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Interview de Edouard Esparbes

Publié le 27 mai 2008 par Sia Conseil

Interview de Edouard Esparbes

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Edouard Esparbes
La crise des subprime et son impact sur les banques de financement et d’investissement

Sia Conseil : UBS, banque durement touchée par la crise des subprimes, envisage de se séparer de ses activités de finance et

d’investissement. Certains actionnaires de Citi Group demandent également la séparation des activités de BFI.
Pensez-vous que la crise des subprimes remette en cause le concept de banque universelle ?

E.E : Bien au contraire, la crise que nous traversons en ce moment ne remet pas en cause mais valide le modèle de banque universelle puisque la volatilité de la profitabilité de la banque de financement et d’investissement est compensée par la régularité inhérente aux activités de banque de détail. Aujourd’hui si les banques françaises continuent à faire des profits et à se maintenir mieux que leurs concurrentes anglaises et allemandes, c’est justement parce qu’elles ont su développer un réseau de détail important, notamment à l’étranger. Ce facteur d’expansion permet d’atténuer la crise actuelle.
En revanche, dans le cas d’une banque de financement et d’investissement adossée à une activité de Gestion Privée, la séparation des métiers est-elle souhaitable ? Les clients de la banque de Gestion Privée accordant une grande importance à la réputation de celle-ci quant aux choix de leurs placements, la confiance portée à la banque ne doit pas être affaiblie par les aléas susceptibles de toucher la banque de financement et d’investissement.
Pour résumer, je pense que la banque universelle a beaucoup plus d’atouts qu’une banque spécialisée. Démanteler ce modèle serait une erreur, d’autant plus que ce n’est ni la première ni la dernière fois que survient une crise financière.

Sia Conseil : Mais la crise des subprimes, n’est-elle pas particulière ?

E.E : Bien qu’elle suive une logique traditionnelle similaire aux crises antérieures (elle vient des Etats-Unis et est causée par des spéculations excessives), la crise des subprimes a tout de même quelques particularités qui se distinguent des précédentes.

En Europe, contrairement à ce que beaucoup des gens pensent, il ne s’agit pas d’une crise de défaut mais d’une crise de confiance provoquée par les nouveaux mécanismes de la finance : les banques titrisent leurs crédits auprès d’organismes, qui les transforment en CDO, que les banques rachètent par la suite en les réintégrant en actif dans leur bilan. Aujourd’hui, les banques déprécient leurs actifs, non pas parce que les crédits auxquels ces CDO sont adossés sont irrécupérables mais parce que les CDO deviennent illiquides et perdent leur valeur de marché. Ainsi, c’est la première fois que nous assistons à une crise de cette ampleur alors que la majorité des clients des banques, du moins en Europe, est en bonne santé.

Aux Etats-Unis, par contre, nous pouvons parler effectivement de défauts sur les crédits hypothécaires. Néanmoins, nous constatons aussi des anomalies : les crédits hypothécaires occupent une place limitée par rapport à la ventilation des crédits totaux des banques. Cependant les défauts sur ces crédits hypothécaires ont étonnamment pu provoquer une contagion gigantesque et ébranler toutes les banques.

Les particularismes du marché de la banque de détail en France

Sia Conseil : Après le départ de Fortis et Banco Popular, HSBC vend aujourd’hui une partie de ses banques régionales. Pourquoi les banques étrangères ne parviennent-elles pas à s’implanter en France ? Quelles sont les spécificités françaises qui jouent le rôle de barrières à l’entrée ?

E.E : Le marché français suit les mêmes règles que dans n’importe quel autre pays : pour y réussir et être rentable, il est nécessaire de disposer d’une taille critique. Il existe deux façons d’y parvenir :

  • Tout d’abord, les banques peuvent adopter une stratégie de croissance externe : acheter rapidement les réseaux. Mais se doter d’une importante structure est coûteux, les tickets d’entrée sont rares et extrêmement onéreux.
  • Il existe une autre option pour les banques : une stratégie de croissance organique qui consiste à établir ses propres réseaux. Or il n’y pas de place pour les nouveaux entrants. Le seul moyen d’y parvenir est de lancer un « produit d’appel », c'est-à-dire sur-rémunérer l’épargne ou procéder à la « gratuité des coûts ». Cette stratégie cependant, ne peut être entreprise sur long-terme, compte tenu de son coût. Cette situation donnera alors lieu à un arbitrage : continuer à être peu rentable tout en poursuivant la conquête de client ou bien repositionner sa marque sous risque de perdre les parts du marché conquises auprès de clients très réactifs.

En plus de cette rude concurrence et du coût élevé des barrières à l’entrée, le marché bancaire français est particulièrement réglementé. La réglementation française privilégie et protège fortement les consommateurs, compliquant ainsi la marge de manœuvre des banques opérant sur le territoire français.

En raison de ces difficultés, il est vraiment compliqué pour un concurrent étranger d’établir une banque de détail rentable en France. D’ailleurs, beaucoup ont essayé, mais très peu ont vraiment réussi.

Sia Conseil : A votre avis est-ce que la réforme du Livret A va transformer la concurrence entre les banques françaises ?

E.E : La réforme du Livret A aura un impact sur les liquidités de certaines banques. Mais au-delà du pur aspect financier, il existe des enjeux stratégiques de positionnement pour toutes les banques.
Ainsi, sur le plan marketing, nous allons constater un effet légèrement positif à moyen terme pour les banques nouvellement distributrices puisqu’elles pourront élargir l’éventail de leurs produits. En revanche, les banques qui ont aujourd’hui le monopole sur la distribution de ce produit d’épargne risquent d’avoir un problème d’image puisque dans l’esprit des consommateurs, le Livret A est associé à la Banque Postale, au Groupe Caisse d’Epargne et au Crédit Mutuel. La réforme sur la distribution de ce produit sera donc une occasion pour ces banques de repenser leur stratégie et leur positionnement.

 PARCOURS

Edouard ESPARBES a exercé des responsabilités au plus haut niveau dans la banque en France.

De 1989 à 1993, il a été numéro 2 de la Caisse Nationale du Crédit Agricole. Il a ensuite été pendant plus de dix années Directeur Général de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Ile-de-France et de 2004 à Août 2007, Directeur Général Délégué de Crédit Agricole SA (CASA), en charge de la constitution de la banque d’affaires Calyon issue de la fusion entre le Crédit Lyonnais et le Crédit Agricole Indosuez.

A travers ces fonctions, il a exercé dans tous les domaines de la banque, de l’assurance et de la finance.

Âgé de 63 ans, il est aujourd’hui Directeur Général Honoraire de Calyon, Vice-Président du Conseil de Surveillance du Crédit du Maroc et Président de Attijariwafa Bank Europe.

Par ailleurs, il est administrateur de la COFACE, de la banque Saudi Al Fransi et Senior Advisor chez Sia Conseil.

Sia Conseil

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