Magazine Cinéma

Melancholia - 9/10

Par Aelezig

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Un film de Lars Von Trier (USA) avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Alexander Skarsgard, Charlotte Rampling, John Hurt

Dépressif.

L'histoire : Justine se marie, mais au fur et à mesure de la journée, elle multiplie les crises de panique. Elle s'isole, prend un bain, pleure, tandis que sa soeur Claire tente de la réconforter et de sauver les apparences et que le marié, amoureux mais inapte face à la souffrance de sa femme, se sent de plus en plus désorienté. Pendant ce temps, une étrange étoile baptisée Melancholia se dirige rapidement vers la terre. Mais les scientifiques assurent qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Mon avis : Sans doute le film le plus personnel de Lars Von Trier qui raconte, fort bien, la dépression, sale maladie, collante et incompréhensible pour l'entourage, qu'il a expérimentée il y a quelques années.

Après un début quelque peu déroutant avec une succession d'images en ralenti extrême (mais qui sont en fait une sorte de résumé symbolique du film), Melancholia s'ouvre sur un premier chapitre, Justine, qui sera suivi d'un second, Claire.

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Justine est dépressive, donc, ou bipolaire, on ne sait pas trop. Tout juste comprendra-t-on que les parents, divorcés, se vouent une haine féroce et que la mère semble elle-même quelque peu étrange ; elle est dure, elle est agressive, elle est toxique. Ses filles ont dû en faire les frais. A travers le comportement de Justine, Lars Von Trier illustre magnifiquement la douleur et l'isolement du dépressif ; les crises d'angoisse, la terreur, le vide incommensurable de l'existence, malgré les petites joies qui s'y glissent mais coulent entre les doigts, l'absence des proches qui ne comprennent pas et finissent par fuir... Justine est intelligente, brillante, belle, elle a tout pour être heureuse, comme on dit. Elle ne connaît pas elle-même le démon intérieur qui la dévore. Comment pourrait-elle l'expliquer aux autres ?

- Je suis terrorisée... dit-elle à sa mère.

- Comme nous tous, répond cette dernière, cinglante et coupante comme la glace.

C'est très dur, mais en même temps, c'est tellement juste : nous sommes tous plus ou moins confrontés au même lot de traumatismes et de malheurs. Certains ont la chance d'avoir un mental d'acier (la résilience, disent les psys) pour effacer les revers d'un éclat de rire. Les soucis glissent sur eux comme l'eau sur les plumes du canard. D'autres, on ne sait pas pourquoi, absorbent toutes les ondes négatives comme des éponges.

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Claire, elle, est protectrice et maternelle. Elle cajole sa soeur et essaie de la rassurer. Mais, au travers des gestes et des attitudes du personnage, qui au début paraît fort et courageux, on comprend peu à peu que sous la carapace psycho-rigide que Claire s'est forgée, les failles ne sont pas très loin...

Spoiler. Il faudra un événement extérieur, apocalyptique, pour que les forces et les faiblesses de chacune se rencontrent, s'échangent. Celle qui était fragile se révèle très calme, presque apaisée, tout simplement parce qu'elle s'est toujours imaginé le pire et que la fin du monde est comme le dénouement logique de ses terreurs. Une délivrance qu'elle affronte dans la sérénité. Tandis que la forte, qui sait bien elle tout ce qu'elle va perdre, s'effondre, terrifiée.

J'ai bien aimé le symbolisme de cette mystérieuse planète qui avance, ronde et menaçante, métaphore de cette boule d'angoisse qui vous ronge de l'intérieur. Et puis cette cabane à la fin... Une protection qui n'en est pas une, sans paroi, et si dérisoire par rapport à ce qui se prépare... Fin du spoiler.

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Le film est à voir et à revoir car il pullule de petits signes de toutes sortes sur le propos global de LVT, signes qu'on ne peut sûrement pas tous capter en une seule vision...

Une brillante parabole sur la dépression, ses mystères, son cortège de préjugés et de jugements tout courts, sur la fragilité de l'humain face à lui-même, face à la nature, sur les murailles que l'on construit pour se protéger, bien illusoires.

Sans doute ardu ou rébarbatif pour ceux qui connaissent peu ou mal l'enfer de la dépression, et qui sont hostiles au cinéma très symboliste de Lars Von Trier.

Pour moi, un très beau film. Dont l'esthétique et la spiritualité apocalyptique rappellent un peu Terrence Malick. Et deux actrices absolument exceptionnelles (prix d'interprétation féminine à Cannes pour Kirsten).

Il n'y a pas que moi qui le pense et c'est tant mieux : "Oscillant entre un récit très concret, un onirisme à la fois sublime et cauchemardesque et une dimension métaphysique, "Melancholia" peut être vu, a minima, comme une oeuvre donnant puissamment à ressentir l'état de dépression" (La Croix) ; "Pas de plan gratuit, la narration, d'une logique implacable, est chargée de sens et de suspense. Chef d'oeuvre." (Le Journal du Dimanche) ; "La sidération provoquée par la découverte de "Melancholia" vient en partie de l'impressionnante figuration d'une catastrophe cosmique, qui en constitue l'armature et l'épreuve de vérité. Mais c'est [aussi] par la multitude de natures de cette fin du monde que le film tire sa force, dans cette prolifération des significations" (Le Monde) ; "Lars Von Trier continue de transformer sa dépression en véritable oeuvre d'art et signe - non pas dans la fureur mais cette fois dans la sérénité - l'un de ses plus beaux cauchemars" (Première) ; "Avec Wagner en fond et à fond les manettes, Lars Von Trier nous met du cinéma plein les yeux" (Elle).

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Mais, il en est qui n'aime pas du tout : "Esthétiquement, "Melancholia" est, comme bien des films de l'auteur, apprêté et snob, encombré de ralentis exaspérants, de plans kitchissimes. (...) et marque un retour à un dandysme pompier, factice et vain (un autre journaliste de Télérama).

Le public lui est tout aussi enthousiaste, à part ceux qui, comme je l'évoquais plus haut, ont été repoussés par le début, puis n'ont pas adhéré à cette morbide et belle mélancolie, poétique, romantique et cauchemardesque, qui vous colle aux basques longtemps.

J'aurais bien mis 10... Mais finalement, moi aussi, ce début clippesque au ralenti me gêne un peu (un poil plus court, et ça le faisait). Sinon, c'était la perfection.


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