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Une brique dans la mare

Publié le 17 février 2015 par Arsobispo

J’avais accompagné mon épouse faire des courses dans ces immondes centres périphériques des grandes villes voués à la consommation. Pendant qu’elle effectuait ses achats, je m'étais fourvoyé dans une grande surface culturelle, peut-être la Fnac ou Cultura, peu importe, à la recherche de livres, espérant y découvrir quelques pépites. Le magasin était immense, de nombreuses tables de présentation supportant des tonnes de bouquins. Bien au milieu des allées, des étagères supportant d’autres livres, tous les mêmes, tous consacrés sans doute à un ouvrage probablement incontournable, « 50 nuances de merde ». La quantité venant clairement désigner la qualité au consommateur. Non pas une quelconque valeur littéraire, quoique je ne peux l’affirmer ne l’ayant pas lu, mais une valeur commerciale certaine. Je me suis alors adressé au responsable du rayon, lui demandant l’intérêt de cette profusion d’exposition pour un seul livre. « Ce sont les ordres de la direction ».m’a-t-il répondu. J’avoue que je suis resté sans voix. Quelles peuvent être les motivations de la direction d’une grande chaîne de distribution à consacrer ainsi un tel livre ? Si tout le monde se l’arrache, est-il nécessaire de l’exposer ainsi ? Une seule étagère aurait pu suffire. Non, là, seul ce nanar gangrenait l’espace. Un bouquin dont tout le monde parle, a-t-il besoin d’une telle visibilité ? L’explication devait être ailleurs ? La direction devait avoir d’autres intérêts pour faire en sorte de l’imposer au public. Quel est le profil d’une telle stratégie ? L’éditeur proposerait-il des avantages spécifiques, des remises exceptionnelles en fonction du nombre de ventes ? Je ne comprends pas. Un lieu qui se veut culturel et qui fait de la vente en gros ! J’ai cherché plus loin, sur les tables, ce que ce « temple de la culture » proposait, ce qu’il pouvait avoir déniché, ce qu’il avait découvert. Que dalle ! Les sempiternels titres des grandes maisons d’éditions dont parlaient tous les médias nationaux, à longueur de journées, sur les ondes comme sur les chaînes, ceux que Google nous proposent en priorité lors de la moindre recherche de livres. Avec ma liste d’ouvrages de petits éditeurs, j’étais bien mal barré. Je suis quand même retourné voir le chef de rayon qui m’observait faire le tour de ses tables de livres pré-cuisinés à foutre au four micro-ondes plutôt que dans les mains d’un lecteur. Il me regarda d’un œil suspicieux. «Excusez-moi, je ne trouve pas un livre dans vos rayons. Il m’interrompit :

- Oui, lequel ?

- « Yegg. Autoportrait d'un honorable hors-la-loi » de Jack Black chez Les Fondeurs de Briques

- Quel éditeur, s’il vous plait ?

- Les Fondeurs de Briques ».

De suspicion, son visage passa en mode ahuri. « Les Fondeurs de Briques ?

- Oui, Les Fondeurs de Briques, répétais-je ».

Il baissa la tête et se mit à tapoter sur son clavier d’ordinateur. J’en profitais pour lui déclarer « vous savez, il s’agit d’un formidable éditeur qui vaut largement celui qui publie le bouquin pour pucelles que vous étalez partout ». Il fit semblant de ne pas entendre et détourna la conversation. « Quel titre m’avez-vous dit ?

- Bien visiblement, il n’y a pas de libraire ici, seulement des vendeurs de fruits, légumes et accessoirement de ces objets appelés communément livres que l’on peut-peut-être bouffer avec quelques assaisonnements comme tout rongeur le fait depuis des siècles. Puis je repris, je vais donc me répéter ; le titre : Yegg. Autoportrait d'un honorable hors-la-loi. L’auteur : Jack Black. L’éditeur : Les Fondeurs de Briques. Vous voulez peut-être le diffuseur ?»

Il ne me répondit pas, tapotant sur son clavier, puis prenant de longs instants à lire son clavier.

« Ah, je l’ai, m’annonça-t-il enfin. Et de me déclarer à nouveau, Yegg. Autoportrait d'un -honorable hors-la-loi. de Jack Black.

- Bravo ! Je peux l’avoir ?

-Ah non, il faut que je le commande.

-Vous venez de me dire que vous l’avez !

-Non, je l’ai trouvé, mais je n’en ai plus en stock.

-Prenant un air de profonde surprise, non, c’est vrai ! Vous l’avez eu en stock ?»

Au lieu de répondre, il réitéra sa question, « voulez-vous que je vous le commande ?

- Non merci, quitte à passer commande, je préfère m’adresser à mon petit libraire de province. Un vrai libraire, qui a sans doute mis ce livre sur sa devanture en lieu et place de ce bouquin-là, lui répondis-je en désignant d’un air dégouté "50 nuances de merde".

Puis, je tournais les talons ; « Au revoir… puis me reprenant, Pardon, ADIEU »

J’avoue qu’aujourd’hui encore, cet étalage monstrueux au détriment de la diversité me soulève le cœur. En sortant, je pestais contre ce type de magasins. Je peste encore car je ne comprends toujours pas les raisons qui les poussent à mettre en avant des livres, que dis-je, des produits, au détriment d’autres, sans d’autres raisons que de céder à une campagne publicitaire organisée avec de gros moyens. Mais pourquoi donc agissent-ils ainsi ? Lorsqu’on pénètre dans une librairie, n’est-ce donc pas pour acheter un livre. Voire plusieurs. Soit, on sait déjà quel livre on désire, et peu importe s’il s’agit de celui dont tout le monde parle, soit on désire simplement lire un ouvrage correspondant à nos propres goûts. Dans ce cas, on se laissera tenter par un nom d’auteur, une jaquette, une quatrième de couverture, le commentaire du libraire. Mais, pour ce qui me concerne, je ne cèderai jamais à cet étalage tentaculaire qui est une véritable agression envers mon libre-arbitre. Cette visibilité aveugle aux deux sens du terme !

Ces grandes surfaces prenant la vague d’une grande campagne de marketing me font penser à un tsunami détruisant toute la culture sur son passage.

Honte à eux.

Ah, au fait, soyons clair. Je ne touche aucun subside de la remarquable maison des éditions « Les Fondeurs de Briques ». 


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