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29 décembre 1914, ce magistrat se rendit au domicile de cette femme qu’il trouva morte, elle aussi, de privations, à la suite du départ des siens on ne sait où.

Par Cantabile @reimsavant

Nuit calme. Bombardement dans la journée.

- Reims paraît vide. Il est de fait que sa population est si fortement réduite qu’on peut l’évaluer actuellement à peu près au 1/6 de ce qu’elle était avant la mobilisation.

Sur la fin d’août, avant l’arrivée imminente des Allemands, bon nombre de Rémois effrayés à la vue de la triste émigration des Ardennais, avaient fui la ville. Des familles étaient parties en auto et la gare avait été assaillie, pendant une huitaine de jours, par des foules de gens qui ne réussissaient à prendre place dans un train qu’après avoir longtemps attendu devant ses grilles. Dans les premiers jours de septembre, à l’approche de l’ennemi, le génie avait fait sauter les voies du chemin de fer et le CBR ayant lui-même suspendu son service, l’exode s’était trouvé, en grande partie arrêté. Pendant l’occupation allemande, les départs très limités n’offraient plus le même caractère, car seuls étaient autorisés à quitter Reims, par leurs propres moyens, les gens ayant obtenu de la Kommandantur des laissez-passer leur permettant de retourner dans les pays qu’ils avaient abandonnés devant l’invasion – mais après la terrible semaine de bombardement commencée le 14 septembre, aussi tôt la victoire de la Marne est terminée avec l’incendie de la cathédrale et tout un quartier du centre, la plupart des sinistrés de ces pénibles journées ainsi que beaucoup de malheureux Rémois, épouvantés au sortir de leurs caves, s’étaient enfuis en masse et sans but, dans la nuit du 19 au 20, par les routes de Dormans et d’Épernay.

Plus tard, les ruines s’accumulant chaque jour, d’autres habitants se virent contraints d’évacuer leurs immeubles bombardés ou incendiés et de partir d’eux-mêmes, ou sur invitation de l’autorité militaire se réservant une zone d’action. Par la suite, le CBR reprenant un service qui permettait d’atteindre Fismes d’une part et Dormans par Bouleuse, émigration s’amplifia à parti du 5 octobre, surtout par cette dernière ligne.

Pour sortir de la ville, un laissez-passer était nécessaire. Il était délivré d’abord à la mairie, puis, avec certaines formalités, aux bureaux de la place ; il put ensuite être demandé dans les commissariats de police où il était assez facilement obtenu, sur production d’une pièce d’identité, après visa du commandant militaire.

La municipalité, afin de donner pouvoir à nos concitoyens sans ressources de s’éloigner aussi bien que les plus fortunés du danger permanent que constituait le bombardement, avait décidé la délivrance de billets de passage gratuit sur les chemins de fer, pour toutes directions ; elle accordait même un secours de route aux nécessiteux qui en faisaient la demande. Aussi, inévitablement, après chaque arrivée d’obus plus forte qu’à l’ordinaire, y avait-il une affluence, quelquefois considérable, à l’hôtel de ville devant le 1er bureau du secrétariat dont était chef M. Labergne, près de qui se formulaient les demandes de billets de transport, par les personnes désireuses et pressées de quitter la ville. Des numéros devaient chaque fois être distribués, afin que chacun passât à son tour.

Reims, dans ces derniers jours de l’année 1914, après trois mois et demi de bombardements ayant provoqué une partie des départs, ne comptait plus guère que vingt mille âmes. Des rues, des quartiers entiers étaient devenus déserts. Au centre, la population était fortement clairsemée ; on trouvait bien un peu de mouvement autour de l’hôtel de ville et, certains jours, sur la place des marchés, mais notre cité ne présentait plus de véritable animation qu’à la Haubette et environs, où le gros des habitants demeurés sur place s’était fixé temporairement.

- On lit dans Le Courrier d’aujourd’hui, ces nouvelles navrantes :

Drame de la misère.

Samedi matin, M. Cugniat Jean-Baptiste, 54 ans, ouvrier agricole, domicilié avenue d’Épernay 72, a été trouvé mort dans une cave de la rue de Courlancy, où il avait pris refuge. Ce malheureux avait succombé aux privations et au froid.

Dimanche, des voisins surpris de ne plus voir une veuve Michel, 65 ans, demeurant place Drouet d’Erlon 12, firent par de cette disparition à M. le Commissaire de police du 1er canton. Ce magistrat se rendit au domicile de cette femme qu’il trouva morte, elle aussi, de privations, à la suite du départ des siens on ne sait où.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
29 décembre 1914, ce magistrat se rendit au domicile de cette femme qu’il trouva morte, elle aussi, de privations, à la suite du départ des siens on ne sait où.

Mardi 29 – Nuit tranquille. Visite aux S. Desbuquois, M. Kunkelmann. Visite du Colonel. Visite à M. Abelé.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

29 Mardi – Temps plus calme, canonnade légère ; les grosses pièces se turent. Quelques bombes comme toujours. Nuit calme ; le mauvais temps a un peu disparu pour faire place à une petite gelée blanche.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy


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