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Dernière passe…dernier essai….dernier match….

Par Citoyenhmida

Dans une autre vie, je jouais au rugby! Au poste de demi de mêlée! Je n’étais pas un joueur brillant, mais appliqué, posé, jouant plus pour le plaisir  que par esprit de compétition, je n’avais rien d’un tueur sur le terrain!

Joueur parfaitement fair-play, je ne souviens pas avoir blessé un de mes adversaires ni avoir été agressé de manière volontaire.

Mes dimanches sur le terrain n’avaient rien de glorieux, mais ils m’apportaient beaucoup de bonheur et de satisfaction. J’aimais l’ambiance virile et bourrue d’avant match, je me sentais bien au milieu de mes coéquipiers, la plupart plus grands que moi, plus forts, plus rugueux! Les troisièmes mi-temps étaient souvent sympathiques, même en cas de défaite sévère!

Le fait que le coach et les joueurs  me faisaient confiance me rendait plus sûr de moi : en tant que demi de mêlée, j’avais un certain ascendant sur le paquet d’avants! Les trois-quarts aussi me laissaient carte blanche pour relancer le jeu à la main. Bref, j’avais ma place au sein de l’équipe, je n’étais pas indispensable mais juste un solide maillon de la chaîne!

Cela c’était dans une autre vie ….Avant cette dernière passe, qui m’a permis de marquer le dernier essai de ma courte carrière…..Car, ce dimanche, j’avais joué mon dernier match!

Ce dimanche s’annonçait mal….Il aurait dû pleuvoir, il n’a pas plu mais il faisait un froid qu’on n’aimait pas dans cette ville baignée par l’Atlantique d’un coté et la Méditerranée de l’autre! Ce froid qui arrivait,  poussé par les rafales du vent du nord, doublement chargé des gelées de la Sierra Nevada toute proche et de l’humidité des vagues furieuses du Détroit.

S’il avait plu, la pelouse, même mal entretenue  du  stade municipal, aurait été un excellent terrain pour réaliser un bon match de rugby. Nous en connaissions tous les mètres carrés, toutes les petites bosses et les grands espaces pelés où les flaques se formaient. Mais depuis tôt le matin, une mince plaque de glace recouvrait l’herbe, insidieuse et dangereuse peut-être!

Il nous fallait gagner ce match, il en allait de l’avenir du club et du rugby dans cette ville où le foot-ball était roi et où, depuis quelques années, le basket et le tennis  attiraient de plus en plus de jeunes. Le rugby était considéré comme un sport de vieux intellectuels, qui trempaient encore une culture française dépassée et ringarde! Il nous fallait prouver le contraire!

Mais ce match s’annonçait mal, comme ce dimanche glacial.

L’équipe ne tournait pas comme on aurait voulu, il y avait des blessés, le moral n’y était pas ou plutôt n’y était plus. Les entrainements tournaient vite à des séances d’engueulade parce que personne ne voulait avouer son incapacité à donner le meilleur de lui-même!

Et pourtant, nous savions tous que si nous perdions ce match, nous perdrions tout ce qui faisait de nous un club! Le public, déjà rare et de moins en moins connaisseur, nous laisserait tomber! Les autorités trouveraient là l’occasion de suspendre la subvention qui nous permettait de survivre! Le groupe de joueurs, mal dans leur peau et très peu motivés, éclaterait et tous les efforts fournis durant ces dernières années partiraient à vau-l’eau!

Le match était programmé à 11 heures du matin, une heure ridicule pour entamer une rencontre de rugby! Mais il fallait libérer le stade pour la compétition de foot-ball de 3ème division, qui réunirait dix plus de monde que nous.

L’arbitre donna donc le coup d’envoi, à l’heure  prévue, devant une poignée de supporters, fidèles parmi les fidèles et une rangée de curieux qui se demandaient à quoi jouaient ces trente  débiles, mal engoncés dans leurs tenues martiales.

La première mi-temps fut pénible pour les deux équipes : impossible de jouer à la main, le froid engourdissant le doigts ;  impossible de donner  un coup de pied, le vent soufflant dans tous les sens ; impossible de plaquer un adversaire, aucune phase de jeu ne durant assez de temps pour construire une attaque et monter une défense! Le jeu était haché, l’arbitre courait plus que les joueurs, les phases de jeu statiques n’aboutissait à rien!

L’arbitre, presque soulagé,  délivra les joueurs, qui se regroupèrent au milieu du terrain, tous tête basse, le visage entouré d’un halo de buée, les jambes lourdes de 40 minutes d’efforts inutiles.

A l’époque, le retour au vestiaire à la mi-temps n’était encore de mise et les coaches enguirlandaient leurs joueurs sous le regard des spectateurs et parfois sous leurs quolibets.

Et ce dimanche, ce ne sont les noms d’oiseaux qui ont manqué de voler au-dessus de nos têtes!

La partie reprit, sans conviction, comme une longue formalité ennuyeuse et vaine.

Une pénalité fut sifflée contre nous et malgré le vent, le ballon, après un envol erratique, finit par passer entre es poteaux, après avoir ricoché sur la barre transversale! 0 – 3  et aucune chance, aucune envie de réagir de notre part!

Il ne devait rester que dix minutes à jouer, plutôt à faire semblant de jouer. A tenir!

L’arbitre siffla, suite à un en-avant dû plus au vent qu’à la maladresse,  une mêlée en notre faveur, dans le camp adverse, juste après la ligne médiane, à 15 mètres de la ligne de touche! On récupère la balle, sous la poussée de notre pack, comme  électrifié par une énergie aussi soudaine qu’incompréhensible!

Là, ce fut la fulgurance! La lumière jaillit!

J’avais vu que le  coté fermé, le long de ligne de touche était dégarni et mon ailier placé de manière idéale pour tenter une percée. Une sortie de mêlée spectaculaire, avec un plongeon avec un demi-tour sur moi même, le lança dans le trou béant de la défense adverse, restée comme figée par cette attaque-surprise!

Je l’ai suivi immédiatement en hurlant dans son dos : VINGT-DEUX!!!! C’était le code pour qu’il effectue une chistera,  cette passe très aléatoire  effectuée dans le dos !

Il a saisi, et sans ralentir, il me glissa le ballon vers l’intérieur du terrain, d’une pichenette dans son dos, prenant à contre-pied les défenseurs qui revenaient sur nous.

Autre fulgurance absolument inimaginable!

Je savais qu’à 5 mètres de là où  j’étais, il y avait une petite bosse sur la pelouse et là précisément, la pelouse n’était pas aussi détrempée. Moi, je le savais, les deux troisièmes lignes adverses ne le savaient pas. Je fonçais droit devant et au moment où je posais le pied sur la bosse, j’exécutai un  crochet vers la droite, je savais que je pouvais m’offrir ce luxe, mes crampons étaient bien ancrés dans la pelouse râpée!

J’entendis un “Enfoiré de c…..”! Ces mots sonnent à mes oreilles des décennies après!

Le crochet, élimant deux adversaires,  m’ouvrit un boulevard vers la ligne de but : je posai calmement le ballon à gauche des poteaux, je n’ai pas osé pousser ma course plus loin. Je connaissais mes limites physiques!

Et là je le vis débouler sur moi, comme un taureau furieux! J’ai eu peur, je dois bien le reconnaitre!

Mon essai était marqué, l’arbitre l’avait validé et cette brute voulait me démolir : jamais sur un terrain, je n’ai senti autant de violence dans une charge, d’autant que j’étais vidé de toute mon énergie, après la phase de jeu qui venait de s’achever.

J’ai été débout, les bras ballants et il m’est rentré dedans, l’épaule en plein dans la poitrine! Je n’avais aucun recul, aucune réaction, aucune résistance! C’était une agression pure et simple, un projectile fou lancé contre une cible statique!

Que c’est-il passé ensuite? Je ne me souviens de rien!

Mes coéquipiers ont bien essayé de m’en parler à ma sortie de l’hôpital : la bagarre générale qui avait suivi, ma sortie du terrain sur un brancard, l’expulsion e ce fou furieux blessé dans son amour-propre de vaincu!

Tout cela n’avait laissé aucune trace dans mon esprit et c’est tant mieux, car depuis ce dimanche, je n’ai  jamais pu rejouer une rencontre officielle.


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