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Max | Sans voix

Publié le 27 janvier 2015 par Aragon

Max | Sans voixOh je sais bien, s'il y en a "à moitié plein", qu'il faut voir et retenir pour "positiver", ce n'est pas l'histoire de celui qui est "à moitié vide" que je raconte ce matin, c'est l'histoire d'une gamine de quinze ans dénoncée aux nazis avec sa famille par de bons français, sauvée par un soldat allemand qui a écarté l'homme qui allait la violer en disant à l'agresseur "On ne touche pas à cette sale race !"

La suite. Auschwitz : mise nue devant des hommes, vêtue de honte, tondue, tatouée, marquée et parquée comme une bête. Nuit. Elle en réchappe. Immense nuit d'enfer qui continue pour elle encore aujourd'hui.

Elle est chez Cohen invitée de son 7/9 ce matin et le journaliste est désarçonné, déstabilisé, presque jeté à bas de sa monture de fier cavalier de l'audiovisuel. Marceline est en colère, ce ne sont pas des braises qui couvent. L'incendie est actuel, si violent.

Jamais de ma chienne de vie d'auditeur boulimiphage de radio n'avais entendu semblable voix dans "un poste". Voix de femme. Voix essentielle. J'ai lâché ma tasse de café, enfin je veux dire que je l'ai posé sur la table, me suis dirigé vers la radio, monté le son, jamais ô grand jamais n'avais entendu semblable voix que celle de Marceline dans une putain de radio avant ce matin.

Elle est colère, juste colère et feu ardent. Elle a gâché sa vie, je pèse mes mots, par la faute des hommes, des lâches, des salauds, des abrutis ordinaires, par la faute d'un incroyable système politique sorti d'urnes démocratiques qui a porté la nuit sur le monde de 1933 à 1945, par la faute de ceux qui l'ont mis en oeuvre, en place, par la faute de ses politiques, de ses soldats et de ses bourreaux, par la faute immense des États qui ont laissé grandir et agir la bête immonde, ont fermé leurs yeux, n'ont agi qu'à la déclaration de guerre, ont considéré "monsieur le chancelier Hitler" comme un chef de gouvernement respectable avec lequel il fallait commercer et user d'arguties diplomatiques.

Marceline ne sait pas encore aujourd'hui 27 janvier 2015, alors que j'entends sa voix de feu à la radio, pourquoi elle est là, pourquoi elle a survécu. Un ange qui pourrait s'appeler Primo Levi - beaucoup d'autres noms encore - passe alors dans le studio de la maison de la Radio, le bruit de ses ailes est perceptible dans tous les postes allumés...

Je n'ai pas ressenti de la colère, ni de l'émotion, je n'ai pas été bouleversé ce matin en entendant Marceline, son témoignage, c'est bien au-delà de tout ça. Tellement au-delà de tout ça. J'avais l'impression d'entendre et de ressentir du "fondamental".

Cohen est resté sans voix, neuf heures puis le "jingle" et le journal. Ouf, sauvé par le gong, il devait respirer, passer un doigt entre le col de sa chemise et son cou. J'ai fini mon café.

Marceline, tu nous dis que tu vas dans les écoles, les collèges et les lycées, tu portes films et témoignage, tu nous dis que pendant que le film passe dans la salle où sont entassés les élèves tu entends régulièrement des soupirs goguenards, des doigts claquer. Quand la lumière revient tu proposes aux gamins de parler de ça, de ce qui motive ce claquement de doigt obscène dans le noir. Les mômes, ces petits cons, ne mouftent pas alors, n'ont rien à dire.

Ce matin chez Cohen tu nous balances du feu, de la colère, de l'amertume, ton inquiétude car "les choses" empirent. Tu le sens. Je le sens aussi. Total respect pour toi Marceline mais tu t'en fous du respect que l'on pourrait te porter Marceline, t'en as rien à branler du respect. Et ce mot "compassion" que tu exècres par-dessus tout. C'est pas ça qui t'importe, ce qui t'importe, qui entretient le grand feu qui brûle en toi, ce qui te tue aussi paradoxalement c'est ta colère. C'est que les hommes sont capables de "ça". Sont prêts à recommencer à cette "échelle-là". Les hommes sont prêts à tout.

Ce qui s'est passé ou qui se passe à l'échelle de la monstruosité humaine n'a aucune valeur d'exemple pour faire prendre conscience. Je comprends ton brasier Marceline. Je reste sans voix, je pleure ce matin, à l'intérieur de moi.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Marceline_Loridan-Iv... http://www.france24.com/fr/20150124-entretien-marceline-l... http://blogs.rue89.nouvelobs.com/yeti-voyageur/20...

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