Magazine Culture

Voltaire et son nécessaire « Traité sur la Tolérance »

Publié le 17 janvier 2015 par Savatier

Voltaire et son nécessaire « Traité sur la Tolérance »"Effet collatéral inattendu des attentats terroristes dirigés contre Charlie Hebdo et la liberté d'expression, Voltaire revient au premier rang des ventes de livres, avec son Traité sur la Tolérance (Gallimard, collection Folio, 143 pages, 2 €) publié en 1763.

Essai plus que traité, par sa brièveté inhabituelle, sa rhétorique élégante, son humour où la dérision occupe une belle part, l'ouvrage fut écrit à l'occasion de la célèbre affaire Calas, une injustice née du terreau religieux, qui agita le royaume au tout début des années 1760. A l'origine, le Traité sur la Tolérance n'était pas destiné à un public populaire ; ses nombreuses références érudites à l'ancien et au nouveau Testaments, aux travaux des théologiens, à l'histoire des religions, prouvent que l'auteur ne s'adressait pas au peuple, mais à l'élite éclairée de son époque, noble, bourgeoise et intellectuelle.

Le lecteur d'aujourd'hui, qui puise souvent dans l'inconscient collectif l'image d'un Voltaire ennemi des cultes, voire athée sera peut-être dérouté par le discours du philosophe. En effet, ce dernier se garde bien de prôner l'athéisme, dans la mesure où il voit dans la religion un outil de normalisation sociale de nature à encadrer un peuple dont, comme la plupart des élites du Siècle des Lumières, il se méfie :

" Telle est la faiblesse du genre humain, et telle est sa perversité, qu'il vaut mieux sans doute pour lui d'être subjugué par toutes les superstitions possibles, pourvu qu'elles ne soient point meurtrières, que de vivre sans religion. L'homme a toujours eu besoin d'un frein, et quoiqu'il fût ridicule de sacrifier aux faunes, aux sylvains, aux naïades, il était bien plus raisonnable et plus utile d'adorer ces images fantastiques de la Divinité que de se livrer à l'athéisme. Un athée qui serait raisonneur, violent et puissant, serait un fléau aussi funeste qu'un superstitieux sanguinaire. [...] Partout où il y a une société établie, une religion est nécessaire; les lois veillent sur les crimes connus, et la religion sur les crimes secrets. "

L'auteur défend donc le principe d'une " religion rationnelle ". Derrière ce concept que l'on pourrait penser oxymorique, il veut entendre une religion qui serait épurée de toute superstition, de tout fanatisme, mais fondée sur un dieu apte, par la crainte qu'il inspire, à réguler les comportements humains. Cette conception déiste, terme auquel il préférera celui de " théiste ", n'est pas sans rappeler le constat que, plus tard, fera Nietzsche : " Finalement, ce que la religion demande aux hommes, c'est de se tenir tranquilles. "

Pour Voltaire, l'ennemi est ailleurs, dans " cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la société " dont il dresse un inventaire d'autant plus effrayant qu'il n'est pas exhaustif. Ses arguments, dirigés contre l'Eglise et notamment les Jésuites (chez lesquels il put acquérir sa solide culture théologique), mais de portée délibérément universelle, frappent tant ils nous semblent actuels, comme le mettent en lumière ces quelques extraits :

" On dirait qu'on a fait vœu de haïr ses frères, car nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, et nous n'en avons pas assez pour aimer et pour secourir. "

" Enfin cette tolérance n'a jamais excité de guerre civile ; l'intolérance a couvert la terre de carnage. "

" Quand nos actions démentent notre morale, c'est que nous croyons qu'il y a quelque avantage pour nous à faire le contraire de ce que nous enseignons ; mais certainement il n'y a aucun avantage à persécuter ceux qui ne sont pas de notre avis, et à nous en faire haïr. Il y a donc, encore une fois, de l'absurdité dans l'intolérance. "

L'un des passages les plus emblématiques du livre occupe le chapitre XXIII ; il se présente comme une " prière à Dieu " qui n'est autre qu'un éloquent plaidoyer pour la tolérance :

" Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi, que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution [...]. "

Les vœux de Voltaire ne furent finalement guère exaucés et sa voix peu entendue : trois ans après la publication de son Traité, l'infortuné chevalier de la Barre fut torturé et exécuté à Abbeville (malgré une demande de grâce royale de l'évêque local, sans doute justifiée par la minceur du dossier instruit contre le jeune homme), pour un chef d'accusation qui incluait... le " blasphème ".

L'argumentaire voltairien reste encore étranger à bien de nos contemporains qui voudraient imposer leur conception de la foi et du sacré, non comme relevant de l'intime, mais de la sphère publique. Ce qui ne saurait nous dissuader de lire ou de relire le Traité sur la Tolérance et de l'accompagner d'une autre lecture, dont l'encre est à peine sèche, celle du bel éditorial de Gérard Biard publié dans le tout dernier numéro (1178) de Charlie Hebdo. Celui-ci rappelle, tout comme depuis longtemps les philosophes Elisabeth Badinter et Catherine Clément, la nécessité trop oubliée d'une laïcité républicaine (pas plus "positive" que "négative") réaffirmée, rempart non contre les religions dont elle garantit la liberté de culte, mais contre tous les intégrismes et, ce, sans que les partisans de cette laïcité qui fait notre spécificité française se voient attribuer par les bien-pensants l'épithète délibérément péjorative de "laïcards".

Signaler ce contenu comme inapproprié
Voltaire et son nécessaire « Traité sur la Tolérance »

À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Savatier 2446 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine