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Extérieur nuit

Par Gerard

Parfois la nuit la rue fait bloc. Un roc impénétrable. Part arrachée à l’épaisseur plus générale du cosmos. On est là, jeté dans cet obscur scintillant, entre le poids des choses et la légèreté du monde. Lévitant. Fracassé. Marchant pour faire sonner nos pas, simplement, sur les trottoirs déserts. Avancer vers ces carrefours d’illusions où les néons rares se déposent en reflets colorés, noyés au fond des flaques avec les dernières feuilles mortes. La nuit charbon noir laisse sa trace sur les chairs à vif. Elle empèse les rares silhouettes, on dirait des âmes de revenant qui feraient pénitence. On les regarde, de loin. On ne sait que leur dire. Comment les aborder. Ce sont nos frères en déambulations nocturnes. Il y a ceux qui rentrent dont ne sait où. Il y a ceux qui errent, qui sait jusqu’où. Entre les deux existe une frontière ténue, indistincte, celle qui sépare peut-être le désespoir et la maraude, l’abattement et l’espérance. Mots d’amour murmurés dans l’obscurité fumeuse des lampes à sodium, dans le creux connecté de nos mains esseulées. Il faudra bien passer à travers cette nuit. Parce qu’on n’a pas mieux à faire. Parce que tout ce qu’on a connu d’ouvert et d’accueillant s’est peu à peu fermé à double-tour. Barrières, digicodes, rideaux de fer cadenassés. Et tout ce que l’on a été se résume à cette ombre furtive dans le fond des impasses. Où allons-nous. Qui sommes-nous. Quelle part de ce calvaire lent, dans le lent dépotoir de nos candeurs et de nos rêves. Nous essaimons nos solitudes en titubant dans le noir. Nous effleurons nos semblables, nous aurions tant voulu nous y accrocher à cette main, à ce bras, cette épaule ; mais nos semblables sont envahis de terreurs toute pareilles aux nôtres. Nous baissons la tête, et personne n’en dit rien, et chacun fait comme si. Seulement cette nuque entrevue, et qui passe. La nuit s’entête. Nous disséminons nos angoisses à travers les mille arrangements de ce vieux chaos mutique. Urban desperado. Dans les tours assombries les rares veilleurs finiront-ils par découvrir quelque chose d’utile à leur propre vie ? On voudrait juste que leur lumière tienne bon, encore un peu, jusqu’au matin qui viendra aussi subitement que tombe la cendre des cigarettes entre les doigts des assoupis. A mille floraisons nocturnes la vie « after hours » se faufile en nous, comme un sortilège. Ronde sauvage des heures perdues. Des pas perdus. Sous la nuit noire la ville est rouge comme la braise. Le feu couve.


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