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Koffi Kwahulé : Nouvel an chinois

Par Gangoueus @lareus
Koffi Kwahulé : Nouvel an chinoisJ’avais eu l’occasion d’être confronté au travail artistique du dramaturge ivoirien il y a quelques années quand une troupe québécoise interpréta, au Lavoir Moderne Parisien, une de ses pièces de théâtre. J’en gardais un très bon souvenir. Et puis, plusieurs amis, spécialistes des lettres, m’avaient brossé un très bon topo de sa prose. Aussi, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai reçu en janvier le troisième roman de Koffi Kwahulé.

Nouvel an chinois.Titre surprenant. La Chine, ses ressortissants et ses expatriés s’installent à la fois comme sujet et personnages dans l’imaginaire des auteurs africains. Titre surprenant. Mais je n’ai pas cédé à la tentation de découvrir la quatrième de couverture. Je voulais aborder ce texte sans influence quelconque si ce n’est celle de mes ami(e)s commentateurs des oeuvres passées de l’écrivain ivoirien. Résultat des courses, ce fut une lecture extrêmement enrichissante.
Quelque part dans le onzième arrondissement de ParisNouvel an chinois est un roman parisien. Ou, pour bien parler, ce roman est particulièrement bien

Koffi Kwahulé : Nouvel an chinois

Station St-Ambroise Copyright - Cramos

localisé. La station Saint-Ambroise dans le 11ème arrondissement de Paris est l’épicentre de cette histoire. De ce côté de la place parisienne, les chinois fêtent le nouvel an à leur date. A coup de cymbales et de pétards, de dragons virevoltants et autres animations festives. Les minorités hier invisibles, célèbrent leurs singularités sans retenue ni agressivité dans les rues de Paris. En ce jour du Nouvel An chinois a débarqué un ancien légionnaire au verbe dur et haineux. En ce jour du Nouvel An Chinois, un post-adolescent entretient des fantasmes incestueux à l’endroit de sa  mère. Ezéchiel est le personnage central dont Koffi Kwahulé nous livre avec beaucoup de puissance les états d’âme.

Portrait d’un post-adolescent parisienEzéchiel est  quelque peu perdu. La disparition brutale et inattendue de son père a enfermé ce jeune homme dans un repli sur soi et une forme de dépression où l’onanisme prend la forme d’un refuge. Naturellement, le lecteur prend un train en marche, rencontre Ezéchiel à un moment où sa vie pourrait se résumerait dans le journal du parfait branleur. Koffi Kwahulé donne de mesurer la profondeur de l’expression, la poussant jusqu’à une approche mystique qui ne déplairait pas à Philippe Roth jeune. Pourtant, le regard d’Ezéchiel ne s'incline pas exclusivement sur son nombril. S’il nous est donné de toucher du doigt l’environnement lugubre dans lequel il est plongé, à savoir une mère qui perd pied après avoir perdu son mari et qui ne s’est pas remis des funérailles en terre ivoirienne de ce dernier, mais aussi une grande soeur a pris la clef des arbres, Koffi Kwahulé donne à son personnage de décrire les propos extrémistes de Guillaume Demontfaucon, le voisin qui prêche dans les rues du quartier cosmopolite sa haine de l’étranger avec une rage assourdissante. C’est aussi pour l’amour d’une femme que notre jeune homme va s’extraire sa torpeur.
Soul writerTout écrivain travaille sur l’âme humaine. Avec des degrés différents de réussite. En ce qui concerne Koffi Kwahulé, je dois dire que la manière  avec laquelle il conte cette année dans la tête d’Ezéchiel me renvoie à des auteurs comme Dambudzo Maréchéra ou simplement à William Faulkner. Peut être suis-je dithyrambique. Mais, c’est à certains personnages de ces auteurs que me fait penser Ezéchiel. La violence des pulsions de ce dernier est particulièrement troublante quand on pense au fait qu’on ne sait jamais, à l’instant de la lecture, si cette violence est réelle ou fantasmée. Ce qui place le lecteur face à des actes complexes et dans une forme d’empathie et de tension. En parallèle, Koffi Kwahulé dévoile progressivement de nombreuses clés permettant d’appréhender les différents. Il mélange les genres. Alternant la narration fluide, les errements d’Ezéchiel mais aussi ses correspondances avec sa soeur qui me paraissent quelques peu académiques quand on songe qu’il s’agit d’e-mails. 
Notre jeune homme est amoureux. Je vous laisse entendre ces mots chargés de fougue et d’une folie douce, en attendant le Nouvel An Chinois.
Je ne me savais pas capable d’aimer à ce point, d’être heureux que quelqu’un d’autre aime la femme que j’aime […] J’aurais bien sur préféré qu’elle m’aime tout court, mais ça me suffit qu’elle m’aime que bien. Ce qui importe c’est ce que j’éprouve pour elle. Cette émotion-là, je sais  qu’elle rassasie mon âme. En revanche, l’amour que l’autre nous porte reste toujours un sentiment flou, un truc hypothétique, un tourment souvent. Voilà pourquoi il est plus important d’aimer que d’être aimé.
P. 117 Editions Zulma
Un roman qui ne manquera pas d'heurter avec, pour Koffi Kwahulé, le parti pris de mettre en scène la banalisation du discours d'une extrême-droite française, qui comme pourra le découvrir le lecteur, n'est pas sans conséquence.Koffi KwahuléNouvel an chinois
Editions Zulma, 2015

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