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Esprit(s): la température de nos convictions

Publié le 20 février 2015 par Jean-Emmanuel Ducoin

L'après-11 janvier suscite bien des interrogations. Légitimes.

Esprit(s): la température de nos convictions
Réflexion. Plusieurs lectures vivifiantes, ces derniers jours, sur le thème «Quel avenir pour la France du 11 janvier?». Sous-entendu: l’impressionnant et revigorant mouvement citoyen – par son nombre et son exigence revendiquée – né au lendemain des odieux attentats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher passera-t-il l’hiver? Les avis divergent. Nous-mêmes, qui savons ce que coûte tout optimisme candide, ne sommes pas à l’abri de déconvenues. Si l’événement de ces tueries marque, peut-être, l’avènement de la «déterritorialisation du monde», comme le suggère le juriste Antoine Garapon, dans la dernière livraison de la revue Esprit, en tant que fin du lien historique entre territoires et populations, individus et nations, doit-on pour autant aller jusqu’à penser, comme Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, que l’esprit du 11 janvier serait à la fois «celui d’un pacte républicain réaffirmé comme celui d’une communauté nationale disloquée»? L’affaire s’avère sérieuse.
Ainsi, la «synchronisation des émotions» dirait tout et son contraire, et jetterait un regard cru sur les failles de la société française plus que sur ses points forts. Rosanvallon l’affirme: «Seule la France impliquée s’est mobilisée spontanément, alors que la France marginalisée n’est pas venue manifester.» Il nous invite donc à passer du réflexe à la réflexion, comme si les conséquences de «l’esprit du 11 janvier» étaient déjà évaluées jusqu’à l’excès. Dont acte. Dans cette France où les tentatives de faire-société sont régulièrement mises en échec par les politiques libérales et la marchandisation à toutes les étapes de nos vies quotidiennes, les revendications d’un vivre-ensemble radicalement différent seraient peine perdue. Ne seraient-elles pas exprimées massivement? N’avons-nous pas assisté et participé à un sursaut républicain, à un moment hors du commun de fraternité et de gravité jamais vu depuis la Libération? Mais qu’aurions-nous dit d’une France inerte, indifférente, passive?
 Raison. «Esprit» du 11 janvier, qu’as-tu à nous dire? Pour le philosophe allemand Peter Sloterdijk, présenté par le Monde comme un observateur avisé de la vie intellectuelle française, il n’y aurait pas de doute: «La France a eu de la chance de connaître un réveil aussi vif qu’important. Ce retour de la société civile et cette prise de conscience politique dans un pays aussi étatisé et atomisé que la France a quelque chose d’inouï vu de l’étranger.» Sloterdijk parle de «conscience politique». Sans doute va-t-il un peu vite en besogne, mais acceptons-en l’augure. Car il ose prophétiser ceci: «Hypnotisé par l’État-providence, déçu par la présidence de Hollande, déprimé par sa grandeur perdue, ce pays était tombé dans un sommeil artificiel et empoisonné.» Et il ajoute, comme pour enfoncer le clou: «Comme aurait dit Hegel, la tragédie elle aussi peut être une ruse de la raison. Elle a réveillé une nation dépressive et repliée sur elle-même. Or, du point de vue psychologique, la France est en meilleur état depuis le 11 janvier.» Après Pierre Rosanvallon, qui attire notre attention sur cette «France du retrait» et cette partie de nos concitoyens «en train de faire sécession», qu’ils soient héritiers de l’immigration ou non, nous écouterons aussi Peter Sloterdijk, qui nous incite collectivement à «élever la température de nos convictions», ce qu’il appelle «une vie un peu moins paresseuse». Autrement dit, attachons-nous à l’essentiel : réinventer la politique. L’après-11 janvier suscite bien 
des interrogations. [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 février 2015.]

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