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Quand un marin-pêcheur fait la fête...

Publié le 21 décembre 2014 par Dubruel

d'après LE PORT de Maupassant

Le Nesle venait d’accoster.

Dans les ruelles, les marins enfiévrés,

Sous les ordres de Jean Dumontet,

Roulaient les épaules, sifflaient

Et cherchaient un débit de boissons.

Une fille leur disait :

-« Venez par ici, jolis garçons ! »

Une autre poussait

Vers sa porte le gros Bergas.

« Non, pas là, mon gars. »

Lui intima Dumontet.

Et en quelques secondes,

Le capitaine pressait son monde

Juste à côté,

Dans une maison coquette.

Là, les matelots en goguette,

D’amour et de vin se rassasiaient.

Leurs soldes y passaient !

Avec les filles, ils montaient au premier

Puis, pour boire, redescendaient.

Une compagne posée sur chaque genou,

Les marins gueulaient comme des fous.

Ils fumaient et chantaient

À pleins gosiers.

Jean Dumontet, lui,

Serrait une fille contre lui :

-« Dis-moi,

Y a longtemps qu’ t’es ici ? »

-« Six mois »

-« Aimes-tu c’te vie ? »

-« Derrière l’ comptoir ou d’vant

On s’ fait d’ l’argent ! »

-« D’où t’es ? »

-« De Douai.

Et toi, tu viens de loin ? »

-« Ah oui ! Dieu est témoin.

J’ te crois, ma belle. »

-« Par hasard, t’aurais pas croisé le Nesle ? »

-« Pas plus tard qu’ l’aut’ semaine. »

Elle pâlit : « Vrai ? C’est ma veine.

Tu mens pas ? Alors, sais-tu

Si Jean Dumontet est toujours d’sus ? »

Le marin fut surpris : -« Tu l’ connais ? »

-« Pas moi ! J’ai une copine qui l’ connait. »

-« Qué qué ’l y veut c’te femme ?

Où j’ peux t’y la voir, c’te femme ? »

-« Quoi que tu l’y dirais ? »

-« J’y dirai…j’y dirai

Qu’ j’ai vu Jean Dumontet. »

-« Comment qu’i’ s’ portait ? »

-« Très bien. »

-« Eh ben,

T’y diras qu’ son père et sa mère

Sont morts, et aussi son frère

…Dont j’ suis la frangine. »

-« Tu n’ s’rais pas Valentine ? »

-« Oh ! C’est toi, Jean !

Moi, j’ai resté, sans argent

Vu que j’ devions les médicaments,

Le docteur et l’enterrement.

Ils sont morts en trois mois.

La typhoïde, en janvier 83.

Moi, toute chagrinée,

J’ trouvai une place d’employée

Chez maît’ Ferry.

Pi, j’ai fauté avec li.

On est bête à seize ans.

Il m’ conduisit à Evreux

Dans un logis miséreux

Au 8 rue Balan.

Et j‘ l’ai jamais r’vu, l’ sauvage !

Pi, ne trouvant pas d’ouvrage,

J’ai dû entrer en maison, ici. »

-« T’à l’heure, tu m’avais donc pas remis ? »

« Non. J’ te croyais mort aussi ;

Et pi, j’ vois tant d’hommes ici ! »

Jean prit la tête de sa sœur

Dans ses grosses mains

Et la câlina jusqu’au matin.

Pour tous deux, ce fut une nuit de pur bonheur.


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