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Lettres africaines (4): quand le prince qui gouverne sait renoncer à la guerre

Publié le 23 mai 2008 par Chantalserriere

A ouagadougou, tous les vendredis, à 8 heures précises, le roi des Mossis part à la guerre.

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Des raisons de faire la guerre, il en a, évidemment. Comme tout chef d’un peuple qui se respecte. Son cheval attend, bridé, sellé, harnaché de rouge, devant l’entrée du palais de terre. La porte de paille s’ouvre et le roi sort, vêtu de sa tenue guerrière d’un rouge-orange flamboyant.

De l’autre côté de la cour, le griot royal s’est avancé. Il bat sur son tambour tenu sous l’aisselle, le rythme de la cérémonie. Un coup de fusil est tiré. C’est le début de la guerre.

Or, voici que s’avance lentement la cohorte des chefs coutumiers. Ils ont retiré leurs bonnets brodés et s’agenouillent à distance respectueuse devant leur souverain. Les corps sont inclinés vers la gauche. Les bras droits s’élèvent et retombent: ils scandent la plaidoirie en faveur de la paix. Rythme. Ballet lancinant du geste implorant la renonciation à la guerre. Ils frappent enfin leurs paumes et les frottent pour recueillir la sagesse.

Puis ce sont les ministres du Moro qui viennent s’agenouiller pour conseiller en sages, le pardon aux fautifs, la clémence à l’égard de ceux qui ont provoqué la guerre imminente. Et enfin, les responsables musulmans, gardant leurs coiffes, puisqu’ils ne peuvent l’ôter sans blasphème (preuve de l’infini respect des différences à l’intérieur de la société), se rendent à leur tour auprès du roi et lisent le coran.

Devant tant de conseils, le Moro est songeur. Il rentre dans son palais. La guerre aura-t-elle lieu? Il semblerait que non. Mais il faut très vite faire disparaître le cheval qui lui, attend toujours de partir en guerre, son harnais rouge étincelant au soleil matinal. Alors en un clin d’oeil, le maître des écuries le lui retire. Et voici devant le peuple médusé le galop d’un jeune pur-sang. Robe noire, fines chevilles blanches. Sa course fougueuse s’inscrit sur le blanc d’un long mur conduisant à l’enceinte de la demeure royale. Ouf! Il n’est plus là lorsque le Moro réapparaît par une porte ouverte dans le mur blanc. Lui-même est blanc! Entièrement vêtu de blanc. Il passe et retourne à son palais de terre tandis qu’un coup de canon vient clôturer la cérémonie (elle a duré 20 minutes à peine vingt minutes) et célébrer la paix recouvrée.

Ouagadougou reprend son souffle. Les mobylettes vrombissent. Les fonctionnaires retournent à leurs ministères. Les députés au parlement. Les enfants à l’école et moi devant mon blog…

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Mais dites-moi où, n’en quel pays, un seul parmi ces princes qui nous gouvernent saurait de telle sorte écouter l’avis des uns et des autres? Dites-moi quel dirigeant des démocraties modernes aurait assez de jugement pour renoncer, sans perdre la face, à sa propre croisade inéluctablement programmée?

La représentation symbolique qui s’est déroulée devant nous ce matin, comme tous les vendredis de l’année, est ainsi réconfortante et émouvante. Mais on ne peut la prendre en photo. Elle reste dans nos mémoires. Puissiez-vous partager ces images sans images, avec nous…

La petite illustration est empruntée à un site de fabrication du bogolan par des artisanes

La photo, empruntée à Wikipedia, montre un chef coutumier (traditionnel) d’une région du Burkina devant sa case.


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