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Dorival Caymmi – Canções Praieras – Le Géant de Bahia

Publié le 26 mars 2014 par Boebis @bonjoursamba

(article préalablement publié sur mon autre blog dédié à la musique brésilienne)

C’est tout et ne rien dire que d’affirmer que Dorival Caymmi a une place centrale dans l’histoire de la musique brésilienne, lui qui en une centaine de chansons seulement, composées sur plus de sept décennies, a publié une œuvre d’une profondeur rarement atteinte.

Si son œuvre est parcourue de nombreux grands disques, son chef-d’œuvre le plus immédiat et le plus évident est Canções Praieras qu’il sort en 1954. Dorival Caymmi est alors déjà un compositeur reconnu. Il a derrière lui deux décennies de carrière pendant lesquels il a offert à Carmen Miranda ses plus grands succès dont le fameux O que é que a baiana tem. Il a surtout déjà publié plusieurs 78 tours qu’il interprétait lui-même. Ce fait seul témoigne de son aura, à une époque où il était rarissime pour un compositeur d’interpréter lui-même ses chansons.

Le disque Canções Praieras synthétise la plus belle partie de l’œuvre de Caymmi, celle où il chante sa Bahia natale. Une partie seulement, car, il composait également des chansons inspirées de sa vie à Rio de Janeiro où il s’était installé. C’est d’ailleurs un des paradoxes de Caymmi, que d’être celui qui a le plus et le mieux chanté Bahia alors qu’il l’a quitté dès l’âge de 23 ans pour Rio de Janeiro. Une ville qui à l’époque il faut le dire avait un quasi-monopole dans la production musicale du Brésil.

La plupart des morceaux présents sur Canções Praieras avaient déjà été enregistrés en 78 tours. Mais la grande originalité de ce premier Long Play est que Dorival Caymmi est seul à la guitare, une hérésie à l’époque, où un compositeur digne de son nom se devait d’être accompagné d’un orchestre au complet. C’est pourtant dans ce minimalisme déjà aperçu dans quelques un de ses enregistrements des années 40 qu’apparait le plus magistralement le génie de Caymmi. Car il s’agit bien de génie, sans galvauder le mot. Non le génie qui surplombe l’humanité de son écrasante supériorité mais celui qui sait justement partir d’histoires les plus quotidiennes, des personnages les plus humbles pour en faire des chansons universelles. De celles qui resteront chantées plusieurs siècles après que leur auteur aura été oublié, perdues au sein du peuple dont elles semblent être l’émanation.

Mais cette simplicité apparente est bien sûr un masque trompeur qui cache un compositeur immense, admiré par Heitor Villa-Lobo, vénéré par Tom Jobim. Il est un des premiers a introduire dans la samba, septièmes, neuvièmes et accords renversés. Le terme même de samba est d’ailleurs trop réducteur tant son œuvre déborde largement le genre. Caymmi est d’ailleurs le seul compositeur de sa génération à être une référence unanime pour les musiciens de la bossa nova puis de la MPB,  João Gilberto en tête qui reprend d’ailleurs son Rosa Morena sur l’album fondateur Chega de saudade.

Dorival Caymmi est aussi un grand interprète. Sa voix grave et puissante lui permet de tenir la comparaison avec les chanteurs de l’époque qui se devaient de donner de la voix. C’est surtout son jeu de guitare qui étonne et séduit ; un style totalement unique, à la fois identifiable instantanément à sa manière de faire rouler les notes comme la mer sur le sable, et pourtant chaque fois différent, car chaque fois  parfaitement adapté à la chanson. Plus qu’un accompagnement, sa guitare dresse un véritable paysage sonore.

Caymmi, c’est enfin sa manière inimitable de chanter en quelques mots les plages d’Itapoã, des plages qu’il nous donne à voir, entendre et sentir. Ces plages où on marche simplement pour marcher, où tous les chemins mènent à la mer, et qu’une fois connues on ne veut plus jamais quitter (Quem vem pra beira do mar). Mais aussi les plages d’où partent les pêcheurs, ceux qui ont, chante-t-il, deux amours, un à terre – une femme qui les attend – et un autre en mer, qui n’est autre que la mer elle même (O bem do mar). C’est la mer nourricière qui apporte chaque jour au pêcheur de quoi gagner sa vie (Pescaria). Mais c’est aussi la mer meurtrière, celle dans laquelle vient se noyer le pêcheur, pour reposer dans les bras de Iemanja  (E doce morrer no mar). Et c’est le vent d’Itapoã qui chante dans les cocotiers, qui agite la mer et rappelle la brune aimée restée là-bas. Et car quand on l’écoute, nous avons tous une brune qui nous attend ou un pêcheur aimé parti en mer, Dorival Caymmi est un géant.


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