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les infos préférées de ma grand-mère

Publié le 26 janvier 2015 par Dubruel

Entouré de verdure sombre,

L'ancien château dort à l'ombre

De grands arbres.

Dans un bassin de mosaïque

Se baignent quatre dames en marbre.

.

Tout en ce domaine antique

A gardé la physionomie des vieux âges.

Tout semble parler des hommages,

Des galanteries de l'ancien temps,

Des élégances légères d'antan.

Dans le salon, une aïeule handicapée

Est assise sur le canapé.

Une jeune fille lui lit le journal,

En diagonale.

-" Il y a beaucoup

De politique et d'économie.

Faut-il passer, Mamie ? "

-" Oui, cela ne m'intéresse pas du tout.

N'y a-t-il pas des histoires d'amour ?

La passion est-elle morte pour toujours ?

Ne parle-t-on plus d'enlèvements

Et d'aventures comme dans le temps ? "

Annabelle, la jeune fille, parcourt

Et s'arrête sur le titre Drame d'amour.

La vieille dame, candide,

Sourit dans ses rides.

-" Très bien. Lis-moi cela. "

Annabelle commença.

C'était une affaire de vitriol.

Une jolie créole

Avait brûlé les yeux de l'amie chérie

De son mari.

Ce mardi, elle sortait

Des Assises, acquittée,

Sous les applaudissements de l'assistance.

Oubliant son impotence,

L'aïeule s'agita et répéta :

-" C'est affreux, c'est affreux cela !

Trouve-moi autre chose, mignonne. "

Annabelle tomba sur Drame, cet automne.

Une vendeuse de fleurs d'âge mûr

Était tombée dans les bras d'un jeune dur.

Puis un soir, après souper,

Pour se venger de cet amant qui la trompait

Elle lui avait tiré un coup de revolver.

Les jurés prirent le parti de la meurtrière.

Cette fois, la grand-mère se révolta

Et d'une voix tremblante protesta :

-" Aujourd'hui, le monde est fou !

Le Bon Dieu nous a offert à tous

L'amour, unique séduction de la vie.

L'homme y associa la galanterie,

Notre seule distraction, notre pactole

Et vous, vous y mêlez

Du vitriol,

Du pistolet ! "

-" Mais cette femme était mariée

À un coureur de jupons. Il a payé !

Quoi de plus naturel ?

Le mariage, Mamie, c'est sacré ! "

Répondit Annabelle

-" Non, c'est l'amour qui est sacré.

J'ai vu presque trois générations

Et j'en sais long, très long :

Mariage et amour ne vont pas ensemble,

Du moins, ce me semble.

Le mariage, comprends-moi bien, ma fille,

Sert à former, à cimenter

La société.

La société est une chaîne de familles.

On ne se marie qu'une fois

Parce que le monde l'exige ; tu vois ?

Mais, dans une vie, on peut aimer vingt fois.

La nature nous a fait ainsi.

Le mariage est une loi,

L'amour est un instinct.

On a fait des lois

Qui combattent nos instincts

Mais ceux-ci sont plus forts que la loi.

On ne devrait pas leur résister

Car c'est de Dieu qu'ils proviennent.

Or, les lois, elles, viennent

Des hommes. Bref, ma chérie,

On doit remplir sa vie d'amour, à l'envi ! "

Annabelle ouvrait

Des yeux effarés :

-" Mais...on ne peut aimer qu'une fois ! "

Se souvenant des galanteries d'autrefois,

La vieille dame reprit :

-" Vous êtes une race de vilains,

Je te le dis :

Depuis la Révolution, les humains

Sont méconnaissables.

Leurs actions sont inacceptables.

De mon temps, on apprenait

Aux hommes à aimer les femmes.

Et quand l'un d'eux nous convenait,

Dame,

On en profitait,

Et sans frilosité !

Nous venait-il jadis

Un nouveau caprice,

On congédiait l'ancien amant,

Tout simplement

Ou bien on les gardait tous deux ! "

-" Les femmes n'avaient-elles pas d'honneur ? "

La vieille dame eut un sourire malicieux.

-" Pas d'honneur, parce qu'on aimait sans peur !

On osait même s'en vanter !

Si dans notre société,

L'une de nous demeurait sans amant,

Nos amies auraient ri en se moquant.

Celles qui voulaient vivre autrement

N'avaient qu'à rentrer au couvent.

Aujourd'hui, vous pensez que vos époux

N'aimeront jamais que vous !

Le mariage, petite bécasse,

N'est pas dans la nature de notre race.

Il n'y a, dans la vie, qu'une bonne chose :

L'amour, Éros. "

Annabelle prit les mains de sa mamie :

-" Tais-toi, je t'en supplie.

Moi, je demande au ciel une passion,

Une seule et grande passion. "

-" Prends garde. Tu seras malheureuse

Si tu crois à tes folies trompeuses. "


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