Magazine Politique

Alexis Tsipras à Moscou ou l'échec de la stratégie du "noeud coulant"

Publié le 08 avril 2015 par Blanchemanche
#Grèce #Syriza #austérité #crise #Russie
Alexis Tsipras dépose une gerbe devant la tombe du soldat inconnu à Moscou. (Crédits : Reuters)
La visite d'Alexis Tsipras, le premier ministre hellénique, à Moscou a déclenché d'innombrables indignations en Europe. Les éditorialistes les plus respectés l'ont mis en garde contre le « piège » d'une alliance avec Moscou et le ministre des Finances conservateur bavarois, Markus Söder, a prévenu que la Grèce « devait savoir à quel camp elle appartient. » Le président social-démocrate allemand du parlement européen Martin Schulz a lui jugé « inacceptable » un rapprochement entre Athènes et Moscou. Mais ces réactions montrent surtout l'illusion dans laquelle, depuis l'élection grecque du 25 janvier, se bercent les dirigeants européens.

Les buts de l'Eurogroupe

Les cinq semaines qui nous séparent de l'accord arraché non sans peine le 20 février dernier à l'Eurogroupe ont en effet prouvé le vrai but des Européens contre le nouveau gouvernement grec, un but politique. Cet accord n'était en effet pas, comme on a pu le croire de bonne foi, l'ébauche d'une solution, c'était un nouveau moyen de pression sur la Grèce. En rejetant avec dédain les listes de réformes présentées par Athènes, Bruxelles espérait ainsi profiter de la dégradation de la situation économique et financière hellénique pour obtenir une reddition sans condition d'Alexis Tsipras.Ce week-end, dans le Financial Times, un "officiel" de la zone euro a dévoilé une part du jeu bruxellois en appelant Alexis Tsipras à « devenir premier ministre et non plus leader de Syriza. » La source du FT développe : il s'agit de contraindre Alexis Tsipras à se séparer de son « aile gauche » pour s'allier avec le Pasok et le parti centriste To Potami, très apprécié à Berlaymont, le siège bruxellois de la Commission. Avec une telle coalition, les « réformes » voulues par les Européens, celles qui incluent le marché du travail et la retraite, seraient chose acquise. En somme, l'UE tente de reproduire le coup de novembre 2011 lorsque George Papandréou avait été débarqué par la volonté de la troïka et qu'un gouvernement « technique » dirigé par Lukas Papadémos, ancien vice-président de la BCE, avait été mis en place soutenu par le Pasok, la Nouvelle Démocratie et le parti d'extrême-droite Laos.

L'illusion européenne d'un Syriza devenant Pasok

C'est pourtant bien mal apprécier la situation grecque. Alexis Tsipras ne prendra pas le risque de voir se former une opposition de gauche en dehors de Syriza. Ce serait détruire ce qu'il a construit avec tant de peine depuis 2009. C'est en effet lui qui a transformé la coalition lâche et sans direction qu'était alors Syriza en un parti uni capable de se présenter à l'opinion grecque comme une alternative de gouvernement. Il sait qu'il peut faire accepter des concessions, mais on le voit mal aller jusqu'à la rupture. Surtout pas pour s'allier à un Pasok discrédité et à un parti centriste qui, de l'avis général, est surtout un ersatz de Pasok « présentable. » Ce serait un suicide politique compte tenu du rejet de l'ancien parti des Papandréou de la part des électeurs grecs. Pour mesurer ce rejet, il faut se souvenir que le vote en Grèce était souvent familial. On était une famille « Nouvelle Démocratie » ou une famille « Pasok. » Le passage de ce dernier parti à 4 % des voix le 25 janvier est donc un geste de défiance formidable vis-à-vis de ce que le Pasok incarne : le clientélisme, la trahison de ses électeurs et la soumission à la troïka. Autant de qualificatif qu'Alexis Tsipras ne souhaite pas adopter.

Blocage indépassable

L'incapacité des Européens à prendre en compte cette situation interne a conduit en ce début avril à un blocage indépassable. La parole est donc aux menaces. Côté européen, on tente ainsi de plus en plus de banaliser la sortie de la zone euro de la Grèce, en en faisant un possible « accident de parcours. » C'est le fameux « Graccident » de Wolfgang Schäuble. En Finlande, les partis politiques semblent, dans l'optique des élections du 19 avril, faire assaut de fermeté face à la Grèce. Surtout, la zone euro resserre les rangs contre Athènes. Le mythe d'une Commission européenne plus « tendre » avec la Grèce appartient désormais au passé. La France et l'Italie brillent par leur silence absolu et leur absence d'initiatives.

Moscou, moyen de pression idéal

Que peut alors faire Alexis Tsipras ? Lui aussi doit pouvoir trouver des leviers de pression. La préparation à la « rupture », le risque du défaut, progressivement distillé à coup de rumeurs en est une. L'utilisation de la question des réparations et des commissions d'évaluation de la dette et des conditions du mémorandum de 2010 en sont une autre. Mais rien n'est sans doute plus efficace que l'arme géopolitique. Elle permet en effet de répondre politiquement à une pression politique. Et c'est ici que le premier ministre grec peut sortir sa carte russe.Se rapprocher de la Russie est en effet un moyen de pression idéal sur les « partenaires » européens de la Grèce, tant le régime de Vladimir Poutine est désormais honni par l'UE, particulièrement à l'est. Beaucoup estiment que, comme dans le cas des réparations de guerre, Alexis Tsipras joue avec le feu et risque de s'aliéner les pays d'Europe centrale et orientale très anti-russes, barrant la route à un éventuel accord. Ceci serait vrai si la route à un éventuel accord n'était pas déjà barrée. Du coup, l'enjeu pour les pays qui craignent le plus l'arrivée d'un « cheval de Troie » russe dans l'UE, qui bloquerait toute politique unitaire contre Moscou, et dans la zone euro est de savoir s'ils sont prêts à prendre ce risque pour le prix d'une réforme du marché du travail en Grèce... Ce qu'Alexis Tsipras tente de réaliser par ce voyage à Moscou, c'est de transformer sa faiblesse, autrement dit son isolement et sa situation économique, en force.

Un rapprochement avec Moscou, pas une alliance

Il a donc tout intérêt à montrer son entente avec Vladimir Poutine. D'autant que ce rapprochement présente plusieurs avantages. Le premier serait d'obtenir une forme de soutien économique, notamment par la levée de l'embargo russe sur les fruits et légumes et par des investissements. Le second est de se ménager un soutien au cas où la rupture devienne inévitable, soit par l'obtention d'un prêt qui permette à la Grèce de passer l'été et de rembourser BCE et FMI (mais il faudrait une dizaine de milliards d'euros), soit par l'obtention d'un soutien en cas de défaut ouvert du pays. Bref, en se rapprochant de Moscou, le premier ministre hellénique fait pression sur les créanciers et ménage l'avenir. Pour autant, il serait erroné de voir dans ce voyage une volonté de la Grèce de rejoindre l'Union eurasienne du président russe. La politique d'Alexis Tsipras est beaucoup plus équilibrée. D'une part, il cherche encore une solution de compromis au sein de la zone euro, les discussions ne sont pas rompues. D'autre part, le gouvernement grec tente aussi de se rapprocher aussi des Etats-Unis et c'est pourquoi Athènes s'efforce de rembourser le FMI. Alexis Tsipras n'a jamais remis en cause l'ancrage « occidental » de son pays.

La colère des Européens s'explique par l'échec de leur stratégie

La colère des Européens démontre surtout un sentiment d'échec de leur stratégie du « nœud coulant. » En mettant en scène ce voyage à Moscou, Alexis Tsipras les contraint à bouger, à prendre une décision sur la dernière liste de réformes. Or, on le sait, le temps était jusqu'ici le meilleur allié des créanciers. Il les met aussi face à un choix qui n'en est pas un : s'arc-bouter sur des positions idéologiques, ou prendre un risque géopolitique majeur sur fond de crise ukrainienne. Les Européens ont cru que leur force face à la minuscule Grèce était irrésistible. Mais ils se sont montrés trop statiques et ils se sont faits déborder par un Alexis Tsipras décidément bon stratège. On comprend la fureur du ministre bavarois des Finances. C'est celle du joueur qui, étant sûr de gagner, doit désormais se préparer à perdre un peu, de peur de ne tout perdre...  08/04/2015http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/alexis-tsipras-a-moscou-ou-l-echec-de-la-strategie-du-noeud-coulant-467185.htmlL'AUTEURRomaric Godin@RomaricGodin

Retour à La Une de Logo Paperblog