Magazine Société

Refuser de laisser des mineurs isolés dans les rue de France est un devoir

Publié le 17 janvier 2015 par Asse @ass69014555

De nombreux jeunes mineurs étrangers et isolés, sans ressources propres et sans famille, errent et dorment de plus en plus nombreux dans les rues de France !

Repérés par des particuliers et des associations, ils sont parfois inscrits dans des associations qui ont vocation de défendre leurs droits et de leur prêter assistance. A Paris, cette prise en charge est déléguée par la Mairie à la PAOMIE (Permanence d'accueil et d'Orientation des Mineurs Isolés Étrangers) qui a pour vocation d'assurer selon ses propres termes " le premier accueil des mineurs isolés étrangers (MIE) sollicitant protection au titre de leur minorité déclarée. " Un protocole signé avec l'Aide sociale à l'enfance (ASE) prévoit les modalités de fonctionnement de ce service : une évaluation de leurs situations est effectuée afin d'orientation par tranche d'âge : les moins de 16 ans sont orientés pour une prise en charge immédiate au SEMNA, les MIE de plus de 16 ans sont orientés vers des dispositifs de mise à l'abri de France terre d'asile (les filles vers la Croix Rouge). Les jeunes dont l'évaluation conclue à un doute sur la minorité se voient remettre une fiche d'information permettant de donner suite à leur demande de protection. Des places d'hôtel sont disponibles pour héberger des jeunes évalués mineurs en attente d'une mise à l'abri. Une orientation vers les services hospitaliers est assurée en cas de nécessité.

Mais ça... c'est l'intention. La réalité est nettement moins rose !

Que se passe-t-il alors pour ces jeunes qui se présentent aux bureaux de la PAOMIE ? (guichet unique pour l'accès à l'ASE) ? Absolument rien puisque la PAOMIE ne propose que 25 hébergements par nuit alors que chaque soir 60 à 80 jeunes s'y présentent dans l'espoir d'obtenir une nuit d'hôtel. Elle sélectionne alors les jeunes qu'elle héberge parfois pour une seule une nuit : ceux qui n'ont pas été choisis sont renvoyés à la rue et doivent revenir le lendemain, puis le surlendemain et ainsi de suite.

Lorsqu'il y a doute sur l'âge, on pratique en France un test osseux dont la fiabilité est plus que douteuse (voir ci-dessous). L'admission à l'ASE ? Tant que les droits ne sont pas ouverts, aucune prise en charge ! Les délais sont interminables : plusieurs semaines, voire mois, passent sans que la présomption de minorité - et donc tous les droits qui s'y rattachent - ne soit appliqués à ces jeunes...
Depuis la circulaire Taubira du 31 mai 2013, les coûts liés à l'accueil d'urgence provisoire de ces mineurs sont pris en charge par l'État et non par la Ville. Ainsi, à Paris, l'argument selon lequel la Ville de Paris et France Terre d'Asile sont débordés par un afflux de mineurs isolés est irrecevable.

La décision de laisser les mineurs isolés à la rue, dans toute la France, relève donc bien d'un choix politique puisque l'application de leurs droits est à la charge de l'Etat !
Pendant ce temps là, à l'instar de tous les sans-abris, les mineurs isolés se retrouvent dans des situations de précarité absolue ! Comment suivre des études quand on dort à la rue ? Comment se soigner sans aucune prise en charge ? Comment entretenir son linge quand il n'y a pas de prise en charge et de reconnaissance et que les structures dédiées à cet aspect de la misère sont déjà totalement débordées ? Comment s'habiller dans un vestiaire sans aucune reconnaissance administrative ou sociale du statut qui permet d'y accéder ? Comment dormir au chaud puisque le 115 refuse la prise en charge des mineurs et peine déjà à abriter les adultes ?

Si l'entraide-citoyenne et la bonne volonté existent, elles ne sauraient se substituer à l'application de la loi et aux prérogatives de l'Etat qui se montre capable d'héberger 15.000 personnes pris dans une tempête de neige en Savoie mais d'incapable d'héberger quelques dizaines de jeunes à Paris ou en province !

Hier, citoyens et associations demandaient lors d'un rassemblement place du Châtelet :

  • une mise en application de la présomption de minorité comme le prévoit la loi
  • l'interdiction des examens osseux (voir ci-dessous)
  • une prise en charge de tous les mineurs isolés étrangers et non seulement un sur deux
  • l'augmentation des contrats jeunes majeurs jusqu'à 21 ans

Il nous appartient à tous de demeurer vigilant et revendicatif pour que cette situation cesse dans les meilleurs délais. En attendant, il appartient à chacun d'entre nous de prêter assistance non seulement aux personnes en danger, mais aussi aux mineurs isolés !

Communiqué du Gitsi à propos du rassemblement du 16 janvier 2015

Face à la situation d'extrême urgence et de détresse des jeunes collégiens et lycéens qui dorment dans la rue - une cinquantaine de situations connues dans les établissements parisiens (dont 3 nouveaux élèves du lycée Hector Guimard, 5 élèves du lycée Étienne Dolet, 2 de l'EREA Édith Piaf mais également dans les lycées Dorian, Poiret ...), la mairie de Paris prépare une table ronde. Cette réunion prévue le 19 janvier portera sur les problèmes de non-prise en charge des mineurs et jeunes majeurs isolés à la rue.

Qu'ils soient déjà scolarisés ou qu'ils relèvent de la PAOMIE (Permanence d'Accueil et d'Orientation des Mineurs Isolés Étrangers), le fait que la ville de Paris laisse tous les soirs, en plein Paris, des jeunes livrés à eux-mêmes face aux dangers de la rue, nous est insupportable.

Cette réunion représente une chance de voir se parler les institutions qui se renvoient la balle sur cette question depuis trop longtemps : les services de l'État, la Région, le département et la ville de Paris.

Nous soutenons les parents, lycéens, personnels des établissements et appelons à un rassemblement Place du Châtelet le 16 janvier à 16:00 pour qu'une réelle solution soit proposée aux élèves à la rue, comme cela a été fait pour les 9 élèves du lycée Hector Guimard le 7 Janvier. Nous sommes solidaires de l'action du lycée Guimard et appelons à la mise en place d'une coordination des collèges et des lycées dans lesquels des élèves sont sans abris.

Nous souhaitons que les prises en charge soient pérennes et qu'elles incluent un accompagnement social.

Nous attendons des pouvoirs publics qu'ils règlent le problème des jeunes à la rue.

Nous exigeons :
  • une mise en application de la présomption de minorité comme le prévoit la loi
  • l'interdiction des examens osseux (voir ci-dessous)
  • une prise en charge de tous les mineurs isolés étrangers et non seulement un sur deux
  • l'augmentation des contrats jeunes majeurs jusqu'à 21 ans
Par ailleurs, nous demandons au Ministère de l'Intérieur de régulariser tous les jeunes scolarisés à leur majorité. Signataire : Collectif Jeunes Isolés Étrangers - Paris Est (RESF 10/11/19/20, FCPE 19/20, Collectif MIE, EELV 19/20, NPA 19, PG 19/20, PCF19, AL, LDH 19/20, MRAP 19/20..)

A propos de la détermination de la majorité par l'âge osseux

Le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a émis un avis très critique sur l'utilisation des tests osseux pratiqués pour déterminer l'âge des jeunes migrants lorsqu'ils affirment être majeurs. Deux critiques majeures : la fiabilité de ces, tests, de plus en plus contestés par les scientifiques, et le fait que la méthode (radiographie) expose inutilement ces jeunes à des radiations. Dernier point : cette méthode est en contradiction avec la convention relative aux droits de l'enfant.

Voici l'avis publié par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'Homme au Conseil de l'Europe, signalé par la Cimade.

Les méthodes d'évaluation de l'âge des migrants mineurs doivent être améliorées

L'âge d'un migrant peut être déterminant pour son avenir. S'il est reconnu mineur, il peut se voir accorder un titre de séjour. S'il est considéré comme un adulte, il risque d'être rapidement placé en rétention et expulsé. L'âge charnière en la matière est de 18 ans.

Il existe des raisons évidentes pour accorder une attention particulière aux enfants dans les politiques migratoires. Ce principe est consacré par les normes internationales applicables en matière de droits de l'enfant et admis par la plupart des gouvernements. Mais il soulève une question particulière : quelles méthodes d'évaluation les autorités doivent-elles utiliser pour déterminer si un migrant est âgé de moins ou de plus de 18 ans ?

Bon nombre de jeunes migrants arrivent sans passeport, carte d'identité ou acte de naissance. Les autorités compétentes en matière de migration soupçonnent que certains d'entre eux se disent plus jeunes qu'ils ne le sont réellement pour bénéficier d'un traitement respectueux des droits de l'enfant. Aussi les autorités de certains pays ont recherché un moyen scientifique d'établir l'âge précis des jeunes migrants provenant d'autres pays. Il est temps d'examiner ces méthodes d'un œil plus critique.

Plusieurs États européens, dont la Suède, les Pays-Bas et l'Allemagne, effectuent des contrôles à l'aide de rayons X pour déterminer si l'intéressé est mineur ou non. Les radiographies de la main, du poignet ou des dents sont ensuite comparées à des tableaux normalisés qui permettent de déterminer " l'âge osseux " d'une personne.

Cette méthode est présentée comme rapide et relativement facile à mettre en œuvre, mais elle est de plus en plus contestée par des médecins spécialisés. Elle n'est en effet pas suffisamment précise pour déterminer un âge et soumet les intéressés à des radiations inutiles.

Les rayons X ne permettent en aucun cas de déterminer un âge avec certitude

La croissance osseuse varie considérablement d'un adolescent à un autre. La croissance corporelle dépend en effet de nombreux facteurs, dont l'origine ethnique et géographique, la situation nutritionnelle et socio-économique, ainsi que les antécédents médicaux de l'intéressé et les pathologies dont il souffre.

Partout en Europe, et notamment au Royaume-Uni, les associations de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l'âge exact d'un enfant, mais uniquement de procéder à son estimation, avec une marge d'erreur de deux à trois ans. L'étude sur les mineurs non accompagnés réalisée par le Réseau européen des migrations souligne que l'interprétation des données peut varier d'un pays à l'autre, voire d'un spécialiste à l'autre.

Le recours aux rayons X soulève par ailleurs de graves questions d'éthique médicale. En 1996, la Faculté royale de radiologie (Royal College of Radiologists) de Londres a déclaré que l'examen radiographique pratiqué pour évaluer l'âge d'une personne était " injustifié " et qu'il était inadmissible d'exposer des enfants à des radiations ionisantes sans un intérêt thérapeutique et dans un but purement administratif.

Des évaluations pluridisciplinaires s'imposent

Les Médiateurs des enfants des pays européens ont adopté une position commune sur le traitement qui doit être réservé aux mineurs non accompagnés. Ils précisent que toute analyse supplémentaire de l'âge d'un jeune migrant ne devrait intervenir qu'en cas de doute sérieux, par exemple lorsqu'il apparaît clairement que les documents fournis ou les déclarations faites par l'intéressé ne sont pas fiables. Il convient par conséquent de ne pas soumettre les migrants mineurs à un examen médical quasi automatique ou de routine.

Il importe que les techniques d'évaluation de l'âge respectent la culture, la dignité et l'intégrité physique de l'enfant. L'évaluation de son âge doit être réalisée par un groupe pluridisciplinaire d'experts indépendants, à partir de l'appréciation combinée de sa maturité physique, sociale et psychologique. Ces experts devraient tenir compte du fait que certaines évaluations physiques risquent d'être traumatisantes ou éprouvantes pour les nerfs d'un enfant qui peut avoir été victime de violences physiques ou sexuelles. Il convient enfin que l'intéressé puisse faire appel de la décision rendue par le groupe d'experts ou demander la révision de l'évaluation effectuée.

Témoigner à l'enfant du respect et de la confiance

Le Comité des droits de l'enfant, qui contrôle la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant, a déclaré " qu'il convient de traiter l'intéressé comme un enfant si la possibilité existe qu'il s'agisse effectivement d'un mineur ". En l'absence d'un doute sérieux, les autorités devraient se fier aux documents fournis ou aux déclarations faites par l'enfant.

L'évaluation inexacte d'un âge peut avoir des conséquences dramatiques, notamment entraîner le placement abusif en rétention d'un mineur séparé de ses parents ou non accompagné. Il appartient aux gouvernements de mettre au point des méthodes respectueuses de l'enfant. Au lieu de faire preuve de méfiance à l'égard des mineurs migrants et de les soumettre à des examens inutiles, il importe de les respecter et de leur témoigner de l'empathie ; cette attitude devrait tenir lieu de principe fondamental.

Thomas Hammarberg

En province aussi...

Ils se prénomment Ahmadou, Alassane ou Abdoulaye et ont quitté le continent africain pour rejoindre la France, en espérant un monde meilleur. Ils viennent de Guinée Conakry, du Congo ou de Côte d'Ivoire et se disent mineurs. Leur parcours est quasiment le même : un périple à travers l'Afrique, un bref passage en Espagne, une halte à Paris avant de rejoindre la capitale picarde. Ils sont seuls et ne connaissent personne à Amiens. Ils se dirigent au commissariat de police où on les oriente vers l'ASE (l'aide sociale à l'enfance) qui dépend du Conseil général ou vers France Terre d'Asile. C'est là que ces jeunes sont évalués pour vérifier s'ils sont réellement mineurs et s'ils peuvent être pris en charge dans le cadre de la protection des enfants. Des documents attestent bien qu'ils ont 16 ou 17 ans, mais le bilan de l'évaluation ne permet pas de plaider en faveur de leur minorité.

C'est le cas d'Ahmadou, arrivé à Amiens il y a à peine une semaine. Le jeune homme, originaire de Guinée Conakry, nous présente ses documents administratifs qui témoignent qu'il a 16 ans. Mais la justice en a décidé autrement estimant que l'évaluation de France Terre d'Asile ne permet pas d'affirmer qu'il est mineur. Ce soir, Ahmadou ne sait pas où il dormira. " Je ne connais personne ici, je risque de dormir dans la rue, sans boire, ni manger. Aucun foyer pour mineur ne veut de moi car on dit que je mens sur mon âge ". Il a bien tenté de se rapprocher du Samu social, et là stupéfaction, il est également refoulé car cette fois-ci on lui répond que les mineurs ne sont pas acceptés.

Son avocat Me Tourbier remet en cause l'évaluation de France Terre d'Asile, " qui est très subjective ". " Au regard de son parcours, on lui fait comprendre qu'il est majeur. On remet en cause ses documents administratifs, estimant que ce sont de vulgaires papiers. Mais c'est comme ça en Afrique, les documents ne sont pas aussi sécurisés que chez nous ". À France Terre d'Asile, une juriste nous explique que l'évaluation est prévue pour chaque nouvel arrivant, " pas seulement quand il y a un doute ". Précisant au passage que l'évaluation est très encadrée et répond à un certain nombre de critères. " Si on considère qu'un jeune n'est pas mineur, c'est qu'il y a des pièces qui ont été apportées au dossier ", poursuit le directeur.

Vrai passeport, mais l'âge remis en cause

Le cas d'Abdoulaye, un autre Guinéen, est tout aussi sensible. Le jeune homme est dans la rue depuis plusieurs semaines. Il a été convoqué au commissariat de police où le service de la fraude documentaire a conclu que son passeport, dans lequel il est indiqué qu'il est mineur, était vrai. Mais la justice estime qu'il est majeur. De quoi exaspérer son avocate Me Pereira. " Si le passeport est vrai, les indications relatives à son état civil le sont aussi ". L'avocat a d'ores et déjà alerté le Défenseur des droits Jacques Toubon. " Ce jeune mineur est à la rue, sans rien, ni aide. Ça fait près d'un an qu'on rencontre des difficultés avec les mineurs étrangers. Quand ils arrivent à Amiens, on conteste quasiment automatiquement leur âge. Quand ils disposent d'une attestation de naissance, l'ASE considère qu'elle n'est pas authentique. Quant à l'expertise sur ces jeunes, il est clair que la marge d'erreur est très élevée ". Et d'enchaîner : " Faute de moyens et de places, ces jeunes-là sont basculés comme majeurs et n'ont ainsi le droit à aucune aide ". Les associations amiénoises soutenant les mineurs isolés étrangers réclament des couvertures de survie " car les jeunes qui dorment dans la rue sont de plus en plus nombreux ".


Tous les mineurs isolés étrangers (IME) doivent quitter les structures dans lesquelles ils se trouvent actuellement. Cette décision récemment prise par le conseil général des Yvelines ne passe pas auprès des associations qui les accueillent depuis de nombreuses années. D'abord parce que l'annonce a été brutale Les jeunes devaient faire leur valise en cinq jours, juste avant Noël, pour être pris en charge par une association choisie par le Département, le Lien Yvelinois. Enfin parce que ceux qui se sont chargés d'eux ignorent ce qu'ils vont devenir.

"Le Département nous utilisait comme solution de repli"

Dans les maisons d'accueil du département, cette décision a mis le feu aux poudres. Les adolescents et les éducateurs ne comprennent pas la démarche du conseil général. "Depuis des années, le Département nous confiait ces jeunes au parcours chaotique. C'était une solution de repli faute de structures". Directeur d'une maison d'enfants à caractère social, Pierre* pousse ses explications. "Notre métier est, à la base, de nous occuper des enfants ayant des problèmes personnels ou familiaux, ceux placés par la justice ou ayant des troubles du comportement. Nous avons accepté dans l'intérêt des enfants alors que ce n'est pas notre métier."

"Qui les suivra et où?"

Pendant plusieurs mois, plusieurs années, les éducateurs ont tissé des liens avec les adolescents, ont tenté d'œuvrer pour leur avenir. Cela a commencé par l'apprentissage du français, des bases des références sociales occidentales pour se poursuivre avec une scolarisation. "Notre volonté était de leur permettre d'accéder à une formation pouvant déboucher sur un contrat d'apprentissage et potentiellement un travail."
Aujourd'hui, tous les fruits de cet engagement risquent de se perdre. Autant que l'apport humain de ces professionnels. Le cas d'Amadi est un exemple. "Il est arrivé du Mali à l'âge de 11 ans. Il était envoyé par ses parents. Son passeur l'a abandonné à l'aéroport. Chez nous, il a passé trois mois en larmes avant de retrouver confiance", se souvient Pierre. "En apprenant qu'il devait partir du jour au lendemain, il a encaissé en nous disant qu'il préférerait partir vivre dans une famille malienne à Trappes. Cette information, il l'a reçue comme un couperet qui est tombé sur sa vie. Certes, il est conscient qu'à 18 ans il devra partir. Mais nous le préparions à cela. Là, l'information est tombée du jour au lendemain."

L'être humain, un "objet"

Pour le directeur, un autre problème se pose, celui de l'avenir proche des adolescents. "Qui les suivra ? Qui s'occupera de gérer le côté affectif, la dimension psychologique ? On nous dit qu'ils seront logés dans des appartements ou des hôtels par le biais du Lien Yvelinois. Mais on ne sait pas où. On nous dit qu'un travailleur social passera les voir le matin et le soir. Mais pour le reste de la journée, qui va les suivre ? Et après... Auront-ils des papiers ou repartiront-ils par avion ? On ne sait pas."
Toutes ces questions demeurent sans réponse véritable. Et c'est bien cela qui inquiète Pierre qui se demande toujours comment la décision a été prise et par qui. "Même si, dans le fond, nous sommes d'accord. Ces enfants n'ont rien à faire dans une maison d'enfants à caractère social, dont la vocation est tout autre. Qu'il existe une structure d'accueil pour eux, c'est normal. Mais ce que nous pointons du doigt, c'est bien la manière dont cela s'est passé. C'est violent pour les enfants et les équipes éducatives. On a le sentiment que l'être humain est devenu un objet."

"Ils ne bénéficient d'aucune aide"

Dans une lettre ouverte au président du conseil général, Pierre Bédier, le collectif Réseau éducation sans frontière (RESF) de Saint-Cyr-l'Ecole a également souligné l'absence de suivi des adolescents. "Les jeunes mineurs isolés sont hébergés dans un hôtel. Ils sont également nourris. Mais la prise en charge s'arrête là : ils n'ont pas accès, ou uniquement de manière limitée, à un fonds pour les fournitures scolaires lorsqu'ils sont scolarisés. Ils ne bénéficient d'aucune aide pour s'inscrire à des clubs sportifs ou culturels, source d'intégration dans la société." Et de déplorer : "Le conseil général ne les prépare pas au passage de la majorité en faisant le nécessaire pour régulariser leur situation administrative envers la préfecture." Déclarant ces mêmes jeunes sous sa protection, RESF demande à l'assemblée départementale "d'assumer entièrement sa responsabilité"
Du côté du conseil général, on estime que "l'information donnée n'a pas été si soudaine. Nous avons prévenu les établissements en novembre, fait valoir Ghislain Fournier, vice-président délégué à l'action sociale. Dans un premier temps, ce sont les enfants les moins fragiles qui bénéficieront de ce dispositif. Pour les plus fragiles, ceux qui ont un projet plus particulier, un contrat de professionnalisation, nous serons plus attentifs. Nous sommes prêts à faire du cas par cas." En rappelant que seuls les adolescents de 16 ans sont concernés, l'élu assure que l'accompagnement sera complet, tant social que médical. "Le Lien yvelinois assurera parfaitement cette mission. Nous travaillons avec eux depuis plus de 15 ans, en toute confiance."

Depuis maintenant presque 9 mois, RESF/UCIJ (Unis contre l'immigration jetable), collectif unitaire regroupant associations, syndicats et partis politiques, se mobilise autour des mineurs isolés étrangers (MIE) déboutés de leur minorité et donc expulsés du Foyer de l'enfance.
"  Pas un enfant à la rue ! " a été le mot d'ordre autour duquel plusieurs rassemblements ont été organisés pour interpeller le maire de la ville, le préfet et dénoncer la situation humaine et administrative dramatique vécue par ces MIE. Hébergés par des membres du collectif, accompagnés (scolarisation militante, demande de l'aide médicale d'État...), certainEs ont aujourd'hui pu intégrer un établissement scolaire. Pour d'autres, des demandes sont en cours.

Fin décembre, une soirée " Les 5 heures de la solidarité " a été organisée avec musique, expos, vidéos et débat avec une militante de RESF-Paris qui a dénoncé la poursuite de politique de Sarkozy par le gouvernement Hollande-Valls sur les questions de l'immigration. Puis la soirée s'est poursuivie avec un couscous préparé par l'un des jeunes... dont le projet est de devenir cuisinier.

Cette initiative a montré qu'une partie de la population, du peuple " de gauche ", n'accepte pas cette politique de stigmatisation des étrangers. Il faut faire cesser les " tests osseux ", offrir une deuxième vie à ces jeunes qui ont connu des parcours souvent dramatiques, et un avenir pour se reconstruire.

Il appréhendait les vacances de Noël. Son seul " Chez lui " en France, c'est l'internat de son lycée, dans l'agglomération clermontoise. Et à Noël, il ferme.

Christian a 17 ans (*). Il est Guinéen arrivé, seul, en août, à Clermont-Ferrand. Sans argent, sans famille, il s'apprêtait à passer les fêtes dans l'un des deux ou trois squats de Clermont-Ferrand. Comme une dizaine de lycéens étrangers sans papier dans le Puy-de-Dôme. Ce sont tous des refoulés du système de prise en charge des mineurs isolés étrangers. Le visa de Christian dit qu'il n'a pas 17 ans mais 27. La préfecture a émis une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

" Ils m'ont dit que j'étais pas mineur "

" Quand des mineurs arrivent à Clermont-Ferrand, ils sont recueillis par les services de protection de l'enfance (ASE) pendant cinq jours, le temps de faire l'enquête. Si l'on ne reconnaît pas leur minorité, ils sont priés de rentrer chez eux en passant par la case rue. Où ils restent le temps de faire des recours en justice pour prouver leur minorité ", s'indigne Martine. Militante de toujours, à RESF, au Secours populaire, elle s'offusque de ces situations. Et refuse de rester les bras croisés.

Avec son mari, comme quelques autres familles de Puydômois, elle a choisi d'héberger, pour les fêtes, Christian mais aussi Moktar, un autre lycéen dans la même situation. C'est pour elle et son mari que Christian a accepté de témoigner : " Ils font pour moi ce qu'aurait fait ma famille ". Une balade au puy de Dôme, un cinéma, un bowling... sont au programme. Des révisions aussi, " le lycée, c'est mon avenir ". Et de la chaleur humaine. " Beaucoup oui... Et manger du chocolat aussi ! ", sourit l'adolescent.

De son pays, de sa famille, de ses souvenirs de fêtes de fin d'année, Christian ne livre pas grand-chose. Sa mère est morte en 2013. Son père, " je n'en ai pas de souvenir ". Sa grande soeur est aussi décédée. En Guinée, son oncle ne peut plus subvenir à ses besoins, il lui propose de l'envoyer en France " parce que je parle français ". Il quitte son lycée où il est en première année, et suit cet ami de son oncle, payé pour le faire " passer " avec un faux visa, histoire d'éviter les questions.

Il ne sait même pas à quel aéroport il atterrit. " On a ensuite pris une voiture et il m'a déposé à la gare de Clermont-Ferrand ". " Il t'a laissé ta valise ? ", demande Martine. " Oui ". " Tu as eu de la chance ! Souvent, " ils " ne laissent rien ". Ce soir d'août, un riverain le recueille pour la nuit. Et le conduit au commissariat le lendemain. Il est ensuite pris en charge, à l'hôtel, par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). " J'ai fait des interrogatoires. Ils m'ont dit que je n'étais pas mineur. Le sixième jour, à l'hôtel, on m'a dit de partir ". Il atterrit dans un squat et sera pris plus tard en charge par les militants de la Ligue des droits de l'homme et de RESF 63. Son français est mis à niveau, il est scolarisé. Des recours ont été faits pour prouver sa minorité. Christian attend les réponses. Avec angoisse. Ces jours chez Martine et son mari, c'est un vrai cadeau.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Asse 15027 partages Voir son profil
Voir son blog