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"La Trinité bantoue" de Max Lobe

Publié le 05 janvier 2015 par Francisrichard @francisrichard

Le diplôme n'est pas tout dans la vie. Certes c'est, en principe, un passeport pour l'emploi quand on est jeune et qu'on débute dans la vie active, mais pas toujours, même en Suisse, où le chômage est très faible en comparaison des pays voisins. Mwána Matatizo, 24 ans, le héros et narrateur de La Trinité bantoue, de Max Lobe, va en faire la triste expérience et connaître la galère avec son compagnon Ruedi Baumgartner, de cinq ans son cadet. L'existence lui paraîtra tout de même un peu "caillou"...

Frais émoulu de l'Uni de Genève, il a tout d'abord trouvé un emploi chez un bantou comme lui, Monsieur Nkamba, qui dirige une petite entreprise de cosmétiques, Nkamba African Beauty, mais il a été licencié par lui. Depuis qu'il a obtenu sa naturalisation et est devenu helvète, en renonçant à la nationalité bantoue, Monsieur Nkamba se prétend helvète de souche et a l'intransigeance des tout fraîchement convertis. Plus helvète que lui, tu meurs...

Nous sommes à l'été 2007, année d'élections fédérales. Alors qu'il se rend au Tessin, où sa soeur Kosambela habite et travaille pour les Soeurs-Managers, Mwána a l'oeil attiré par une affiche: "On y voit trois moutons blancs sur un paisible pré carré rouge marqué d'une croix blanche. Un de ces moutons blancs, souriant, chasse de cet espace, à coups de pattes arrière, un mouton noir." Ce qui lui rappelle que son père, militaire dans l'armée régulière du Bantouland, employait cette expression de "mouton noir" pour qualifier les traîtres ou les mauviettes...

Comme Ruedi, auquel le lie un partenariat enregistré, ne cherche pas de travail, Mwána accepte, pour survivre, un stage de trois mois dans une ONG, mais, entre-temps, en attendant d'être payé - c'est-à-dire de recevoir du "gombo" - au bout de son premier mois, il leur faudra, à lui et à Ruedi, pour joindre les deux bouts, aller chercher des vivres aux Colis du Coeur et faire une demande au Service Social, où ils seront reçus par un présumé bantou, Mazongo Mabeka, devenu aussi helvète que Monsieur Nkamba...

L'ONG, World Peace and Love Organisation, chez laquelle Mwána est devenu stagiaire, est justement partie en guerre contre le MNL, parti propagateur de l'affiche au mouton noir, "qui occupe toutes les bouches", à l'époque, et que l'on "mange à toutes les sauces": "D'aucuns disent qu'il n'y a rien de méchant là-dedans. C'est juste une expression commune, ils argumentent. Un mouton noir, c'est simplement une personne plus ou moins différente de ses congénères. Rien de plus. D'autres en revanche soutiennent qu'il y a, là-dedans, une manifestation flagrante de discrimination envers les étrangers."

Toujours est-il que Mwána, à un moment donné, voyageant dans un train, cherche "à sortir de ce monde où une affiche peut tant remuer les esprits". Il raconte de même le décalage qu'il y a entre lui, dont le ventre "chante", et ceux qui manifestent à Lausanne "contre l'affiche de la discorde", à l'appel notammment de l'ONG pour laquelle il travaille et pour laquelle il a créé un site Internet avec forum...

Dans le même temps, la santé de la mère de Mwána et de Kosambela, Monga Míngá, qui se trouve au Bantouland, se dégrade. Elle est atteinte par le crabe. C'est du moins ce que les "docta" de là-bas ont diagnostiqué. Comme Kosambela est dans les bonnes grâces des Soeurs-Managers qui l'emploient, elle parvient à faire entrer sa mère dans la clinique San Salvatore qu'elles administrent au Tessin et où le diagnoctic cancéreux est confirmé par le "docta" Bernasconi.

Mwána, dans la suite de ce roman, fait le récit de ce qui lui arrive une fois son stage terminé dans son ONG et de ce qu'il advient de sa mère aux prises avec la maladie, avec pour toile de fond le climat politique de cette fin d'année 2007. Ce qui lui donne l'occasion de souligner les ressemblances et différences entre les bantous et leurs "cousins" helvètes... et de relever les préjugés qui caractérisent les uns comme les autres.

Le manège des croyances n'est pas absent du récit. Bien au contraire. Monga Míngá continue de parler en Suisse de la Trinité bantoue, "de Nzambé, Dieu le père. De Élôlombi, Dieu des esprits, qui planent sur nos âmes, entre ciel et terre. Et des Bankóko, nos Ancêtres qui veillent sur nos vies et répondent à nos désirs les plus profonds".  Et, bien que catholique, Kosambela ne craint pas de prier également cette trinité africaine...

La fin inattendue de l'histoire, qui se lit d'une traite, ne manque pas d'humour. Un humour d'ailleurs présent tout le long du récit, écrit dans un style imagé, très coloré, où la langue française s'enrichit pour le plus grand plaisir du lecteur, d'expressions "bantoues"... telles que "laisse l'affaire-là par terre", pour dire laisser tomber, ou "les états dames", pour évoquer des amours particulières...

Francis Richard

La Trinité bantoue, Max Lobe, 208 pages, ZOE

Livre précédent chez le même éditeur:

39 rue de Berne


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