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Fitoussi, La démocratie et le marché

Publié le 27 mai 2008 par Argoul

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Ce petit livre reparaît en Livre de Poche. Il date, il est intéressant et agaçant à la fois. Intéressant parce qu’il livre, surtout en première partie, le résultat de recherches empiriques sur la nécessaire place de l’État dans l’organisation générale d’une économie. Agaçant parce qu’il est clairement idéologique et qu’il mélange argument d’autorité scientifique et orientation politique. Le travers détestable des intellos parisiens (ce qui les rend arrogants et abstraits selon les étrangers) est de fabriquer une poupée chamanique d’un concept, puis de se réjouir d’y piquer d’acerbes aiguilles. Par exemple sur « le libéralisme », cette construction fantasmatique de la gauche qui, faute d’idées, cherche à rassembler sur un Ogre menaçant. Fitoussi n’analyse pas le réel ; il manipule son aura de chercheur pour militer en faveur de son camp, ce qui est dommage pour le fond de son livre.

Sa thèse est qu’il faut combattre « un discours rhétorique de légitimation d’un capitalisme dominateur qui considère la démocratie et le politique comme des obstacles au développement, en flagrante contradiction avec les faits. » p.104 Il se bat contre « un discours », donc en bon français contre du vent comme le fameux Don Quichotte, sans avoir le talent de Cervantès. Il en appelle aux « faits » : quels sont les faits ?

• que les États-Unis et le Royaume Uni, deux pays réputés « ultra » libéraux, font s’avancer l’État (comme la France même est incapable de le faire) lors de crises financières ;
• que « le politique » cher à Fitoussi, ne se débrouille pas si mal par rapport au nôtre, comme en témoigne la passion durant les campagnes électorales américaines et la décennie Tony Blair.

« La fonction de gouverner interfère par nature avec les mécanismes du marché » ? (p.13) – certes, mais nul n’est pur et parfait. Et s’il faut faire reculer un tant soit peu l’État, c’est que les bureaucraties prolifèrent par népotisme et que des castes technocrates accaparent de petits territoires qu’ils creusent avec corporatisme, ce qui englue progressivement toute la machine, économique comme démocratique. Un récent rapport du Sénat sur l’affaire EADS le montre une fois de plus. De ces deux mots, « bureaucratie » et « corporatisme », Fitoussi n’en prononce aucun, comme si « l’État » était pur et parfait, seul moralement légitime. C’est aussi limité que ladite concurrence « pure et parfaite » des libéraux théoriques.

Qui a contesté qu’« un marché ne peut fonctionner sans sécurité juridique des transactions » (p.16) donc d’un État ; qui a contesté que « le marché et la démocratie apparaissent (…) comme complémentaires plutôt que substituables, le système économique ayant pour effet d’accroître l’adhésion au régime politique, et la démocratie, en réduisant les insécurités économiques, de rendre les résultats de l’économie de marché acceptables » p.17 ? Mais pourquoi diable affirmer que cette idée est « contraire à la pensée dominante » (p.17) ? Laquelle ? La poupée chamanique du microcosme germanopratin ? Celle des tribunes électorales de la gauche caviar (la « vieille gauche » selon Delanoë) ? Il y a belle lurette (plus de 30 ans) que Fernand Braudel a montré comment « le capitalisme » ne s’est installé dans l’histoire que grâce aux cités-états, puis aux États dominants. Alors, quel est ce moulin à vent construit par l’intello-médiatique ?

Des éléments de raison sont donnés quand même, qui rendent ce petit livre pas entièrement inutile. L’auteur cite des économistes – surtout américains. Est-ce parce qu’on ne se pose jamais les bonnes questions en France ? Nos économistes sont-ils si imbibés d’idéologie bien-pensante qu’ils ne puissent exercer sereinement leur faculté de raison sur « le marché » ? Ont-ils peur d’être « excommuniés » par leurs pairs – de gauche ? Ou bien plutôt n’y a-t-il de bonne recherche d’économie politique qu’aux États-Unis ? Dans ce choix – volontaire ou non – il y a quelque chose d’inquiétant pour la pensée française. Et un hymne au fameux « libéralisme » puisqu’il semble permettre seul la variété et le pragmatisme des recherches…

Robert Barro s’interroge sur la stimulation des libertés économiques par les libertés politiques pour conclure que « les libertés » sont un bien de luxe, propres aux économies déjà avancées ;  que le marché n’y fonctionne au mieux que parce qu’elles sont bien assurées en économie, l’État garantissant les droits, dont celui de propriété. En revanche, pas de lien direct entre démocratie et croissance, selon Helliwell et Rodick, sinon par une stabilité plus grande de la croissance dans les démocraties. Peter Lindert note que l’éducation favorise la croissance et que certaines démocraties sont encore « d’élite » (comme l’Inde des castes) donc peu enclines à payer pour éduquer les pauvres. Fitoussi a une formule heureuse pour dire que « nous vivons dans des démocraties de marché plutôt que dans des économies de marché » (p.46) Bien sûr « le marché » (étant un système d’efficacité économique) « n’assure pas spontanément la survie de l’ensemble de la population » (p.56) : quelle découverte révolutionnaire ! C’est tout simplement la raison pour laquelle aucun marché n’existe sans État. Braudel l’a montré, mais il est historien – et les économistes français aiment à ignorer les historiens; ils leur préfèrent les sociologues.

Pas plus le marché que la démocratie - comme seul système de représentation – ne sont « humains ». Ce sont des « systèmes » - donc indifférents aux fins humaines. C’est bel et bien aux hommes de les investir et de les faire agir. Comme la démocratie, le marché est lui aussi « en même temps liberté de choix collectif et limitation volontaire du champ de cette liberté » (p.66) Rien de nouveau sous le soleil…

Jean-Paul Fitoussi, La démocratie et le marché, 2004, Livre de poche 2008, 105 pages


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