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Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes (1)

Publié le 27 décembre 2014 par Espritvagabond
Note: On devrait lire l'introduction de ce billet, qui trouve son origine il y a plus de deux ans.
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Un mot sur l'austérité.
Il existe des centaines (voire des milliers) d'articles sur le sujet de l'austérité (approche dérivée de l'idéologie politique néolibérale), et des centaines de livres, études et collectifs d'essais de vulgarisation scientifique, je n'ai donc pas la prétention de pouvoir couvrir ce vaste sujet dans un billet de blogue. Par contre, je peux attirer l'attention sur quelques éléments importants, et fournir un première série de pistes de lecture sur le sujet de l'austérité, d'où elle vient, de l'idéologie qui la défend, et de ses impacts sur les pays et les populations qu'elle touche.
Il est très facile de savoir ce qui se passe quand un État applique des politiques d'austérité. Oui, c'est facile, car le Québec est loin d'être le premier à le faire, la pratique existe un peu partout dans le monde, et a été largement utilisée et documentée depuis le début des années 1980. Il suffit donc de voir ce qu'ont données ces politiques pour comprendre ce qui se passera ici si on les applique.
L'austérité (ou rigueur budgétaire, ou ajustements structurels, selon les modes et époques) était une des conditions essentielles de l'aide accordée à des dizaines de pays par le Fonds Monétaire International pendant une période de 30 ans (1980-2010), période et pays sur lesquels il existe aujourd'hui de nombreuses études sur les impacts et résultats de ces politiques. En 2011, lors d'une période de réflexion politique et économique sur ce blogue, j'avais parlé d'un véritable «Laboratoire FMI» et je vous invite donc à lire/relire ce billet pour plus de détails. Plus particulièrement, j'attire votre attention sur la section "Observations sur le "laboratoire" FMI" ainsi que les notes en fin de billet. Plus important encore, lisez quelques-uns de la douzaine d'articles scientifiques que je cite en bibliographie à la fin du billet. ces lectures semblent un minimum pour qui veut comprendre réellement, au lieu de demeurer un ignorant avec des opinions toutes faites.
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Aujourd'hui, l'impact négatif et les effets néfastes de ces politiques sur l'économie et sur les sociétés qui les ont adoptées sont reconnues par tous les scientifiques, incluant les économistes du FMI eux-mêmes. Cette reconnaissance d'une erreur économique qui a duré plus de 30 ans devrait nous alerter de ne pas suivre cette voie, mais il semble que le gouvernement Couillard ne se documente pas et suive bêtement son idéologie. On pourrait croire qu'ils ne sont pas au courant à Québec de ce qui se passe ailleurs dans le monde, mais même Gérald Fillion sur on blogue de Radio-Canada en a parlé... en janvier 2013, soit plus d'un an et demi avant que le gouvernement Couillard n'adopte ces politiques.
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Les politiques d'austérité ont également été la réponse de l'Europe à la crise de 2008 (qui sur le vieux continent, n'est pas encore passée après 6 ans de marasme économique d'ailleurs - voir ce billet-ci où je traitais des raisons pourquoi cette crise nous a moins touchées au Canada et au Québec). Les économistes européens d'aujourd'hui reconnaissent que cette orientation a été catastrophique. Dans un article récent du journal Le Monde, un économiste titre même qu'à cause de ces politiques, l'Europe est au bord du gouffre.
Des exemples de ces effets néfastes?
- Une hausse marquée des suicides en Grèce;
- Une augmentation prononcée de la prostitution en Espagne;
- Un essor marqué du commerce de la drogue en Espagne, en Grèce et au Portugal;
- Un appauvrissement accéléré de toute l’Europe prise dans son ensemble.
Fait particulièrement intéressant, il existe deux contre-exemples issus de la crise de 2008: l'Islande et les États-Unis.
Du côté de l'Islande, plutôt que de sauver la peau des banques avec des fonds publics (donc d'endetter l'État et justifier ensuite des politiques d'austérité), on a poursuivi les fraudeurs (dont certains sont en prison), laissé faire faillite aux banques et spéculateurs et on a investis dans les programmes sociaux pour assurer que les citoyens-déposants ne seraient pas ruinés. Aux États-Unis, on a bel et bien sauvé les banques avec de l'argent public, mais plutôt que de s'attaquer au déficit et à la dette (pourtant faramineuse, voir la section ci-bas), le gouvernement Obama a dépensé et investis massivement en fonds publics pour relancer l'économie.
Dans les deux cas, les résultats sont à l'opposé de ce qui s'est passé dans les pays qui ont adoptés des politiques d'austérité. Dès 2012, le FMI considérait l'Islande comme détenteur de leçons pour les autres états, et plusieurs économistes de partout au monde allaient dans le même sens.
Pour les États-Unis, même si la croissance n'est pas énorme, il y a croissance, accompagnée d'une réduction substantielle du chômage, un état de fait envié par tous les pays d'Europe. Même l'économiste d'extreme-droite Daniel J. Mitchell, toujours opposé aux politiques d'Obama, le reconnaît lui-même: «Je ne suis pas un grand fan de la politique économique d’Obama. Je n’aime pas l’esprit de lutte des classes du Président en matière d’impôts. Je vois d’un mauvais œil ses relances keynésiennes. Et je n’aime pas ses politiques d’étatisation coûteuses telles que l’Obamacare. C’est pourquoi je me moque souvent de son étatisme compulsif. Ceci étant, je partage totalement son point de vue – quoiqu’avec quelques réserves – selon lequel les États-Unis font globalement bien mieux que les autres pays».
Si on veut se documenter sur une étude des effets réels de politiques d'austérité sur la santé des populations, on peut lire The Body Economic: Why Austerity Kills. Au sujet de ce livre, Josée Blanchette rapportait récemment que «Selon les auteurs David Struckler et Sanjay Basu, deux chercheurs en santé publique, l’un à Oxford, en Angleterre, l’autre à Stanford, en Californie, l’austérité augmenterait l’alcoolisme, le nombre d’épidémies, de dépressions, de suicides».
Récemment, une étude démontre même un lien entre les politiques d'austérité imposées aux pays d'Afrique par le FMI, la destruction de leur système de santé publique et l'incapacité de ces systèmes à pouvoir faire face à la récente épidémie d'Ébola. Rappelons que cette épidémie a déjà fait plus de 7500 morts. Cet exemple illustre bien que parfois, les effets néfastes de ces politiques n'apparaissent qu'à long terme dans une société.
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Un mot sur la dette du Québec.
L'argument principal pour instaurer les mesures d'austérité, c'est l'importance de la dette du Québec. On est endetté, il faut laisser moins de dettes à «nos enfants/les générations futures», on est presque comme la Grèce, etc.
Il y a trois choses à dire sur la dette (sur toute dette, en fait, même de l'hypothèque sur votre maison). La première, c'est qu'il n'est pas très grave d'avoir une dette quand on a des actifs, bref, d'emprunter pour investir comme le font tous les gens d'affaires et entrepreneurs. La dette totale est un chiffre qui ne veut rien dire si on ne tient pas compte des actifs (comme la valeur d'Hydro-Québec, par exemple, pour ne nommer que le plus évident que d'autres provinces/états n'ont pas).
La seconde, c'est que peu importe la dette, c'est le niveau d'endettement sur votre capacité de payer qui compte, pour voir si vous êtes dans le trouble ou non. Pour les états, on utilise souvent l'indice de la dette sur le PIB pour mesurer et comparer les dettes des pays et états.
Selon le dernier rapport de l'OCDE sur la question (graphique tiré de l'étude "L'État de la dette du Québec 2014"), le Québec (avec ou sans sa portion de dette fédérale) est en meilleure posture à ce niveau que les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon, les Pays-Bas ou la moyenne des pays de l'OCDE. Il faut aller du côté du Danemark, la Suisse ou la Norvège (par exemple) pour trouver des états mieux placés que le Québec en ce qui concerne leur niveau d'endettement par rapport à leur capacité de payer (À ce sujet, la dette sur PIB des États-Unis est le double de celle du Québec).
Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes (1)
La troisième chose à dire sur la dette du Québec - et c'est ici qu'est illustrée l'importance de la différence entre un État, une entreprise et un individu - c'est que la dette du Québec, émise sous forme d'obligation d'épargne du Québec, est détenue à titre de placements par divers investisseurs, qui font un revenu d'intérêt intéressant sur un placement sans grand risque. Or dans le cas du Québec, on estime que la dette est contrôlée à 29% par le Gouvernement du Québec lui-même ou ses organismes apparentés (comme la Caisse de dépôt et de placement par exemple). On estime en outre à 56% la dette détenue par des intérêts québécois ou canadiens. Autrement dit, non seulement cette dette est entre bonne main, mais elle assure un certain rendement sur les régimes de retraite et autres outils qui sont utiles à maintenir l'économie du Québec. En effet, on estime à seulement 15% la dette probablement détenue hors-Canada (Sources en page 18 du fichier de l'étude en PDF).
En fait, si on veut aller plus loin, on peut lire cet article du professeur de l'UQAM et directeur de recherche Éric Pineault qui souligne que cette saine détention de notre dette ne devrait pas nous pousser à vouloir la rembourser, au contraire!
«Rembourser la dette signifie assoiffer nos régimes de retraite, priver les individus et collectivités de la chance de détenir une partie de leurs épargnes sous la forme d'un investissement dans notre richesse collective. Nous validons le service de la dette [Note de l'EV: les intérêts sur la dette] de la même manière que nous validons les autres dépenses publiques, par le biais de la capture de revenus par l'impôt et les taxes, lesquelles croissent à la même vitesse que l'économie. Donc, finalement, tant que l'économie croit plus rapidement que la dette et le service de la dette, il n'y aucune raison de paniquer. Il ne faut surtout pas rembourser la dette; mieux vaut la refinancer, et ce, pour toujours.»
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Pour comprendre l'enjeu de la dette et cesser de rapporter les inepties qu'on entend souvent de la bouche d'élus ou de commentateurs de droite, lire cette étude de l'IRIS sur les pièges courants et les raccourcis intellectuels à éviter quand on parle de la dette. Vous allez rapidement comprendre que le gouvernement actuel utilise le montant de la dette du Québec pour vous faire peur, sans jamais la mettre en contexte. C'est le proverbial chien qu'on veut tuer et qu'on accuse donc (faussement) d'abord d'avoir la rage.
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Un mot sur les finances publiques.
Afin de justifier les politiques d'austérité, on mentionne également l'état des finances publiques. Si on veut réduire la dette, il faudrait la rembourser, donc faire des surplus, alors qu'actuellement, on réalise des déficits. Il faut donc revenir à l'équilibre budgétaire, au minimum, et au plus vite peu importe les conséquences.
Et la méthode préconisée est évidemment la réduction des dépenses.
Il existe deux volets à tous budgets: les dépenses, certes, mais aussi les revenus. Or le gouvernement Libéral des 12 dernières années (Charest comme Couillard) s'est volontairement privé et se prive encore volontairement de revenus importants.
Rappelons qu'avant l'ère Charest, le Québec faisait des surplus, mais que le gouvernement Charest a éliminé ces surplus et créé un déficit par manque de vision et par soucis électoraliste en réduisant les impôts sans aucun plan d'avenir, privant l'état de revenus importants.
De même, on peut citer la disparition de la taxe sur le capital des banques et grandes entreprises, qui rapportait à l'état québécois 600 millions de $ chaque année. L'économiste Jacques Parizeau rappelle d'ailleurs que « pour les banques, ça ne crée pas une job. Tout ce que ça fait, c’est transférer de l’argent des contribuables aux actionnaires ».
Doit-on rappeler que les banques canadiennes à elles-seules ont réalisées un profit net après impôts de plus de 30 milliards de dollars en 2014? On s'explique mal en quoi ces entreprises parmi les plus profitables au monde avaient besoin de ce cadeau fiscal de la part du Québec si les finances publiques sont dans un aussi mauvais état. Surtout que celles-ci ne crées pas de nouveaux emplois ou investissements avec ces profits, mais les redistribuent simplement à leurs actionnaires. Un exemple parmi les autres, la Scotia qui coupe 1500 postes malgré des profits en hausse de 14%.
Le même raisonnement s'applique aux redevances minières, à l'absence de redevances sur le pétrole qui circule sur nos voies ferrées ou dans nos sols via pipeline et à bien d'autres revenus que l'état refuse de recevoir par idéologie et copinage avec la grande entreprise.
Et on ne parle même pas d'évasion fiscale, un dossier qui ne peut se régler que par des lois fiscales mieux adaptées au monde d'aujourd'hui, donc qui ne peut que se régler par une volonté du gouvernement de le régler. Doit-on s'étonner que le gouvernement Couillard ne parle jamais de ça? Évidemment pas, puisque le Premier Ministre lui-même a utilisé le stratagème pour éviter de payer de l'impôt au Québec.
C'est non seulement le même chien qu'on accuse d'avoir la rage, mais on oublie de mentionner qu'on évite à tout prix de le faire vacciner.
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Enfin, si on admettait qu'il faille absolument couper dans les dépenses de l'état, alors on s'attendrait à ce que ce genre d'exercice soit fait avec honnêteté et que les décisions soient basées sur des études afin de minimiser les impacts néfastes de ces coupes. Or d'une part, on coupe à plusieurs endroits touchant directement le niveau de vie de dizaines de milliers de québécois de la classe moyenne mais on évite de couper chez les très hauts fonctionnaires, les députés ou encore dans les contrats confiés à des consultants privés amis du parti au pouvoir.
On ne coupe pas non plus dans les généreux incitatifs offerts gracieusement aux grandes entreprises (voir le point 2 de ce billet-ci), même si parfois, celles-ci profitent en plus de créativité fiscale pour éviter de payer des impôts ici.
Le dossier des retraites est un bon exemple; alors que l'on force par une loi un changement de financement dans les retraites des employés du système public, on ne touche pas le régime le plus généreux qui existe au Québec, celui des députés eux-mêmes. On repassera pour l'honnêteté du procédé et la justice de l'opération.
L'automne 2014 regorge d'exemples - par centaines - de coupes improvisées et de gaspillage éhonté qui seraient facilement évitées si l'exécutif du gouvernement lui-même se gérait en montrant l'exemple. On dit ne pas avoir le choix de couper les dépenses, mais on engage en double tout un tas de hauts fonctionnaires pour des raisons d'appartenance politique et d'experts du privé qui touchent pourtant déjà de généreuses prestations de l'état (voir par exemple les salaires de quatre employés de la commission de révision des programmes, mandatés pour aller gruger ce qui nous manque, mais payés à eux-seuls plus d'un million de dollars). Et c'est sans parler de la prime de plus de 200 000$ du bon docteur Bolduc, ni de celle de plus d'un million de dollars au départ du bon docteur Barrette (on me dira que cette dernière a été payée à même les cotisation des médecins spécialistes, mais c'est oublier que ces cotisations sont déductibles d'impôts, et donc, ont fait économiser aux médecins spécialistes 50% de ces sommes sur le dos de l'État québécois). Un dernier exemple tiré des jours précédant la publication de ce billet: on apprend la coupe 160 000$ dans un programme alloué aux études québécoises à l'étranger (un programme qui permet de faire briller le Québec et engendre des retombées importantes à moyen et long terme) mais on permet à un simple député nouvellement élu de s'aménager de jolis bureaux au coût de 228 000$. Ce montant est quasi indécent, dépassant le coût moyen d'une maison au Québec, mais le député persiste et signe en mentionnant qu'il a même fait baisser la facture!
Autre exemple frappant: le dossier de la politique sur les médicaments, où des économies potentielles de 3,3 milliards ne sont même pas étudiées par le gouvernement, malgré des appels de certains députés d'opposition à le faire.
Enfin, cerise sur le sundae de la mauvaise gestion des finances publiques, on vient de remarquer que le retour des Libéraux au pouvoir s'est accompagné du retour des extras coûteux sur les contrats publics en construction...
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Après ces constatations sur l'impact de mesures d'austérité, du faux débat sur la dette et des mauvaises approches pour assainir les finances publiques, on est en mesure de questionner la compétence du gouvernement Couillard et de se demander pourquoi il a pris cette direction.
Ces questions seront brièvement abordées dans la seconde partie de ce billet.
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