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elle aimait...l'amour !

Publié le 05 mars 2015 par Dubruel

d'après CLAIR DE LUNE (1882a) de Maupassant

J’ai un amant.

Tu comprends ?

Tu sais comme nous cédons,

Comme nous tombons

Et si rapidement !

Il suffit d’un rien, d’un attendrissement.

Tu as constaté comme j’ai aimé mon mari

Mais lui, n’avait rien compris

À mon cœur de femme,

Aux mélancolies qui passaient dans mon âme.

J’aurais voulu qu’il me saisisse dans ses bras,

Que de tendres baisers il m’embrassât

Comme autant de confidences muettes.

J’aurais souhaité qu’il eût des faiblesses,

Qu’il eût besoin de moi, de mes caresses.

Je suis ainsi faite.

Sans doute me trouves-tu bête !

Depuis un mois que nous voyagions

Au trot des quatre chevaux de la diligence

Mon mari, par son indifférence,

A éteint mes exaltations.

Il a paralysé ma joie.

Quand j’admirais les villages, les bois,

Les rivières, les vallées,

Je battais des mains, emballée :

-« Comme c’est beau, Robert, embrasse-moi ! »

Mais lui, avec un sourire froid,

Haussait les épaules :

-« Ce n’est pas une raison, Paule,

Pour s’embrasser

Chaque fois qu’un paysage vous séduit. »

J’en étais glacée.

J’avais en moi des bouillonnements de poésie

Qu’il m’empêchait

D’exprimer.

Un soir, dans notre hôtel de Fluelen,

Robert, souffrant de migraine,

Monta se coucher juste après le diner.

Moi, je suis allée me promener.

Il faisait une nuit de conte de fées :

Les grandes montagnes coiffées

De neige d’argent,

L’air doux, pénétrant…

Oh ! Comme mon cœur est vibrant

En de tels moments !

J’étais assise sur l’herbe, regardant

Le lac immense et luisant.

Il me venait un insatiable besoin d’amour,

Une révolte contre les mornes atours

Et la platitude de toute ma vie.

N’aurais-je jamais la bonne fortune

De rêver au bras d’un cher et tendre ami

Sur une berge baignée de lune ?

Ne sentirais-je jamais descendre en moi

Des baisers doux comme la soie

Qu’on échange dans ces nuits

Créées par Dieu pour les tendresses ?

Je sanglotais

Quand j’entendis un bruit

Dans l’ombre de ce soir d’été ?

J’étais éperdue.

Un homme se tenait debout derrière moi.

Mais je l’ai très vite reconnu.

Nous l’avions souvent croisé

Dans la journée et j’avais remarqué

Qu’à chaque fois

Ses yeux m’avaient suivie.

J’étais tellement saisie,

Que je ne sus quoi penser.

Puis nous nous mîmes à bavarder.

Tout ce que je ressentais,

À merveille il le comprenait.

Ce qui me faisait frissonner,

Il le saisissait

Aussi bien que moi,

Mieux que moi.

Puis il m’a dit des vers de Musset.

Je suffoquais d’une émotion embarrassée.

Il me semblait que le lac, les monts, le chemin,

Chantaient ineffablement

De mélodieux refrains.

…Et cela se fit, je ne sais comment,

Dans une sorte d’hallucination.

Pourtant la pensée

De tromper

Mon mari ne m’avait jamais effleurée.

Or, cela s’est opéré

Sans amour, sans passion, sans raison,

Sans rien. Il y avait seulement

Un beau clair de lune sur le lac Léman.

Tu vois, ma chérie, bien souvent,

Ce n’est pas un homme que nous aimons,

Mais l’amour. Ce soir-là, le clair de lune

Fut mon amant.

Adélaïde de Rhune


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