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Cynique, le Likoud pille la création palestinienne…

Publié le 17 février 2015 par Gonzo

turabiyyé

Al-Ghorbah – (الغربة) l’exil, la douleur de l’absence, d’être ailleurs – est un de ces mots qui sont tellement partagés d’un bout à l’autre du monde arabophone qu’on les retrouve dans d’innombrables créations artistiques. Dans la chanson en particulier, aussi bien au Maghreb qu’au Machrek, c’est le titre de plus d’un morceau. Parmi les plus récents (2012), une composition du groupe Torabyeh (ترابية : tempête de sable), cinq rappeurs vivant à Amman depuis que leur famille a dû quitter la Palestine, en 1948 pour certains d’entre eux.

On en parle dans la presse arabe parce que le Likoud israélien n’a rien trouvé de mieux que d’utiliser ce morceau comme bande son d’un des clips de campagne de son leader Benyamin Nétanyahou. Comme l’explique cet article de 972mag, un site (anglophone) particulièrement intéressant sur la question palestinienne, il s’agit en gros de convaincre les électeurs israéliens que « voter à gauche, c’est voter Isis » (à savoir l’Etat islamique, ou encore Daesh). Le scénario est minimal : un pick-up s’arrête, des barbus jihadistes demandent le chemin de Jérusalem – avec un très comique accent arabe en hébreu paraît-il. « Prends à gauche », répond un quidam, juste avant que s’affiche le slogan : « La gauche se soumettra au terrorisme. » (Plus de détails dans l’article déjà linké, et pour le clip, c’est ici.)

Comme de nombreux Israéliens pour lesquels les Palestiniens n’existent pas (et n’ont par conséquent aucun droit), il va sans dire que les auteurs de ce clip du Likoud se sont dispensés de la moindre autorisation pour utiliser une œuvre musicale en principe protégée par des lois auxquelles l’Etat israélien adhère. Il faut tout de même reconnaître qu’ils auraient certainement été très mal reçus car les membres de Tourabyeh, comme la quasi totalité des groupes de rap arabe, sont très actifs politiquement.

Malheureusement, et bien qu’ils vivent au cœur du monde arabophone, l’immense majorité des électeurs israéliens ne parlent pas l’arabe (sauf quelques injures et quelques mots indispensables pour se faire obéir, à l’image des colons français d’autrefois). Ils ne prendront donc même pas la peine d’essayer de comprendre les paroles diffusées en fond sonore de la propagande du Likoud. C’est dommage car ils découvriraient un message assez radical (mais peut-être que ça les inciterait à voter encore plus à droite !) :

بس بدي مكان أضمن فيو حق إبني
آنا مش قاتل بس قادر أجرم من أجل حقي
عشان وطني قلمي قاعد بكتب باسمي
بديش مجندة اسرائيلية تمنع دفني بوطني
بدي أندفن بنفس المقبرة إللي اندفن فيها جدي
ونا من طفولتي بحلم لما أكبر أصير جندي
مع الوقت إكتشفت لمين بدي أنتمي
محمود عباس فتح حماس ولا جبهة
خليني حر حواري لإنهم كلهم مرتزقة
مش قادر أتعامل مع شعب عايش جوا كذبة
الصورة حلوة والخلفية مدمرةا

Je veux juste un endroit où je pourrai être sûr que mon fils a des droits
Je ne suis pas un assassin mais je pourrai devenir un criminel pour mes droits
Pour mon pays, mon stylo écrit pour moi
Je ne veux pas qu’une soldate israélienne m’empêche d’être enterré chez moi
Je veux être enterré là où il y a déjà mon grand-père
Depuis que je suis petit, je rêve d’être un combattant
J’ai fini par comprendre avec qui j’étais, avec le temps :
Pas Mahmoud Abbas, pas le Hamas, pas le Front [de libération de la Palestine]
Arrête, ce sont tous des mercenaires !
Je ne peux pas vivre avec un peuple qui est dans le mensonge
L’image est belle, mais, à l’arrière-plan, il n’y a que des destructions…

Sans se faire beaucoup d’illusions, Turabyeh – qui a publié un communiqué aussi clair que radical sur sa page Facebook – a chargé un avocat palestinien en Israël d’intenter une action en justice

Le clip réalisé pour Ghorbah, assez réussi musicalement, est très impressionnant. Sans doute, comme l’écrivait en 2012, l’auteur d’un article repris sur l’excellent blog Revolutionnary Arab Rap (silencieux malheureusement depuis octobre dernier), parce que les images de la jeunesse bâillonnée évoquent la révolte étouffée des jeunesses arabes. Mais aussi, désormais, parce que ces bandeaux noirs qui aveuglent les victimes, avant leur révolte, font écho aux images atroces d’exécution que diffuse l’Etat (prétendument) islamique. Ce qui ne fait qu’ajouter à l’odieux cynisme dont témoigne (s’il en était encore besoin) l’équipe de l’actuel Premier ministre. Il est en effet avéré que des officiels de l’actuel gouvernement, celui de Benyamin Nétanyahou par conséquent, sont allés s’enquérir de la santé de quelques-uns de ces combattants jihadistes, “réfugiés” du front du Golan syrien et discrètement soignés dans les hôpitaux israéliens dans le nord ! (Il se murmure que c’est un Etat du Golfe qui pait la facture…)

Ghorbah, par Turabyeh (les paroles – déjà dans les sous-titres de la vidéo – sont disponibles ici en anglais, et en arabe). Ceux qui regarderont le clip noteront que le flow du rap est coupé, en deux endroits par une sorte de pause, à la fois dans la scansion et la musique. Moment pour les trois rappeurs d’Amman de glisser un salut musicla (et militant) à Ziad Rahbani et à son célèbre et ironique Anâ mesh kâfir (Je ne suis pas un mécréant, c’est la faim qui est sans religion, et l’injustice…)

Un conseil à tous ceux qui s’inquiètent de la fascination qu’exercent les fous-furieux de Daesh : écoutez la révolte de Turabyeh et de la jeunesse arabe, et donnez-lui l’espoir que sa soif de justice trouve un écho, y compris chez les nantis, d’ici et de là-bas.


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