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Diagnostic du malaise français : pour une politique de la responsabilité

Publié le 06 février 2015 par Unmondelibre
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Les attentats terroristes dans les locaux de Charlie Hebdo et dans un supermarché casher à Paris ont alerté les français sur la capacité de l’Islam radical à saper les processus d’intégration en France. Et l’écho fait aux terroristes par une partie de la jeunesse musulmane des banlieues clamant « Je ne suis pas Charlie » a certainement amplifié ce qu’il faut bien qualifier de malaise français. Les émeutes pro-palestiniennes dégénérant en émeutes antisémites dans le centre de Paris l’été 2014 ne sont pas loin non plus. Ces événements semblent converger, symptômes de la non-intégration de certaines banlieues.

Il est grand temps de donner une réponse politique. Mais celle-ci doit éviter deux pièges. Premièrement, cette réponse ne doit pas consister essentiellement en davantage de répression et de restriction des libertés telles qu’elles ont été parfois discutées après les attentats parisiens (comme un « Patriot Act » à la française). Deuxièmement, le « paternalisme redistributeur » à visée de « paix sociale » ne doit pas s’intensifier.

Une réponse sérieuse implique plutôt des réformes profondes : une responsabilisation croissante de la société civile ainsi que la libération des opportunités économiques.  C’est la seule voie pour ramener ainsi dignité, civisme et tolérance dans les relations sociales françaises. Le « vivre ensemble » s’est fait trop attendre.

L'intégration a certainement été à l'origine freinée par un certain racisme à l'encontre des immigrés venant d'Afrique et d'Afrique du Nord. Nul doute que la « mentalité » d'ancienne puissance coloniale, les plaies de la guerre d'Algérie et plus généralement la difficulté à accepter une autre culture ont constitué des « barrières à l'entrée » culturelles. Pour beaucoup de français d'origine européenne, « louer à des africains » ou « employer un arabe » est longtemps resté - et reste encore - problématique. Le « délit de faciès » n’est pas qu'un mythe.

Ce racisme latent a eu aussi cours à l'encontre des vagues italiennes ou espagnoles d'immigration au début du vingtième siècle. Mais si les anciennes vagues d'immigration européennes ont rapidement été absorbées, culturellement et économiquement, il n'en est pas de même pour les vagues de la deuxième partie du vingtième siècle. Et les politiques publiques y sont peut-être pour quelque chose.

L’éducation représente une partie essentielle de la question – et de la solution.

La France s’enorgueillit de son « école de la République », considérée comme un ingrédient essentiel du brassage des diverses catégories sociales et de l’intégration des immigrants dans le « moule républicain ». Quiconque ayant passé un peu de temps dans une école moyenne aujourd’hui pourra témoigner qu’il n’y a malheureusement pas de quoi s’enorgueillir. Le niveau scolaire - et de civisme - a fortement diminué, et notamment dans les banlieues.

Évidemment on peut blâmer Soixante-Huit, son anti-conformisme, sa défiance vis-à-vis de l’autorité et son influence relativiste sur l’éducation. Idem pour le même le virage pris dans les années 1990, lorsque les dirigeants français ont décidé que 80 pour cent d’une génération devait avoir le bac désormais : il fallait suivre le « modèle » japonais. Sauf que les élèves japonais devaient travailler dur afin d’obtenir leur diplôme… En France, on allait au contraire faire baisser le niveau exigé aux examens ! Ce nouveau virage a certainement accéléré la tendance lancée par 1968 en termes de dévaluation du contenu éducatif.

Comme les indicateurs PISA 2013 le montrent, davantage d’élèves français ont des difficultés en mathématiques et l’écart entre les bons et les mauvais élèves se creuse. L’étude PISA a également montré qu’en France, le contexte socio-économique joue un rôle beaucoup plus prépondérant pour expliquer les performances scolaires des élèves que dans la majorité des pays étudiés. Il est clair que l’école de la République ne joue plus son rôle de catalyseur.

Mais il y a pire. L’étude PISA montrait que les enfants issus de l’immigration avaient deux fois plus de chance d’appartenir au groupe d’élèves « en difficulté ». L’école n’est plus l’instrument de « l’intégration » de trop nombreux enfants des banlieues.

Dans de nombreuses écoles, en particulier dans les « Zones d’éducation prioritaires », être un enseignant n’est plus « le plus beau métier du monde » depuis longtemps. Les incivilités, le racisme « anti-français », et la violence envoient les enseignants chez le psy. La peur d’être considéré comme « raciste » si on réprimande un élève s’est graduellement muée en une dangereuse complaisance. Un cercle vicieux de démotivation des enseignants et de violence des élèves a généré un « chaos » dans la salle de classe. Un chaos mental, intellectuel, personnel, social.

Certains ont depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme sur les ravages de cette « fabrique du crétin » (Jean-Paul Brighelli). La bombe à retardement est particulièrement inquiétante dans les ZEP, qui ont été créés en 1981 pour - ironie tragique - réduire les inégalités. Toutes sortes d’expérimentations de « nouvelle pédagogie » y ont été testés, et, malheureusement, sans doute pas les plus intelligentes. Les sanctions pour mauvaise conduite sont devenues rares, laissant de nombreux élèves avec l’impression que la violence est un jeu.

La carte scolaire est également responsable. La mesure oblige les parents à envoyer leurs enfants dans une certaine école publique locale décidée par l’administration. Parce qu’elle empêche les parents de choisir l’école de leur enfant, la carte scolaire les empêche de contrôler effectivement cette dernière, elle les déresponsibilise.

La carte scolaire a fini par créer des ghettos scolaires authentiques. Les enfants de quartiers riches dans les écoles chics et les enfants des quartiers pauvres sont parqués dans ce qui ressemble souvent à des haltes-garderies de la violence. Ironie tragique encore, la carte scolaire est présentée comme une mesure égalitaire.

Malheureusement, en dépit de nombreux débats, elle a été renforcée par les dernières « réformes » du ministre Vincent Peillon en 2012.

Une politique alternative serait le bon vieux système du « chèque éducation » donnant aux parents la possibilité de choisir l’école de leurs enfants, et qui instaurer enfin entre les écoles une saine émulation dans le sens de la qualité. Ce système réinjecterait une responsabilisation bien nécessaire à tous les niveaux : élèves, parents, écoles, enseignants.

Par ailleurs, le modèle français conserve son esprit et sa structure élitistes (malgré la baisse de niveau). Il génère le ressentiment de ceux qui échouent dans les banlieues difficiles, qui se sentent encore plus exclus.

Dans ce modèle également, l’enseignement technique (BEP, CAP) est toujours considéré avec une certaine forme de mépris. Combiné avec la « politique du bac », beaucoup de jeunes dans ces voies techniques ont l’impression d’être traités comme « inférieurs ». D’autres en revanche ne reçoivent pas ce qui pourrait être un enseignement technique utile, et perdent leur temps dans les cursus standard, les conduisant eux aussi à la frustration et au ressentiment.

Un système d’apprentissage sur le modèle suisse ou allemand, fondé sur la responsabilité des entreprises et des apprentis pourrait grandement améliorer l’intégration de ces jeunes – et pas seulement dans les banlieues difficiles, bien sûr.

Le rétablissement de l’état de droit est un impératif

Évidemment, se pose d’abord la question de la pénalisation d’activités qui ne nuisent pas à proprement parler à la société mais qui coûtent énormément en termes de mesures de répression. Il doit y avoir un débat sur la dépénalisation de certaines activités, et une réallocation des ressources vers les délits constituant réellement des atteintes aux personnes et aux biens.

Cela dit, les patrouilles de police doivent être rétablies dans certaines banlieues qui sont devenues des zones de non-droit.

Trop de jeunes délinquants n’ont pas à craindre de peine de prison - ou bien des peines dérisoires. Comme l’analyse fort bien « l’économie de la criminalité », si le crime paie, il sera davantage pratiqué. De ce point de vue, la dernière réforme de la ministre de la Justice Christiane Taubira en 2014 ne va pas, pour l’essentiel, dans la bonne direction.

Ensuite, l’emprisonnement doit aussi constituer une période de réintégration. Malheureusement pour la majorité des prisonniers, c’est une période mise à profit pour développer leurs compétences et réseaux criminels, ainsi que leur colère face à la société. Cette question doit être traitée. Cela signifie éviter des peines dans des conditions trop « gentilles », qui font presque de la prison un club de gym, et des peines trop dures, qui peuvent accroitre la colère des prisonniers à l’égard de la société.

Une option serait de réintroduire le travail systématique dans les prisons. Depuis une loi de 1987, de moins en moins de prisonniers travaillent - moins de 30 pour cent aujourd’hui. Bien que la mise en œuvre d’une telle mesure pose des questions techniques, juridiques et éthiques, le travail apparaît comme la meilleure politique pour la réinsertion des prisonniers, car il leur redonne dignité et responsabilité.

La grande question aujourd’hui est évidemment aussi celle de la propagation de l’islam radical en prison. De nombreux commentateurs disent que les islamistes radicaux doivent être séparés des autres prisonniers afin de mettre un terme à leur prosélytisme. La prison de Fresnes, dans le sud de Paris vient de commencer à expérimenter cette politique. Après les attaques, Manuel Valls a annoncé cinq quartiers spéciaux. Cependant ce genre de confinement crée également une étroite communauté radicale entre les murs de la prison. Ce n’est pas une bonne option. D’autres stratégies doivent être considérées.

Pour que les prisons ne « produisent » plus de criminels - djihadistes ou autre, le gouvernement français devrait se recentrer sur cette mission « souveraine » essentielle (et réduire le financement de projets beaucoup moins urgents).

Sortir de l’exclusion économique

Un autre aspect de l’échec de l’intégration en France a trait à l’exclusion économique de nombreuses banlieues.

L’idéologie républicaine française insiste sur les notions d’unité et d’égalité. L’essentiel des réglementations économiques sont en phase avec ces notions. Malheureusement la réalité est bien souvent celle d’une naturelle diversité sur laquelle il est difficile de plaquer « unité et égalité » sans qu’apparaissent de conséquences involontaires.

A cet égard, le niveau de développement n’est pas homogène entre tous les territoires, villes, etc. Cela peut s’expliquer par les différents niveaux de capital (humain chez les individus, équipements etc. dans les entreprises).

Dans les communautés d’immigrants pauvres, le capital humain peut être faible, et ce, même pour les dernières générations (du fait de l’échec scolaire). Le niveau de spécialisation ou « d’approfondissement » du capital est par ailleurs limité, étant donnée la faible « taille du marché » local des communautés pauvres. En termes économiques, cela signifie que la productivité globale est assez faible dans les réseaux économiques de ces communautés. En toute logique, les salaires devraient y être plus faibles, en cohérence avec une faible productivité. C’est une dure loi de l’économie. Elle ne signifie pas que les salaires ne pourront pas évoluer vers le haut avec la productivité et l’accumulation de capital : bien au contraire, c’est le processus même du développement.

Dans ce contexte, rappelons que la France est adepte de la fixation centralisée d’un salaire minimum national, qui se situe à un niveau assez élevé (61 pour cent du salaire médian en 2013 selon l’OCDE). En dépit des allégements de charges sociales au niveau de ce salaire minimum et un peu au-dessus, les entrepreneurs dans de nombreuses zones économiquement faibles font face à des coûts salariaux trop élevés étant donnée la productivité locale. Une leçon de base de l’économie est qu’un tel salaire minimum agit comme une barrière à l’entrée sur le marché du travail et crée du chômage dans de tels territoires économiques, notamment lorsqu’il est couplé à d’autres rigidités réglementaires du marché du travail.

Le dernier « rapport de la liberté économique dans le monde » publié par l’Institut Fraser classe la France 74èmesur 152 pays dans la catégorie « réglementation ». Les entreprises plus riches et mieux dotées en personnel administratif, dans les territoires économiques plus développés, peuvent « absorber » une réglementation des affaires coûteuse. Cette dernière constitue en revanche un obstacle sérieux pour les entreprises dans les zones les moins développées. Les gens y ont finalement tendance à recourir à l’économie informelle, moins « onéreuse ». Cela signifie alors des plus petits réseaux de spécialisation et un cercle vicieux de faible capital (humain et matériel) et de faible développement.

La sur-réglementation des affaires n’est pas la seule explication de ces ghettos économiques. La planification urbaine a souvent été confiée à des architectes urbanistes s’inspirant de la planification centralisée. Malheureusement beaucoup de banlieues ont été conçues sur ces bases. Bien que ces ensembles soient appelés « cités », ils n’ont rien de la vie de cité. L’idée que les populations devraient être en mesure de librement installer des entreprises dans ces cités était très souvent étrangère à ce type d’architecture.

En outre, comme le rappelle l’économiste Vincent Bénard, il y a des conséquences involontaires à la politique du « logement social » (HLM) : les organismes de logements sociaux sont incités à concentrer les foyers avec une probabilité plus élevée de ne pas payer leur loyer dans des logements de qualité inférieure de banlieue (et de réserver les logements sociaux de qualité plus coûteux, dans les centres-villes, pour les ménages économiquement viables qui paieront leur loyer).

Les pauvres restent ainsi avec les pauvres, intensifiant le cercle vicieux aboutissant, de fait, à un « apartheid » - une expression controversée mais utilisée par le Premier ministre lui-même. Permettre aux habitants de ces banlieues de devenir des propriétaires responsables permettrait de résoudre une partie des problèmes.

L’État-providence français, par le biais de généreuses prestations de ses divers programmes « sociaux », tente de combler les lacunes de cette exclusion économique. Ce faisant, il crée la dépendance et l’apathie – qui ne constitue pas la meilleure recette pour le développement de la dignité des personnes et des familles.

Les populations finissent ainsi par être prises entre le marteau de la réglementation qui exclut et l’assistanat qui dés-intègre. C’est le mécanisme typique de la trappe à pauvreté. De nécessaires réformes doivent donc être entreprises, à commencer sans doute par un assouplissement intelligent de la réglementation des affaires bien plus audacieux que le « choc de simplification » de Monsieur Hollande.

L’exclusion économique et éducative entraîne l’exclusion sociale et culturelle. Les gens perdent tous points de repère. Il n’est pas étonnant que dans un tel environnement, les populations jeunes soient à la recherche de perspectives « excitantes », promises dans une vie de gang, ou d’un moyen de satisfaire leur « besoin doctrinal » (dans le jargon de l’économiste et philosophe Daniel Villey) pour redonner sens à leur vie dans l’Islam radical - ou un peu des deux, dans le jihad.

Le Premier ministre Manuel Valls vient d’annoncer 2680 nouveaux emplois dans la lutte contre le terrorisme et de nouveaux équipements - un investissement d’environ 700 millions d’euros sur trois ans. Il a évoqué une politique de « peuplement » dans les zones sensibles, une notion quelque peu inquiétante. La Ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a promis davantage d’enseignement moral et civique laïc tout au long des cursus primaire et secondaire, un jour laïcité (le 9 Décembre) et des mesures, encore floues, pour faire face à l’échec scolaire et à l’intégration sociale dans les zones difficiles.

Tout cela sent encore le traditionnel paternalisme français. Ce dont les gens dans ces zones difficiles ont besoin c’est d’autonomisation, de perspectives, d’opportunités, de liberté dans la responsabilité. Continuer sur la même voie avec quelques mesures supplémentaires superficielles ne s’attaquant pas au problème fondamental de l’exclusion éducative et économique, toujours davantage de saupoudrage en subventions et davantage de répression, ne feront qu’empirer les choses.

Emmanuel Martin, directeur de l'Institute for Economic Studies - Europe. Cet article est une version française d'un article publié sur Geopolitical Information Service.


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