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En prison...

Par Laporteplume
En prison...Jeudi, 26 mars 2015. 9h30.Les mains dans les poches, sur le plateau du Haut-du-Lièvre, j’arpente le parc auto débordant de la prison (baptisée pudiquement « Centre pénitentiaire ») de Nancy battu par une bise glaciale et cinglante. J’ai eu du mal à me garer. L’affluence y est celle d’un supermarché le samedi après-midi. C’est dire le succès de l’établissement !J’attends Marie-Odile, de la Médiathèque-Manufacture, et ses beaux complices en passion du livre et humanité. Ensemble, ils ont créé et animent un Club de lecture à destination des « clients » de cet « hôtel » un peu particulier.Ils arrivent, m’introduisent dans l’espace accueil, au milieu des familles et proches pressés et fébriles en route vers le parloir.Comme pour un embarquement d’aéroport, des femmes et hommes en uniforme m’invitent à déposer au guichet ma carte d’identité et mon téléphone portable, puis à me présenter au portique de détection des métaux. Impression de partir en voyage. Mais quel voyage ! Je me dépouille de  mes ornements métalliques heureusement rares, ma montre, les confie à la machine dans un panier, passe sous le joug… ça sonne ! On m’invite à retirer ma ceinture (au risque de me faire perdre mon pantalon, puis de me faire incarcérer pour exhibitionnisme !)… ça sonne ! Me déchausse, dépose mes souliers dans le panier… ça sonne ! Nous nous demandons ce que je peux encore bien retirer, sauf à me retrouver à poil, fais mes poches, du haut, du bas, propose de déposer dans le panier mon bridge et ma couronne (si peu royale !)… on m’en dispense… je refais une tentative… miracle : ça passe !Dans l’enceinte maintenant, je me rechausse, me rhabille, emboîte le pas à mes guides du Club lecture et surveillants, franchis des portes verrouillées, traverse des cours balayées par la bise malgré les hautes clôtures et le filet tendu au-dessus de nos têtes, franchis d’autres portes, emprunte des couloirs. Au passage, on me montre une peinture exécutée par un détenu, belle et forte œuvre peinte avec les tripes et le cœur. J’aime !Dans la salle enfin atteinte, ils et elles sont là, une quinzaine de personnes, détenues, détenus et personnel. Ils ont réglé les derniers détails en m’attendant (alignement des chaises, place du « conférencier » et de la caméra…)La rencontre a été préparée, mes livres lus… un détenu a même confié à des proches des recherches me concernant sur internet. C’est lui, un grand gaillard, costaud, au sourire rayonnant, des papiers plein les mains, qui ouvre le bal des questions. Il m’en posera des dizaines, toutes plus pertinentes les unes que les autres : d’où je viens, ma naissance, ma famille d’origine, mes études, mes méthodes d’écriture, mes livres… souvent très émouvantes. Surprise : il en sait presque plus sur moi que… moi-même ! Les autres écoutent, osent de temps en temps une question complémentaire, comme cette jeune femme, au premier rang, au regard intense, suspendue aux paroles de mon examinateur et aux miennes, qui interviendra discrètement à plusieurs reprises, comme gênée de le faire, pour des remarques d’une belle qualité poétique, philosophique et spirituelle.   A son côté, une autre femme, plus âgée, silencieuse, les mains nouées sur ses cuisses, me fixe intensément sans un mot. Son regard sur moi, deux heures durant, me fouille, me donne l’impression qu’elle cherche à comprendre ce que je suis, ce que je dis, ce qu’elle… fait là ! On me confiera, à la fin de la rencontre, qu’elle est étrangère, qu’elle ne maîtrise pas notre langue. Peut-être n’a-t-elle pas tout compris. Mais je sais, à la brûlure de son regard sur moi, qu’elle a tout senti !Midi approchait quand les surveillants nous ont fit signe de conclure. Nous avions passé deux heures comme… deux minutes !Deux heures de partage dans ce lieu impersonnel, au cœur de la prison, deux heures de presque intimité, deux heures de fraternité enracinée dans une étrange communion scellée par l’amour des mots et de la belle langue, l’échange des regards, des mots, des connaissances, et la fusion des émotions.Je ne sais pas, ne saurai jamais pourquoi elles/ils sont là, celles et ceux qui ont vécu avec moi cette matinée hors du temps et des espaces de jugement, quelle faute ou quel crime elles/ils ont commis, depuis combien de temps elles/ils sont là, pour combien de temps encore, mais je sais qu’ils m’ont offert un moment d’intense réflexion et de belle humanité dont je ne suis pas sorti, dont je souhaite ne jamais sortir.   Au guichet, j’ai récupéré ma carte d’identité, mon téléphone portable. Puis j’ai remis le nez dehors. Curieusement, le vent ne m’y parla pas davantage de liberté qu’à l’intérieur. Il était le même, toujours aussi irrespirable, sec et tranchant ! Dans ma voiture, sur la route du retour, je me suis surpris à répéter en boucle, à haute voix, ces vers de Victor Hugo dédiés à Louise Michel :
Et ceux qui, comme moi, se sentent incapableDe tout ce qui n’est pas héroïsme et vertuQui savent que si l’on te disait : « D’où viens-tu ? »Tu répondrais : « Je viens de la nuit d’où l’on souffre ;Oui, je viens du devoir dont vous faites un gouffre… »
Allez savoir pourquoi !Salut et Fraternité.
En prison...

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