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Ségolène Royal « Soyons les premiers dans l'agriculture verte »

Publié le 16 mars 2015 par Blanchemanche
#agricultureverte #SegoleneRoyal
Ségolène Royal est interrogée par Bérengère Lafeuille et Philippe Pavard, de La France Agricole. Photo : C. Faimali/GFA
Ségolène Royal est interrogée par Bérengère Lafeuille et Philippe Pavard, de La France Agricole. Photo : C. Faimali/GFA
De Sivens à l'empreinte carbone de l'élevage, en passant par les nitrates et les phytos, la ministre de l'Ecologie a expliqué à La France Agricole comment les agriculteurs peuvent s'inscrire dans la transition écologique.
La France Agricole : Après l'épisode Sivens, qu'est-ce qui va changer dans le dialogue environnemental ?
Ségolène Royal : Hier, je réunissais la commission nationale de la transition écologique. Je dois souligner, et c'est assez rare, que c'est un satisfecit qui a été donné par la profession agricole pour le traitement de Sivens. On est sorti par le haut de ce problème. Je pense avoir démontré que même en situation de grave blocage, il est possible de renouer les fils du dialogue et de faire émerger une solution. L'un des enjeux de la modernisation du droit de l'environnement est d'associer plus directement les citoyens aux décisions qui les concernent. C'est pourquoi j'ai lancé une large concertation avec tous les acteurs du dialogue environnemental et saisi le Conseil national de la transition écologique sur ce sujet.
Jusqu'où donner le pouvoir au citoyen sans tomber dans un autre extrême, où tout projet, même légal est contesté ?
90 % des projets et même plus se déroulent dans de bonnes conditions. C'est vrai que l'on n'entend parler que des projets où il y a vraiment un blocage total. Pour éviter ce que vous dites, il faut qu'au départ les conditions soient bien posées. Elles ne l'étaient pas bien dans le cas de Sivens. Les rapports d'experts l'ont montré.
Pourtant cela faisait dix ans qu'il était sur les rails ?
En dix ans, les conditions ont changé. Mêmes les conditions de financement européen ont évolué entre-temps. Le Conseil général est parti sur un projet financé par des fonds européens. Or j'ai appris – car j'ai reçu une lettre de la Commission – que les autorités européennes le jugeaient non conforme à la directive-cadre sur l'eau et qu'il y avait même l'engagement d'une procédure contentieuse. Je veux qu'au moment de la décision corresponde bien le moment de l'étude d'impact. Il faut à la fois simplifier et accélérer le processus. Dans la loi de transition énergétique, j'ai mis en place le permis unique qui va permettre aussi le recours unique. Il vaut mieux arrêter dès le départ un projet qui ne tient pas la route pour repartir tout de suite sur de nouvelles bases. Et réaliser rapidement les projets bien fondés. La nouvelle version de Sivens sera concernée par la simplification. Surtout, elle sera conforme à la directive-cadre sur l'eau et je vais faire en sorte qu'ils récupèrent les fonds européens initialement prévus. D'autant que ce n'est pas réalisable sans cela.
Dans certains cas, Notre-Dame-des-Landes par exemple, vous proposez le référendum local ?
Pourquoi pas...
Ce pourrait être une solution pour tout type de projet, y compris des installations d'élevage ?
Non, pas pour tout type de projet. La commission est en train de regarder. De toute façon, ce ne peut se faire qu'à la demande du maître d'ouvrage ; dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, c'est l'Etat.
Ce n'aurait pas été une bonne solution pour Sivens ? Il y avait tout de même beaucoup de contestation venant de l'extérieur du territoire...
C'est pour cela qu'il ne faut pas laisser dégénérer des situations. Se pose aussi la question du périmètre. Sivens par exemple, c'est local mais est-ce intercommunal, départemental, interdépartemental ? Quelle est la base de l'électorat ? Il ne faut pas que le résultat du référendum soit ensuite contesté.
Cela a été envisagé pour Sivens quand vous avez eu le dossier en main ?
Non, l'ambiance était déjà trop dégradée. En plus, les fonds européens ont été supprimés. L'expertise était totalement justifiée. S'il n'y avait pas de fonds européens, le barrage ne se faisait pas. Si j'étais restée inerte, il n'y avait rien de possible car le Conseil général ne pouvait plus financer l'ouvrage. Au contraire, j'ai essayé de montrer qu'en étant intelligent collectivement, on était capable de faire émerger une solution, quelque chose qui est très important pour le monde agricole.
Votre position sur la création de nouvelles réserves d'eau ?
Là où c'est possible sans dégrader les écosystèmes et avec la certitude de les remplir dans de bonnes conditions, pour sécuriser l'agriculture, oui ! Le code de l'environnement le permet. Mais certains projets proposés ne répondent pas à ces critères, tant du point de vue des sites proposés, qui peuvent être riches en biodiversité, que de celui de l'hydrologie du bassin versant. Or, ce ne serait pas un progrès de substituer des prélèvements estivaux impactant la biologie des rivières par des prélèvements créant un étiage hivernal et dégradant la morphologie des cours d'eau. Et la question de leur impact cumulé sur un même bassin versant se pose : j'ai commandé une expertise sur ce sujet à l'Onema afin de savoir jusqu'où il est possible d'aller en matière d'implantation de retenues. La réalisation de réserves de substitution sera aidée par les agences de l'eau lorsqu'elle s'inscrira dans un projet de territoire qui prenne en compte l'ensemble des usages et les questions de qualité de l'eau et qui diversifie les outils permettant de rétablir l'équilibre quantitatif. Les différentes études réalisées, dont Explore 2070, permettent de mesurer l'ampleur du défi que constitue le changement climatique dans le domaine de l'eau.
Vous pouvez être plus précise sur le cahier des charges requis ?
Vous en avez une illustration avec le Programme Re-sources, et maintenant Re-Sources Plus mis en en place dans ma région. La profession agricole a fait preuve de responsabilité et d'imagination, et j'ai expliqué aux associations qu'on pouvait faire des retenues respectueuses de l'environnement. Dans un premier temps, j'ai arrêté les réserves d'eau. Ensuite, j'ai accepté sous certaines conditions. D'abord, la gestion collective de ces réserves, c'est-à-dire pas d'appropriation privée par les agriculteurs riverains. Ensuite, la solidarité entre les agriculteurs qui sont près de la réserve et ceux qui en sont loin. En cas de sécheresse, il faut une solidarité au niveau des prix du fourrage. Enfin, il y a la question du projet de développement local. La réserve ne doit pas servir à augmenter les surfaces irriguées mais à encourager le maintien des agriculteurs et leur évolution vers l'agriculture verte. Face à l'augmentation des phénomènes de sécheresse, il faut accélérer les recherches sur les adaptations de l'agriculture à cette nouvelle donne. Et l'eau a un coût qui doit être intégré dans le modèle économique.
Bannissez-vous le maïs ?
Il y a des variétés de maïs qui ont besoin de beaucoup moins d'eau qu'avant.
Donc vous ne faites pas de phobie anti-maïs ?
Il doit évoluer vers l'agriculture verte comme le reste. Avec beaucoup moins d'intrants. On est le pays qui utilise le plus d'intrants chimiques. Cela ne peut pas durer. Pour les agriculteurs eux-mêmes et leur santé.
Jusqu'où souhaitez-vous aller dans l'encadrement de l'usage des produits phytos par les agriculteurs ?
Il faut vraiment faire un effort. Le plan Ecophyto a été un échec. Les efforts doivent d'abord porter sur les produits qui présentent les risques les plus importants pour la santé ou pour l'environnement, comme les néonicotinoïdes et les substances cancérigènes, ainsi que sur les usages qui présentent les plus grands risques pour les populations comme l'épandage aérien ou encore à proximité immédiate des écoles. Sur les néonicotinoïdes, le chemin a été tracé par le président de la République à la dernière conférence environnementale. Le moratoire sur trois substances doit être poursuivi et les autres néonicotinoïdes autorisés sur le marché européen doivent être réexaminés sans délai à l'aune des nouvelles données disponibles, notamment en termes de mortalité sur les oiseaux. Si cet examen n'est pas rassurant, ces autres substances doivent être interdites, comme le prévoit le règlement européen.
Quitte à aller plus vite en France qu'en Europe ?
Déjà faisons en sorte que les règles européennes s'appliquent à tout le monde. Je veille aussi à ce que notre identité agricole soit prise en considération : pour les pays qui n'ont pas une puissance agricole comme nous, c'est facile de montrer du doigt. En même temps, le problème n'est pas de se conformer ou pas à l'Europe mais de tirer tous les bénéfices de l'agriculture verte, en termes d'aménagement du territoire, d'emplois, de valeur ajoutée... Ma responsabilité est d'accélérer cette transition, dans l'intérêt des agriculteurs. Je tiens le même discours aux industriels sur la transition énergétique. Si vous êtes les premiers, vous allez développer des savoir-faire, gagner des marchés, conquérir le monde... Si je dis « dormez tranquille, vous avez dix ans », je ne vous rends pas service ! Vous serez en retard, obligés d'acheter des technologies étrangères, voire sanctionnés... Soyons les premiers ! Le problème est qu'il y a un système d'intermédiaires très structuré qui n'a pas intérêt à changer. Les agriculteurs en sont victimes et doivent exiger des fabricants d'intrants – qui vivent de leur travail – d'être à l'offensive sur l'agriculture verte. Car on a tous les moyens de développer le génie écologique.
Où en est le feuilleton des nitrates ? Est-ce que la France ne surinterprète pas les directives de Bruxelles ? Etes-vous favorable à une remise à plat de cette directive ?
Les nitrates, c'est vraiment beaucoup de dégâts sur l'environnement. La France va payer 7 millions d'euros d'amendes pour politique insuffisante au regard de la réduction des nitrates en Bretagne du fait des algues vertes. Il faut que les agriculteurs sachent que les nitrates ont un coût considérable. Vous ne croyez pas que l'on ferait mieux de donner cette somme aux agriculteurs pour s'équiper, faire des méthaniseurs, etc. ? A un moment, cela se retourne contre les agriculteurs. Les algues vertes en Bretagne, pour la promotion des produits du terroir breton, ce n'est pas très bon. Et sur la dégradation des terres, sur la dégradation de l'eau.... Il y avait une première carte des zones vulnérables que j'ai revue à la baisse, en tenant compte des masses d'eau et non des frontières communales. Vous voyez : j'écoute et j'essaie de trouver des solutions conformes aux règles tout en utilisant la totalité de ma marge d'adaptation.
Il y a quand même une très forte augmentation de la surface classée...
Non, on a diminué de près de 40 %.
Mais c'est quand même une forte augmentation par rapport à la situation précédente.
Mais il faut diminuer les nitrates, construire des méthaniseurs, des petites stations d'épuration...
La méthanisation, justement, rencontre des problèmes de rentabilité...
Je mets en place le « comité national biogaz » qui va faire des propositions sur ce point. Et j'ai lancé un appel à projets pour 1.500 méthaniseurs.
L'autorisation des cultures spécifiques pour les méthaniseurs est-elle envisagée ?
Ce n'est pas écarté mais il faut être très prudent pour éviter une course en avant vers des méthaniseurs de plus en plus gros. Car le modèle économique des gros méthaniseurs pose des problèmes, de même que les grosses centrales à bois comme Gardanne – les grands projets risquent d'absorber tout le bois de la région et avoir besoin d'en importer tellement c'est surdimensionné. On se rend compte que les petits méthaniseurs de proximité ont un meilleur équilibre financier : c'est ça qu'il faut développer.
Lors de la conférence environnementale, vous vous êtes opposée aux ONG qui voulaient imposer une limitation de la consommation de viande. Jusqu'où défendez-vous l'élevage et la consommation de viande ?

L'élevage a formé les paysages que nous aimons. D'autre part, le maintien des prairies permanentes est un enjeu de premier plan pour préserver la biodiversité et les zones humides. Je préfère travailler avec le monde de l'élevage pour optimiser sa contribution plutôt que de le stigmatiser sur la base des émissions de gaz à effet de serre des ruminants.
Mais vous souhaitez que le méthane entérique soit réintégré dans la stratégie bas carbone...
Il faut réexaminer cette question. Ce n'est pas l'intérêt de l'agriculture d'être marginalisée par rapport à l'effort national sur ces sujets. Et au niveau européen le méthane entérique est pris en compte dans les gaz à effet de serre. Même des groupes d'éleveurs ont demandé à ce que la question soit réexaminée ; au moins pour que ce soit cadré. Sinon, des règles européennes vont s'imposer sans dimension nationale. On peut trouver des délais, des conditions et dialoguer avec les professionnels tenir compte des spécificités et des contraintes de la filière... Mais il ne faut pas esquiver ce sujet parce que tôt ou tard, il reviendra. Je ne sais pas sous quelle forme ce sera rétabli : je laisse maintenant les parlementaires travailler.
Que dites-vous aux agriculteurs qui vivent l'écologie comme une contrainte, sans que leurs contributions positives soient reconnues ?
Je reconnais leurs efforts individuels et collectifs. Ils sont les premiers concernés par les sujets de santé et de durabilité de leur territoire. Quand il s'agit d'agriculture et d'environnement, on n'évoque trop souvent que les problèmes. Pourquoi ne pas mettre plus en avant les réussites environnementales de l'agriculture ? Le remarquable travail des agriculteurs alsaciens pour sauver le hamster d'Alsace ; le succès du concours « prairies fleuries »... L'agriculture française sait d'ailleurs être innovante pour répondre aux questions environnementales : c'est ainsi que j'ai récompensé par le Grand prix du génie écologique une initiative d'agriculteurs du bassin du Rampillon en Seine-et-Marne qui permet un « traitement naturel » des pollutions diffuses agricoles par une bonne gestion du drainage et la création d'une zone humide tampon. J'encourage avec Stéphane Le Foll ce mouvement : les agriculteurs ont réalisé des efforts, ils doivent les poursuivre et il est naturel qu'ils soient pour cela accompagnés.
Propos recueillis par Bérengère Lafeuille et Philippe Pavard13 mars 2015 
En savoir plus sur http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/segolene-royal-soyons-les-premiers-dans-l-agriculture-verte-interview-101418.html#JCfckchHMMeWqu2K.99

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