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"Ni secte, ni force d'appoint" : Syriza expliqué aux Français

Publié le 15 février 2015 par Blanchemanche
#Syriza #Dette

Comment Alexis Tsipras a-t-il renversé la gauche grecque? Et pourra-t-il tenir tête aux dirigeants de la zone euro? Entretien avec le philosophe Stathis Kouvélakis, membre du comité central de Syriza.

Alexis Tsipras, leader de Syriza, vote lors des élections législatives du 25 janvier 2015. (ARIS MESSINIS / AFP)
  • Stathis Kouvélakis est philosophe, spécialiste du marxisme et de la pensée critique, professeur au King’s College. Il a notamment publié «Philosophie et révolution. De Kant à Marx» (2003). Agé de 50 ans, il milite depuis la fin des années 1970 dans les organisations de la gauche radicale grecque. 

L'OBS Alexis Tsipras, le leader du parti de gauche radicale Syriza et nouveau Premier ministre grec, est engagé dans un bras de fer sans précédent avec l’Europe. Vous êtes membre du comité central de Syriza : pensez-vous qu’il a les moyens de résister à la pression de ses partenaires européens?Stathis Kouvélakis Tsipras a prononcé dimanche son discours de politique générale devant le Parlement et nombreux sont ceux qui attendaient l’amorce d’un retrait, voire d’une soumission de la Grèce aux diktats de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, FMI). Il n’en a rien été. Tsipras n’a fait aucune concession de fond.Certes, il a évité d’utiliser le terme «annulation» à propos de la dette grecque. Mais il a insisté sur son caractère non viable et revendiqué sa«diminution» et sa «restructuration». De même, si le smic n’est pas relevé immédiatement à son niveau de 2009 (751 euros, contre 480 euros aujourd’hui), il s’est engagé à le faire courant 2015.Pour le reste, il a repris le «programme de Thessalonique»: mesures d’urgence pour les plus démunis (aide alimentaire, rétablissement du courant électrique, gratuité des transports, couverture médicale), restauration de la législation du travail (notamment les conventions collectives, rendues facultatives à la demande de la troïka), suppression des taxes injustes sur le foncier, réforme fiscale pour faire payer les riches, relèvement du seuil d’imposition à 12.000 euros, réintégration des fonctionnaires licenciés, abolition des privilèges accordés aux médias privés, reconstitution de l’ERT (audiovisuel public), coup d’arrêt aux privatisations, fin de la répression policière contre les mobilisations populaires.Comment un tel programme sera-t-il financé ?Alexis Tsipras a confirmé son renoncement au «programme d’assistance» mis en place par la troïka et demandé une extension de la liquidité accordée aux banques grecques – qu’il a mise en regard des profits engrangés par les banques centrales de la zone euro sur la dette grecque. Il a insisté sur la nécessité d’un budget équilibré mais refusé que tous les excédents primaires soient réservés au remboursement ad vitam aeternam de la dette. Comme il semble exclu que les dirigeants européens tolèrent ne fût-ce qu’une partie de ce programme de travail, on se trouve donc bien dans une logique de confrontation.Jusqu’à la rupture ?La fin de non-recevoir des dirigeants européens à Syriza depuis deux semaines et la décision de la BCE de fermer l’un des robinets qui alimentent les banques grecques en liquidités ont révélé la nature véritable des institutions européennes: elles sont là pour imposer des politiques d’austérité sans tenir compte des mandats démocratiques des gouvernements élus.Tsipras a répété que la souveraineté nationale et démocratique et la dignité du peuple grec ne sont pas négociables. Enfin, il a remis sur le tapis le remboursement du prêt imposé à la Grèce par l’occupant nazi et jamais remboursé par l’Allemagne. Manolis Glézos, 92 ans, se voit confier la tête de la délégation chargée de porter cette revendication. Une figure mythique en Grèce: ce jeune patriote était parvenu en mai 1941 à dérober le drapeau à croix gammée qui flottait sur l’Acropole. Ce fut le premier acte de résistance en Grèce. Autant de déclarations qui sont un véritable appel à la mobilisation populaire. Nous sommes peut-être à la veille d’événements importants qui vont changer le cours des choses en Grèce et en Europe.Militant communiste depuis votre jeunesse, vous avez participé à la naissance de Syriza. Quelles sont les origines de ce parti?Syriza est le fruit d’un processus de recomposition de l’espace politique à gauche de la social-démocratie, processus engagé à partir des années 1970. La singularité de la Grèce est que cette «gauche rouge», issue du communisme, est toujours restée puissante, si bien qu’une dynamique a pu naître, qui a abouti à la victoire du 25 janvier.Tout s’est joué dans la séparation progressive du Parti communiste historique en deux branches. D’un côté, une branche stalinienne, qui existe toujours sous le nom de KKE (5,5% des suffrages au dernier scrutin) et qui est très hostile à l’expérience en cours. De l’autre, une branche hétérodoxe qui, après avoir rompu avec le moule soviétique, a donné naissance en 2004 à Syriza et su attirer autour d’elle d’autres forces de gauche: d’abord certaines formations d’extrême gauche ; puis les altermondialistes, les féministes, les écologistes ; et plus récemment les déçus du Pasok (Parti socialiste) et les citoyens venus à la politique avec la crise de la dette.Ailleurs en Europe, les ex-communistes ont perdu l’essentiel de leur influence. En Grèce, au contraire, ils forment l’ossature du nouveau parti. Comment expliquez-vous cela?En Grèce, les communistes ont été au premier rang de la lutte populaire contre le régime des colonels, notamment avec le soulèvement des étudiants de l’Ecole polytechnique d’Athènes en 1973, dont la répression sanglante a précipité la chute de la dictature. Lors du retour de la démocratie l’année suivante, ils jouissaient d’un prestige immense et, chaque année, de grands défilés honorent la mémoire de la révolte étudiante.Aux élections, la gauche communiste s’est toujours maintenue dans une fourchette allant de 8 à 15%. C’est à l’intérieur de ce bloc que les chemins se sont séparés, entre le KKE, qui s’est enfermé dans une logique sectaire et stalinienne, et les hétérodoxes. Un point important est que ces hétérodoxes, à la différence des communistes français par exemple, ont refusé l’alliance mortelle avec le Pasok. Ni dérive sectaire ni transformation en forces d’appoint: c’est en tenant cette ligne que Syriza est devenu une alternative crédible.Durant toute cette période, comment a évolué le Pasok, que l’on compare souvent au PS français ?Il faudrait plutôt le comparer au PRI mexicain, tant le Pasok s’est profondément installé dans l’Etat grec. Or celui-ci diverge du modèle européen occidental. Issu d’une victoire militaire – celle de la guerre civile en 1949 –, c’est un pouvoir qui redistribue par prébendes et réseaux clientélistes.La dépense publique est longtemps restée très faible et c’est seulement dans les années 1980 que le Pasok a mis en place un véritable système de santé et de retraites, ce qui explique la popularité dont il a joui longtemps. Mais sans augmenter les impôts pour financer ce début d’Etat social. C’est ainsi que la dette a commencé à enfler.A partir de 1996,  Simitis, le «Rocard grec», libéralise le système financier. Tout le monde se met à jouer en Bourse, l’immobilier s’envole et les Jeux Olympiques de 2004 marquent l’apothéose de cet enrichissement artificiel. Afin de qualifier la Grèce pour l’euro, le même Simitis maquille les comptes publics, avec, déjà, l’aide de Goldman Sachs. C’était l’âge d’or de la mondialisation financière… mais aussi du mouvement altermondialiste !Comment des ex-communistes ont-ils réagi à cette nouvelle forme de contestation ?Syriza a su s’en nourrir et cette capacité à se laisser imprégner par les nouveaux mouvements sociaux a été un élément déterminant de la dynamique qui a conduit à la victoire. Par exemple, depuis 2010, des réseaux de solidarité informelle se sont créés (dispensaires sociaux, réseaux d’entraide), formant un vivier de militants dont une partie a rejoint Syriza.En Grèce, adhérer à un parti, ou le soutenir, reste un geste assez naturel. Tout comme le vote: le taux de participation aux élections universitaires est de 70% ! Même une partie des anarchistes, très actifs dans les réseaux de solidarité, soutient Syriza. A Exarchia, le quartier «anar» d’Athènes, Syriza a fait un carton.Comment une coalition contestataire se transforme-t-elle en parti de gouvernement ?Tout bascule avec l’occupation de la place Syntagma au printemps 2011. Des pans entiers de la société ont vu leur monde s’effondrer. Ce mouvement avait un aspect «plébéien», avec des ouvriers, des salariés, des membres des classes moyennes frappées par la crise. Syriza s’est mis à l’écoute du mouvement sans essayer de le manipuler, mais en proposant un débouchépolitique.L’analyse des résultats du 25 janvier montre que le parti a considérablement élargi son implantation, dans les zones rurales comme dans les quartiers ouvriers. En Crète, il déloge le Pasok. Dans la 2e circonscription du Pirée, où les dockers votaient KKE depuis toujours, celui-ci est tombé à 8% et Syriza a fait 42%. A contrario, à Kolonaki, le quartier branché d’Athènes, et dans la banlieue bourgeoise, on assiste à une poussée de la droite. Syriza n’est pas le parti des bobos !Vue de France, l’alliance avec le parti nationaliste des Grecs indépendants (Anel), connu pour ses positions xénophobes et ses liens avec l’Eglise orthodoxe, est inquiétante. Tsipras a répondu à cette inquiétude dimanche en annonçant l’octroi de la citoyenneté à tous les enfants d’immigrés nés en Grèce. Il a insisté sur la mission du nouveau ministère de l’Immigration, qui devra protéger les droits humains et la dignité des personnes. Preuve, s’il en fallait, que la participation de l’Anel au gouvernement n’a modifié en rien nos positions sur ces questions.En cas d’échec de la négociation avec l’Europe, Tsipras pourrait-il être tenté de demander des lignes de crédit à la Russie, ou à la Chine ?Si les crédits européens devaient être brutalement interrompus, il n’aurait pas d’autre choix que de se tourner vers des sources alternatives de financement. En Grèce, la Russie est perçue comme un pays ami à droite comme à gauche. Syriza n’a aucune affinité idéologique avec le régime de Poutine, qui n’est certes pas une grande démocratie. Mais, à mon sens, il y a bien pire sur la planète, par exemple les pays du Golfe, qui financent le terrorisme et décapitent les femmes en public: pourtant, les gouvernements occidentaux se bousculent pour faire des affaires avec eux.Et si Tsipras, face au refus de l’Europe, devait se résoudre à plier?Ce serait un acte suicidaire, qui conduirait à un effondrement de Syriza.Propos recueillis par Eric AeschimannEntretien paru dans "l'Obs" du 12 février 2015.http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20150213.OBS2496/ni-secte-ni-force-d-appoint-syriza-explique-aux-francais.html

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