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Charlie : l’adolescence envolée, puis revenue

Publié le 12 janvier 2015 par Davidme

Une part d’adolescence et d’insouciance vient de s’en aller. Une part de moi en fait. Comme si on m’avait ouvert le crâne pour en retirer une parcelle. Une parcelle infime. Mais de celles qui forgent une identité.

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Le crime perpétré, mercredi 7 janvier 2015, contre Charlie Hebdo signe la fin de mon adolescence. A 35 ans, il était temps. Perdre Charb, Cabu, Maris, Tignous que j’avais l’immense honneur de connaître mais qui étaient surtout les copains du mercredi, c’est comme perdre une part de soi. Durant toute mon adolescence, chaque mercredi, j’allais au kiosque, à Saint-Maur une ville bourgeoise, et j’achetais mon Charlie. C’était mon pied de nez à cette bourgeoisie catholique un peu coincée. C’était aussi et surtout un journal qui en plus de me faire rire, me faisait réfléchir. Le rituel était toujours le même.

La lecture commençait par les couvertures auxquelles nous avions échappé, elle continuait par le copinage (où il y avait toujours des bons plans), et la chronique ciné tenue à l’époque par Michel Boujut. Puis, une fois que j’étais certain d’avoir un peu de temps devant moi, je me plongeais dans l’édito de Philippe Val qui pendant toute une époque a certainement été le meilleur éditorialiste de la presse française. Il y avait ensuite, les chroniques d’Oncle Bernard. Tellement savoureuses et tellement irrévérencieuses envers les dogmes de l’économie. Tellement formatrices.
Dans les pages suivantes, il y avait Cavana, et même Siné ou Gébé. Et enfin, en fin de journal la fameuse rubrique de Charb : « Charb n’aime pas les gens » dans laquelle, souvent, il prenait le contrepied de l’opinion défendue dans l’édito de Val au début du journal.

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Et moi je prenais mon pied. Quel pied ! De la caricature, de la réflexion, des débats. Charlie m’a construit. Charb, Tignous, Cabu, Maris et les autres m’ont construit. Leurs colères étaient les miennes, souvent. Parfois, leurs partis pris me mettaient en colère. Toujours la lecture de Charlie faisait de moi un être vivant, rempli de sentiments multiples.

Tout cet esprit « Charlie », cet esprit Wolinski dont je cherchais, en douce, le recueil un peu coquin que mon père cachait dans sa chambre, cet esprit Cabu dont les dessins ont bercé ma prise de conscience politique, cet esprit Maris si passionné de vulgariser l’économie pour la faire comprendre au plus grand nombre, tout cela, ils l’ont transmis. Pas leur talent évidemment. Ni à ceux qui sont partis, ni à ceux qui sont encore là, mais leur esprit est une part de moi.
Un esprit d’irrévérence, de poil à gratter, de provocateur, de libre penseur et de tolérance qui finalement n’est autre que l’esprit le plus proche de ce qu’est la France.

Ces dernières années le lien avec mes amis du mercredi était un peu plus lointain, je ne l’achetais plus qu’une à deux fois par mois. Il paraît qu’en grandissant on perd son âme d’enfant…Je vais la retrouver.
Heureusement que ma profession et mes liens avec La Griffe Noire me permettaient de côtoyer régulièrement Charb, Oncle Bernard, et aussi Patrick Pelloux.

Mercredi, une part d’adolescence est donc partie. Vendredi, avec le massacre de juifs parce qu’ils étaient juifs dans ce super marché casher, l’âge adulte était encore plus amer.

Et dimanche 11 janvier, une part de lumière et d’adolescence est revenue. La marée humaine de toute la France a montré que nous étions capables de sursaut, de rassemblement et de faire à nouveau société. « Pour recommencer sa jeunesse, il n’y a qu’à recommencer ses folies », disait Oscar Wilde. Recommencer cette folie de croire que la France peut faire peuple, recommencer de croire et de se battre pour la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité. Recommencer cette folie de voir l’autre comme un égal et d’être, comme lui, malgré nos différences, citoyens du même pays. C’est, aussi cela, qui est contenu dans la marche républicaine du 11 janvier.

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Mais comme nous ne sommes plus des adolescents, cette fois, il ne faudra pas se tromper, il faudra agir. Agir pour l’intégration de tous, agir pour reconquérir les « territoires perdus » de notre République, agir aux côtés des professeurs, des instituteurs, des éducateurs, des policiers, des gardiens de prisons, pour qu’ensemble nous puissions reconstruire la République pour tous, agir pour faire en sorte que le FN ne remporte pas des victoires aux prochaines élections, agir pour nous, pour ces 17 victimes de la barbarie, agir pour faire ensemble la France du 21ème siècle : fière de ses valeurs et de ses racines multiples. C’est urgent et c’est crucial. C’est cela que « JeSuisCharlie » veut dire.

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