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Réalité de Quentin Dupieux

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 5/5 

Aujourd’hui, en rentrant chez moi, je reçois un colis à mon nom alors que je n’attendais rien. En l’ouvrant, j’aperçois une toute petite boite sur laquelle est collée, en minuscule, l’affiche du film. Il y a un bouton, je m’empresse d’appuyer dessus pour finalement entendre un cri suivi d’un « Kubrick, mes couilles ». En réalité, il s’agit d’un coup de com envers la rédaction de La Nuit Du Blogueur relevant du génie. Alors, le film, lui, est-il au niveau des espérances ?

© Diaphana Distribution

© Diaphana Distribution

En 2001 sort la première production cinématographique de Quentin Dupieux : Nonfilm. 14 ans plus tard, sort son deuxième titre français : Réalité, parallèlement son sixième film. Entre temps, nous avons un long parcours : une production musicale qui ne cesse d’augmenter, avec des albums très remarqués comme Lambs Anger (avec comme pochette de couverture sa mascotte reprenant l’image célèbre d’Un Chien Andalou, le goût et l’orientation  »cinéma » sont toujours très prononcés) ; des films qui ont le mérite de secouer le cinéma français, et l’apparition d’un public pro-Dupieux. Car oui, Quentin Dupieux, dit aussi Mister Oizo sous son nom de DJ, possède la force incontestable, à travers sa filmographie, de rallier le cinéphile absolu au simple cinévore, et toujours avec la même recette : faire du contemporain sans spécialement, en apparence, chercher du sens dans ce qu’il entreprend. 

La recette est simple : chercher le non-sens.

Mais alors, qu’en est-il pour un film s’intitulant Réalité

C’est là le paradoxe. L’essence de ses films. Le No Reason.

« il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir »

Q.D.

Dans Realité, Quentin Dupieux fait le portrait de plusieurs personnages avec, pour chacun, des objectifs plus ou moins assimilables. L’histoire est très simple et pourrait tenir sur une ligne. Une petite fille, Reality, aperçoit dans les tripes d’un sanglier que son père éventre, une cassette, et désire la récupérer. Un vieux cadreur télé (Alain Chabat) retrouve un ancien collègue producteur qui lui propose de produire son film de série Z, où les hommes exploseraient à cause des ondes télés, à condition de trouver le meilleur rugissement du cinéma. Ce même producteur (Jonathan Lambert) produit un film d’auteur d’un ancien documentariste qui tente d’enregistrer l’endormissement de son actrice principale, la petite fille Reality, cette même fille qui recherche la cassette. Le présentateur d’une émission culinaire est persuadé de souffrir d’eczéma alors qu’il ne présente aucune trace d’inflammation : cet eczéma l’attaquerait de l’intérieur. Dans l’établissement scolaire de Reality, le directeur se déguise en femme. Le chemin de tous ces personnages va se croiser, s’entremêler, s’entrelacer, souvent de manière improbable par le rêve. On finit par ne plus dissocier le réel et l’irréel. Ne plus savoir si nous sommes dans un rêve ou non. On rigole d’Inception.

L’ultime point fort de Réalité est d’être le film le plus construit de Quentin Dupieux… parce qu’il est le plus déconstruit : maîtrise totale de la déconstruction. Il ne joue pas de ses propres compositions musicales, contrairement à ses anciens films. Le seul usage musical ici utilisé est celui du synthé fulgureux de Philip Glass, Music With Changing Parts, une composition à répétition d’une heure et une minute qui permet d’accentuer à la perfection le sentiment d’irréel dans le film. Et pourtant, malgré cette absence de production musicale, le scénario correspond à une certaine logique de composition, où chaque piste (chant, guitare, basse, batterie…) pourrait être un personnage. En juxtaposant le chemin de ces personnages, l’équilibre du film prend vie, à la manière d’une musique. Et c’est là le pouvoir du film : poser un équilibre parfait, et le détruire inconsciemment en y rajoutant l’étrangeté du rêve par des codes de l’inquiétante étrangeté lynchienne (on ne peut ignorer des influences comme celle de Mulholland Drive ou Lost Highway), ou de l’insalubre Cronenberg (Videodrome pour l’aspect de série Z malsain, la relation avec les écrans et le numérique) en favorisant, contrairement à ces deux-là, l’aspect édénique du rêve plutôt que cauchemardesque.  

© Diaphana Distribution

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A ce niveau, Réalité ressemble à Rubber : on rend hommage au cinéma et à la construction d’un film, cette fois de manière plus épurée, loin derrière le mad movie geek mais constamment bercé par une lumière vive, blanche, opaque, le semblant photographique de réalité (encore une fois, on oppose une chose et son contraire, derrière l’irréalité dans laquelle nous plonge finalement l’histoire, l’image se veut purifiée). Et surtout, le rapport à l’absurde est poussé à son comble, comme si derrière l’improbable, le « sans raison », se cachait une logique complètement parfaite et cohérente. Cette logique trouve complètement sa place dans les rêves. Le film essaie de capter cette sensation imparfaite que nous avons en demi-sommeil, où il devient difficile de savoir si le rêve que nous venons de faire correspond à la réalité, ou non. Et c’est parfaitement réussi.

Contrairement aux autres films de Dupieux, l’aspect comique est ici beaucoup plus implicite. Là où Wrong se voulait expressément comique par l’absurde, Réalité tend plus vers le désir d’étrangeté, d’illusion, toujours en gardant, bien sûr, un goût aigu pour les situations comiques (le professeur qui s’habille en femme parcourt beaucoup de kilomètres pour demander à un homme s’il est le vieux qui vit ici pour finalement lui dire qu’il n’en a rien à foutre. Une grande scène du film). Ce comique, il vient surtout des acteurs. La réplique « Kubrick, mes couilles » que livre Alain Chabat ferait frémir La Cité de la Peur. On a cette vague impression qu’ils jouissent de l’univers dans lequel les place Dupieux, qu’ils prennent un pied monstre à jouer le grand n’importe quoi, l’irréalité, et à en être l’essence même. Jonathan Lambert, dans son rôle de riche producteur, nous laisse sans mot tellement le personnage se confond avec l’acteur, les deux n’en formant plus qu’un. Alain Chabat reprend un grand coup de jeunesse, et Elodie Bouchez est plus qu’à l’aise dans sa place de psy rabat-joie. 

© Diaphana Distribution

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Réalité, c’est donc le film qui devrait mettre tout le monde d’accord sur le génie, en tant que cinéaste, de Dupieux.

Thomas Olland

Film en salles depuis le 18 février 2015


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