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It follows, schizophrénie sexiste du genre horrifique

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

It follows, schizophrénie sexiste du genre horrifiqueLe deuxième film de David Robert Mitchell, It follows remplis les salles se targuant sur son affiche d’être prenant et angoissant, ultra flippant, magnifiquement inventif et sublime. Une abondance de superlatifs qu’il convient de nuancer malgré une réalisation soignée et respectueuse de son héritage carpentien. Le film est aussi vilipendé, d’un côté par la presse bourgeois-bohème, l’Obs en tête , qui y voit une propagande pro-abstinence culpabilisante et d’un autre côté par certains militant féministe telle Diglee. Si la première analyse est totalement à côté de la plaque, celle de Diglee soulève un problème intéressant, le corps de la femme en tant qu’argument de vente. Toutefois, l’une comme l’autre passe à côté d’un aspect important de l’œuvre : Détroit et sa classe-moyenne.

Après avoir fait l’amour avec Hugh (Jake Weary), Jay (Maika Monroe) est kidnappée par son amant. Celui-ci lui révèle qu’il est porteur d’une malédiction qu’il lui a refilé à travers l’acte sexuel. Jay se retrouve alors poursuivie par une entité mystérieuse. Sa sœur Kelly (Lili Sepe), sa meilleure amie Yara (Olivia Luccardi), son voisin Greg (Daniel Zovatto) et son ami d’enfance Paul (Keir Gilchrist) vont tenter de lui venir en aide.

It follows, schizophrénie sexiste du genre horrifique

Jay (Maika Monroe)

Interdite par la censure, dans les grandes productions, la nudité fut un temps, des années 60 aux années 80, une caractéristique redondante du cinéma de série B qui prenait là une liberté qu’on refusait de donner aux grands studios. Ces bobines, dont certaines furent de purs navets, sont devenus cultes peu à peu, se voulant sulfureuse pour choquer la bourgeoisie et revendiquer une certaine liberté sexuelle. C’est ainsi que le cinéma horrifique, pionnier en bien des points, se voulant dans les grandes lignes, à la fois cathartique et politique, intégra le sexe dans son ADN. À la fois militant mais aussi tristement mercantile, le marché de la série B, véritable espace de liberté, pour le meilleur et pour le pire, souffre depuis toujours d’une certaine schizophrénie. Ainsi, fut-il le premier grâce à des réalisateurs tel John Carpenter ou George A. Romero a avoir comme héros des femmes, des noirs ou des marginaux. Mais il fut aussi le premier a faire étalage de chairs pour vendre, multipliant les scènes de nues pour les actrices, promptes à faire fantasmer un public d’homme, toutes les situations étant bonnes pour montrer plus de corps féminins. Bien sur, la révolution sexuelle hippies n’a pas abolie les discriminations de genre, pas plus que la lutte pour les droits civiques a abolit la ségrégation raciale et de classe à l’œuvre dans les banlieues d’Amérique et d’ailleurs. Ainsi, nous nous rangeons aux cotés de Diglee pour déplorer que le problème subsiste de nos jours. Comme elle l’a très bien résumée dans sa note de blog, la présence quasi-continue de la nudité de l’héroïne est totalement superflu pour l’intrigue et n’est là que pour le bon plaisir de la gent masculine.

It follows, schizophrénie sexiste du genre horrifique

Kelly (Lili Sepe) et Jay (Maika Monroe)

Coupons court, toutefois, à l’analyse de l’Obs qui dénote d’une lecture primaire de l’œuvre et d’une méconnaissance totale de l’Histoire du genre horrifique. La première des choses à faire pour chroniquer sur une œuvre de ce type, c’est de saisir s’il y a un fond politique à l’intrigue. C’est la raison d’être de ce cinéma qui peut se permettre d’être satirique, car il est indépendant. Cette indépendance, ayant pour des raisons financières, mené aux dérives sexistes que nous évoquions plus haut. Les héros de It follows évolue dans Détroit. C’est indiqué discrètement, notamment à l’intérieur de la piscine municipale. Ils sont poursuivis par un spectre alors que leurs mornes existences, elle-mêmes, évoluent dans une ville fantôme. Enfants des beaux quartiers, ils semblent avoir échappé à la crise, à la disette, aux difficultés qui hantent Détroit. Ils ont reçu une éducation puritaine, apprenant que le plaisir, c’est mal. Ils ont aussi appris à ne pas pénétrer dans le centre-ville déserté où les plus pauvres errent. Tout respire la frustration chez ces jeunes adultes, notamment chez les hommes qui ne voit la femme qu’à travers leur propre désir refoulé. Ainsi, il est vrai que les jeunes hommes de It follows passe leur temps à reluquer les filles mais la mise en scène n’appuie pas leur façon d’être. Au contraire, tout ce petit monde semble terriblement triste. Ce qu’illustre It follows, c’est justement les représentations biaisées de jeunes à qui l’on a appris ni le respect d’autrui ni le respect de soi-même, qui ont grandi dans une ambiance aseptisée et feutrée. Ces gens-là sont remplis de clichés genrés. La menace, qui se transmet comme une maladie sexuellement transmissible est la métaphore parfaite de leur ignorance. It follows ne prône pas l’abstinence, c’est absurde. It follows dénonce les peurs d’une génération que l’on n’a pas éduqué à avoir des rapports sains avec l’autre sexe, problème délaissé par la société et leurs parents, les laissant en proie à tous les clichés. Paul est l’incarnation des conséquences d’une société sexiste. Il ne peut considérer Jay que par l’intermédiaire de ses désirs et ne l’aide, finalement, que pour les assouvir, tentant de se convaincre qu’elle le souhaite. De plus, Greg est quant à lui, l’image de l’homme « normal » hétéronormé qu’on lui renvoi comme exemple à suivre. La volonté commerciale de montrer le maximum de nue féminin est une volonté sexiste de la production et du réalisateur, les héros de It follows ne sont que des gens mal élevés qui se battent avec leurs démons. C’est toute l’ambiguïté de It follows, et de la production horrifique en général qui, dénonçant un certain sexisme en développe d’autres aspects.

It follows, schizophrénie sexiste du genre horrifique

Paul (Keir Gilchrist) et Jay (Maika Monroe)

Ayant tenté de faire la part des choses, les recadrant dans une histoire cinématographique, financière et politique, nous espérons remettre dans leur contexte, des interprétations parfois hasardeuses. Sur un plan purement technique, la force de It follows est certainement de reprendre à bon compte la gestion toute carpentienne de la bande-son qui sert à merveille de support à l’histoire. Pour conclure, disons qu’It follows est à l’image de la société, contradictoire. À la fois, il dénonce un certain obscurantisme et pour ce faire se perd dans des clichés de genres (cinématographique cette fois-ci) à qui ils seraient peut-être bon de tordre le cou.

Boeringer Rémy

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