale sa passion adultère. Et en premier lieu son mari, l'incarnation parfaite du monde auquel il appartient, lui plus soucieux des apparences que véritablement peiné par la trahison d'Anna. Le drame de cette femme intelligente, sensible et séduisante n'est pas d'avoir succombé à la passion dévorante que lui inspire le comte Vronski, mais de lui avoir tout sacrifié, elle, sa vie de femme, sa vie de mère. Vronski, finalement lassé, retrouvera les plaisirs de la vie mondaine. Dans son insondable solitude, Anna, qui ne peut paraître à ses côtés, aura pour seule arme l'humiliante jalousie pour faire vivre les derniers souffles d'un amour en perdition. Mais sa quête est vaine, c'est une "femme perdue".

Ce qu’il y a de remarquable dans ce roman, c’est d'abord les caractères des personnages imaginés par Tolstoi. Ce dernier nous propose en effet des profils psychologiques très complexes. Les caractères des personnages sont riches et fouillés, ce qui ne manque pas de susciter des réactions chez le lecteur : on les trouve tantôt attachants, tantôt agaçants, drôles, ennuyants…
Le personnage d’Anna est d'ailleurs incroyable et réunit tout ce qu’il faut pour être une héroïne hors du commun et passionnante à suivre. Son destin est digne de celui d’une héroïne tragique prise entre ses désirs, ses passions et ses devoirs, ce qui fait d'elle un personnage très attachant. Tout chez elle fascine :
« … Kitty, rougissante et quelque peu étourdie, débarrassa Krivine de sa traîne et se mit en quête d’Anna. Celle-ci n’était point en mauve, comme l’aurait voulu Kitty. Une robe de velours noir très décolletée découvrait ses épaules sculpturales aux teintes de vieil ivoire et ses beaux bras ronds terminés par des mains d’une finesse exquise. Une guipure de Venise garnissait sa robe ; une légère guirlande de pensées était posée sur ses cheveux noirs sans postiches ; une autre, toute pareille, fixait un nœud de dentelles blanches au ruban noir de la ceinture. De sa coiffure, fort simple, on ne remarquait guère que les courtes boucles frisées qui s’échappaient capricieusement sur la nuque et les tempes. Un rang de perles fines courait autour de son cou ferme comme de l’ivoire. » p.92
Etonnamment, le Comte Vronski est le personnage que j’ai préféré. J'ai détesté le personnage stupide et puéril du début du roman, mais j'ai fini par bien l'apprécier et par le trouver assez attachant. C'est selon moi un des personnages qui évolue le plus au cours du livre, et c'est pour ça que je l'ai trouvé intéressant.
Les dernières pages du livre sont d'ailleurs très cruelles envers lui et n'ont fait que renforcer mon attachement pour lui. Après la mort d’Anna, il semble à la fois oublié et désemparé. Les rares lignes qui lui sont consacrées nous montrent un homme dans un profond désespoir. Il m'a d'ailleurs un peu fait penser à Adrien dans Belle du Seigneur (en légèrement moins pathétique peut-être) !
J’ai plutôt bien aimé Kitty. J’ai trouvé sa jeunesse touchante et qu’il était facile de se reconnaître dans les erreurs qu’elle commet.
A l’inverse, celui que j’ai le moins aimé est Lévine. Je reconnais que c’est probablement le personnage le plus riche et le plus complexe du livre. Il se pose beaucoup de questions sur ses valeurs, sa foi, l’amour, le sens de la vie, etc., des questions essentielles et dans lesquelles chacun d’entre nous peut se retrouver. Malgré ça, je l’ai quand même trouvé assez pénible… il est tellement dans la réflexion et dans l’introspection qu’il ne passe jamais à l’action et reste finalement dans une situation qui ne lui convient pas. Je ne lui ai pas trouvé beaucoup de courage ! Alexis Alexandrovitch, le mari d’Anna, est aussi un personnage assez complexe mais je suis plutôt indécise à son sujet. D’un côté je l’ai pris en pitié et me suis sentie solidaire de sa souffrance mais de l’autre, je l’ai trouvé fade et sans relief. C’est quelqu’un qui ne fait pas de vague et qui ne m’a pas transportée. J’ai eu de la compassion pour lui à cause de sa situation, mais ça aurait été la même chose si ç’avait été un autre homme.
Enfin, Stéphane Arcadiévitch était selon moi absolument ridicule mais en même temps très drôle. C’est le personnage qui m’a fait le plus rire puisqu’il a un caractère très enjoué, bon enfant, est toujours de bonne humeur… En revanche, j’ai trouvé que c’était aussi le plus bête.
Anna Karénine [Léon Tolstoi]
La lecture d’Anna Karénine m’a également permis de mieux découvrir le style de Tolstoï, et je dois dire que j’ai trouvé certains passages vraiment incroyables, notamment le début avec l’apparition du personnage de Stéphane Arcadiévitch : la description du personnage est géniale et m’a beaucoup fait penser au début de Madame Bovary. A l’instar du roman de Flaubert qui ne s’ouvre pas sur l’héroïne éponyme mais sur Charles Bovary, le roman de Tolstoï s’ouvre sur Stéphane Arcadiévitch (le frère d’Anna). Il est tourné en ridicule par l’auteur et est décrit comme un véritable idiot :
« On n’aimait pas seulement Stéphane Arcadiévitch à cause de son aimable caractère et de son incontestable loyauté. Son extérieur séduisant, ses yeux vifs, ses sourcils et ses cheveux noir, son teint d’un rose laiteux, bref toute sa personne, exhalaient je ne sais quel charme physique qui mettait les cœurs en joie et les emportait vers lui irrésistiblement. « Ah ! bah ! Stiva ! Oblonski ! le voilà donc ! » s’écriait-on presque toujours avec un sourire joyeux quand on le rencontrait ; la rencontre avait beau ne laisser que des souvenirs plutôt vagues, on se réjouissait tout autant de le revoir le lendemain ou le surlendemain. » p.19
Je trouve cet extrait fabuleux, on sent à la fois le talent de Tolstoï dans la description et dans l'art du portrait, et on sent aussi l'humour et l'ironie qui se dégage de son écriture. La façon dont il décrit Stéphane me fait vraiment penser à Charles Bovary et à ses « conversations plates comme des troittoirs de rues » : j'adore !
Outre sa façon de dresser les portraits de ses personnages, il y a autre chose que j’ai beaucoup aimé chez Tolstoï et qui a failli me rendre dingue, c’est la façon dont il enchaîne les événements et agence les différentes scènes. A chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important, un événement crucial et palpitant (quand Anna annonce son infidélité à son mari par exemple), cela se passe en fin de chapitre, et Tolstoi change ensuite complètement de sujet dans les chapitres suivants puisqu'il va se focaliser sur un autre personnage et donc changer d'intrigue en quelque sorte ; en tant que lecteur, on est donc soumis à des ascenseurs émotionnels assez éprouvants ! Vous savez, c'est comme quand un épisode d'une série à suspens se termine sur un revirement de situation énorme et qu'on doit attendre la saison suivante pour en savoir plus...
Du coup, le rythme du récit est assez particulier. On passe de passages palpitants à mourir à des passages qui le sont beaucoup moins (dans lesquels Lévine disserte sur sa volonté d'aller faucher avec les paysans par exemple...). L'engagement du lecteur dans le livre est donc un peu en dents de scie, je trouve. Je n'ai pas vu les pages passer par moment alors qu'à d'autres je luttais pour ne pas bailler.
Je ne vais pas vous mentir : j'étais un peu lassée par moments, et même ennuyée des passages de réflexion et de discussion sur la politique, l'éducation, l'agriculture, etc. Certes, c'est intéressant et ça nous en apprend beaucoup sur la Russie de l'époque mais ce n'est pas ce que j'attends d'un livre. En revanche, je pense que ça fait partie du charme du livre ; lire Tolstoï, c'est aussi passer par des passages comme ça. On y sent la lassitude, la lourdeur, les émotions en sont d'autant plus variées, et je pense surtout que l'ennui est un sentiment parfois nécessaire pour apprécier ce qu'il se passe à côté.
Et au pire, si on n'en peut plus, on a toujours le droit de sauter des pages ! ;-)
Enfin, je dois dire que j’ai adoré les derniers chapitres de la vie d’Anna, quand elle perd la tête et devient folle de jalousie et de suspicion avant de se jeter sous le train. La description de ses pensées dans le fiacre sont dingues, une scène m’a rarement fait autant d’effet, je crois que je m’en souviendrai pendant très longtemps.
De même, la fin du roman m’a fait beaucoup d’effet. Après le suicide d’Anna, Tolstoï enchaîne directement avec les préoccupations de Serge Ivanovitch à propos de la sortie de son livre, et la victoire des Russes contre la Turquie embrase les foules, comme si rien ne s’était passé. Stephane Arcadiévitch, le frère d'Anna, apparaît même comme incroyablement enjoué ! Une toute petite tristesse se fait à peine sentir sur son visage :
« Une teinte de tristesse se peignit sur son visage, mais quand, au bout de quelques instant, il pénétra en redressant ses favoris dans la pièce réservée où attendait le comte, il ne songeait plus aux larmes qu’il avait versées sur le corps inanimé de sa sœur et ne voyait en Vronski qu’un héros et un vieil ami. » p.815-816

Anna Karénine [Léon Tolstoi]
Evidemment, le thème principal de ce roman est l’amour. Chaque personnage en a une vision différente : Daria méprise son mari mais ne peut se résoudre à le quitter, Kitty a les rêves et les illusions de la jeunesse et illustre parfaitement ce que peut être un « premier amour ». Anna représente à la fois l’amour maternel et l’amour passionnel. Levine est enfin celui qui s’interroge sur l’amour, l’homme brisé qui veut s’en détourner mais qui finit pourtant par y croire de nouveau.
Mais ce dont parle surtout ce roman selon moi, c’est de l’individu. Ce qui est au cœur du débat, c’est la prise de décision, l’autonomie, la faculté d’assumer ses choix et de s’affirmer pour être heureux. Tous ces personnages subissent leur vision de l’amour qui les empêche d’être heureux : Daria ne peut se résoudre à divorcer mais ne supporte plus son mari, Kitty attend que son prince vienne lui déclarer sa flamme et tombe finalement de très haut, Lévine souffre de n’être pas aimé en retour… A contre-courant de tous ces personnages, Anna prend la décision de s’affirmer et de ne pas laisser les conventions sociales lui dicter sa conduite ou lui imposer une idée préconçue du bonheur. En faisant des choix et en passant à l’action, elle prend ainsi le risque d’être heureuse ou malheureuse, elle affirme son individualité et prend le risque de retomber de plus belle. Comme si Tolstoï avait voulu nous dire qu’il n’y avait rien de plus beau et de plus noble que de vouloir exprimer son individualité et saisir son droit au bonheur, mais rien de plus terrible non plus.
Enfin, je crois qu’une des principales raisons pour lesquelles j’aime ce roman, c’est parce qu’il reprend certains codes de la tragédie classique : une héroïne tragique tiraillée entre ses devoirs et ses envies, soumise à ses passions au point de sombrer dans la folie, et dont le destin ne peut s’accomplir que dans la mort.Ce qui m’a également plu, c’est les parallèles que l’on peut faire avec des romans classiques français : l’incipit est similaire à celui de Flaubert dans Madame Bovary et le roman m’a beaucoup fait penser à La Princesse de Clèves aussi, tant pour la « scène de l’aveu » commune qu’ils ont que pour leur façon de mettre l’héroïne et l’individu au cœur du sujet.
En conclusion, c’est un roman que j’ai beaucoup aimé et où j’ai trouvé beaucoup de sensibilité. Les mots de Tolstoï sont touchants et nous donnent l’impression qu’il a beaucoup de tendresse et d’affection pour son héroïne. Les thèmes abordés par Tolstoï sont universels et c’est très facile en tant que lecteur de se reconnaître dans l’un ou l’autre des personnages. Ce roman n’est pas un coup de cœur mais va sûrementspoiler devenir un de mes romans préférés de tous les temps. Je parle au futur parce que certains livres continuent de vivre et de grandir en moi bien après la lecture et que j’ai souvent besoin de laisser le temps faire son travail.Bref, Anna Karénine est un livre incroyable et qui va certainement me marquer pendant longtemps.
Et vous, avez-vous déjà lu ou avez-vous envie de lire Anna Karénine ?Est-ce que vous avez parfois besoin de temps pour bien apprécier un livre ? Vos romans préférés sont-ils des coups de cœurs immédiats ou vous êtes-vous rendus compte plus tard que ces livres vous avaient marqués plus que vous ne pensiez ?
*Ce livre fait partie du Baby challenge classique

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