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A la rencontre d'un "Homme au Foyer"...

Publié le 17 novembre 2010 par Lababouchk

A la rencontre d'un "Homme au Foyer"...

Crédit: Lifestills © - 2008

Arrivé en France en 1965, est un migrant malien retraité. Il réside depuis 1979, dans le Foyer de Travailleurs Migrants (19 e arr.), où il nous a accueilli. Il fera une multitude de petits boulots : blanchisseur, ouvrier de production pour la construction d'ascenseur, " boulanger " pour oiseaux, travaux en abattoir, chauffeur et... deviendra formateur dans l'accompagnement des migrants au sein d'une ONG (GRDR). Sa vie est partagée entre " l' action sociale, le salariat et le militantisme " et ses " trois maisons " :

- celle de son père, au village à Diataya ;

- la sienne, à Kayes car il est difficile pour lui de retourner au village après 40 ans de migration ;

- et sa " villégiature ", le foyer rue de Lorraine

Après l'Indépendance du Mali, la disparition de la filière de transformation de l'arachide perturbe à nouveau l'organisation sociale. Il faut à présent migrer pour gagner de l'argent, " insiste sur le fait que les migrants ne sont pas élus pour le départ en France mais que c'est bien le fait d'une volonté individuelle. La migration répond ainsi à une demande réciproque des jeunes pour travailler et des entreprises à la recherche d'une main d'œuvre non-qualifiée. A l'époque des Indépendances, il a 17 ans et migre en France où pour la " se faire des cadeaux, pour aider la famille ". jeunesse du fleuve Sénégal, Paris était un choix naturel car c'était leur ville ". A l'époque, les problèmes des migrants étaient différents, non de l'ordre des questions du séjour ou de la régularisation mais d'avantage de ceux du logement et de la distance culturelle : " être un noir parmi les blancs ".

Son voyage en bateau jusqu'à Marseille durera 15 jours et pour seul document il a " un petit papier " en poche : " dit avoir été étonné lors de son long trajet en train jusqu'à Paris car à la différence du pays, " Peu importe où tu débarques, si tu es là c'est que tu as une personne ressource, tu as un " petit papier, qui fait référence à l'adresse de quelqu'un de ta famille, de ton village, de ton canton, de ton pays, voir du continent... ". ce sont les blancs qui travaillent dans les champs alors qu'au pays ils sont à des postes de commandement ". Il arrive à Paris en pleine nuit. L'un de ses compagnons de voyage insiste pour qu'il le suive pour dormir dans un foyer au sous-sol, avec des lits superposés, sans fenêtre, humide où une quinzaine de personnes vivaient. Le compagnon de voyage le conduira, le lendemain matin, chez sa personne ressource, qui ne vit pas dans une cave mais dans une épicerie aménagée : sans fenêtre, les commodités sont à l'extérieur et où l'éclairage se fait au pétrole (ce qui induit de gros risques d'incendie). L'un de ses problèmes récurant est que, où qu'il se rende, il lui est indispensable d'avoir un " petit papier ". Il est aussi confronté aux autres migrants qui ne comprennent pas son désir d'alphabétisation car " Tu es là pour gagner de l'argent et retourner au pays, tu n'es pas là pour aller à l'école ". Son initiative de cours du soir, mal vue dans le foyer le privera de nombreux dîners car on ne l'attendra pas pour le repas, on jettera sa part.

En mai 68, année de sa majorité, il peut " déjà parler, écrire et donner des " petits papiers " aux autres, pour les aider, les indiquer ". En 70, il passera son permis, c'est le début de son militantisme. Il devient délégué du foyer de la Rive Saint Denis, assumant ainsi des doubles journées. L'un de ses combats est l'obtention de logements décents : " Le foyer de travailleurs immigrants est un village cosmopolite à Paris qui a nécessité d'avoir une certaine maturité sociale, économique, culturelle & des combats pour l'obtenir ". Les manques d'espace et de reconnaissance, pour lui, contribuent en partie aux problèmes sociaux existants. Le statut de résidant et non de locataire est assez précaire et par exemple ne protège pas des Forces de l'Ordre qui ne se gênent pas pour s'introduire dans le foyer. Le foyer compte 2 salles de réunions pour 200 habitants et une dizaine d'associations de 3 pays différents : " il faut faire la queue pour faire réunion, sauf quand il y a un deuil [...] les condoléances sont prioritaires ".

La gestion sociale au foyer est villageoise car sur les 200 résidants, 25% sont au chômage. Personne ne s'imaginait venir à Paris pour vivre dans un foyer mais le mode d'organisation y est solidaire. Il permet au groupe de se protéger, de survivre ici et la survie du village car le migrant a " une autre vie ailleurs, il ne vit pas que pour lui ". A ce titre l'une des initiatives fut la création d'une cantine sociale au sein du foyer pour pallier à la non-présence féminine. Ce projet fut le fruit d'une bataille constante avec la Mairie de Paris et celle du 19 e. Le fonctionnement y est associatif : 12 salariés à plein temps qui servent 700 repas par jour (tout le quartier y mange pour 2€50).

En parallèle, il œuvre pour mener des actions pour son village d'origine, " pour mener les choses, pendant que les autres vont au dancing ". Il dit Il dit ne pas connaître l'inactivité et y trouver son plaisir... En 1973, il se retrouve " avec les aînés ". Dix ans, sans revoir son village, il y revient " avec ses moustaches ". C'est le début de la sécheresse dans sa sous-région. Dès lors, 90% des revenus du village reposent sur les migrants. Cette crise nationale l'a fortement impacté, l'eau n'était plus potable, l'alimentation avait changé en une décennie, des maladies se développèrent chez les plus vulnérables : " tout problème devient alors inquiétant ". Au-delà de la famille, la question à présent est : qu'est ce qu'on peut faire pour le village ? Les migrants se demandent que faire ? Comment se donner les moyens pour agir ? Doter le village d'une alimentation de manière collective, ainsi qu'un accès à l'eau potable ? Des caisses de solidarité et des coopératives d'achat (magasin non pour faire du bénéfice mais juste assurer les frais de fonctionnement, en se débarrassant des intermédiaires) verront le jour. Les ressortissants s'associent pour contribuer au développement du village.

    Des projets culturels émergent avec la construction de mosquées non plus en bois mais en béton. Des centres de santé, où la bonne volonté ne suffit pas (comme pour l'entretien d'une mosquée) mais où il est nécessaire d'avoir des compétences en matière de gestion, des salariés ou du matériel.
    Des projets hydrauliques, ainsi que des projets d'éducation afin de former les gens pour gérer les infrastructures et que les jeunes générations n'arrivent pas en France sans savoir lire et écrire. Il s'agit de pallier aux carences institutionnelles et d'améliorer les conditions de vie non plus seulement de la famille mais du village par et en migration.
    Une collaboration émerge avec le GRDR et des liens se tissent entre le foyer et les Ecole d'Agronomie de Paris. C'est un partenariat donnant-donnant, un échange de connaissances techniques contre des connaissances au sujet du territoire des migrants. Les migrants amènent ainsi le GRDR en Afrique, dans le cadre d'un accompagnement technique pour répondre à une demande avec la conscience que la réussite du projet passe par une action collective.

dit préférer le consensus à la démocratie car il ne faut laisser tomber personne et penser au rôle de chacun. La " démocratie consensuelle " demande du temps mais chacun doit donner du sien. C'est une sorte d'import de l'essence du pays/territoire Soninké : les bases de fonctionnement reposant sur la médiation. Par exemple lors des élections de la communauté de résidence les anciens sont automatiquement mis en avant, car jugés plus sages, ainsi le consensus se fait avec eux avant même les assemblées générales. L'organisation sociale est ainsi reproduite en France, saupoudrée de la " démocratie à la sauce Toubab "...

Après une vie faite de suractivité, que souhaiter à Monsieur qui nous a chaleureusement accueilli , si ce n'est une très bonne et longue retraite à l'ombre de ses manguiers ?!


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