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La stratégie marocaine en matière de migration

Publié le 31 mai 2008 par Kak94

par Béatrice Leveillé

Article publié le 30/05/2008 Dernière mise à jour le 29/05/2008 à 20:11 TU

Migration et mobilité, c’était le thème de rencontres organisées au Maroc par l’Union européenne entre des journalistes européens, des ONG et des responsables marocains. L’occasion de faire le point sur la stratégie de ce pays en matière de migration.
La stratégie marocaine en matière de migration
Une embarcation est arraisonnée par les garde-côtes espagnols dans le port de Ténérife.
(Photo : AFP)

Des campements de fortune autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, prises d’assaut par des malheureux à l’aide d’échelles en bois… Le détroit de Tanger transformé en cimetière avec des milliers de jeunes Africains morts noyés entre les côtes marocaines et espagnoles, des Subsahariens errant en plein désert après avoir été repoussés, sans une goutte d’eau, hors des frontières marocaines. L’immigration est pour toujours associée au Maroc à ces images dramatiques. Le Maroc s’est depuis doté d’une stratégie de lutte contre la traite des êtres humains et l’arrivée de José Luis Zapatero au pouvoir a permis à Madrid et Rabat de mettre en place une coopération efficace qui se traduit par des chiffres impressionnants : une réduction de 90% du nombre de migrants illégaux par rapport à 2004.

 

Les « pateras », ces barques de fortune qui reliaient la côte espagnole depuis la côte marocaine se font rares. Les bateaux vont plus souvent vers les Canaries au départ de la Mauritanie et du Sénégal avec des risques encore plus grands. C’est le résultat de la stratégie de lutte contre le trafic qui a commencé à se mettre en place au Maroc avant l’assaut des Subsahariens contre Ceuta et Melilla. Un drame qui a fait treize morts, des Subsahariens tués par les balles des militaires marocains et des gardes civils espagnols.

« Quand on a bouclé les côtes, deux petites fenêtres sont restées ouvertes, c’était Ceuta et Melilla. Le drame a permis de collaborer avec l’Espagne et de porter la question des migrations au cœur des relations Nord-Sud », explique Khalid Zerouali, directeur de la Migration et de la Surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur.

Le Maroc fait un effort considérable pour contrôler un littoral de 3200 kilomètres de long. Toutes les informations sont bonnes. Quand les policiers marocains ont appris qu’au Sahara, la consommation du bois se développait étrangement, ils ont découvert que les trafiquants avaient installé un chantier naval en plein désert. Ils faisaient fabriquer des barques avec un bois de mauvaise qualité par les candidats à l’immigration, qui risquaient après leur vie sur ces bateaux mal construits. Un immigrant illégal qui meurt, c’est mieux pour un trafiquant qu’un immigré qui rentre chez lui parce que, souvent, il va faire brûler la maison de celui qui l’a impliqué dans le trafic. C’est également grâce au renseignement que la police marocaine fait avorter les abandons de bateau au large des côtes européennes.

« Nous sommes face à des organisations criminelles très performantes, notre stratégie consiste à rendre leur business plus risqué et moins rentable », dit Khalid Zerouali, directeur de la Migration et de la Surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur. Les peines pour ce genre de trafic sont devenues très lourdes : de cinq années de prison à la perpétuité. Cela rend le petit personnel plus cher et plus rare donc plus difficile à recruter pour les trafiquants.  

Les routes sont connues. En plus des Subsahariens, il y a des Asiatiques qui atterrissent en Afrique de l’Est puis traversent le Niger, le Mali et se dirigent vers l’Algérie, le Maroc ou la Mauritanie. Les trafiquants utilisent ces routes aussi bien pour la traite que pour transporter de la drogue ou des armes. Le prix du  voyage est de 7000 à 11 000 euros, un vrai marché en Asie où les candidats au départ se voient offrir un voyage de la deuxième chance au cas où le premier échouerait : « buy one, get one free ». Les experts estiment que ce trafic d’êtres humains à l’échelle de la planète pèse 32 milliards de dollars chaque année. Le niveau de menace est d’autant plus élevé que les gains sont importants. Sur ce marché fortement contrôlé par des bandes organisées, les migrants sont traités comme une marchandise. Les rabatteurs vont recruter dans différentes ethnies pour avoir des groupes qui ne sont pas solidaires. Un client devient vite une victime de traite. Le groupe est entouré par des tueurs théoriquement là pour le protéger. Les trafiquants font souvent chanter les familles qui doivent payer à plusieurs reprises. Les migrants sont parfois séquestrés dans des maisons en attendant qu’une route se débloque. Pour faire tomber les réseaux, il faut assurer la protection des victimes et leur retour dans leur pays d’origine. Au Maroc, 8500 personnes ont pu être rapatriées dans leur pays avec l’aide de l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations.  

Autre problème : la vulnérabilité des populations

Pauvres ou mal informées, elles se laissent berner par les trafiquants, leur confiant leur argent et leur vie. Lutter contre la précarité et contre la corruption, scolariser les enfants, favoriser le développement sont les vrais moyens de décourager les trafiquants. Les autorités marocaines ont également entrepris de lutter contre le trafic des « petites bonnes ». Des enfants d’origine rurale, souvent maltraités et exploités par des familles plus aisées qui vivent dans les grandes villes. Il faut changer les mentalités pour Khalid Zerouali, qui reconnaît que le déclin des trafics est d’abord le résultat de la réaction de la société civile et des médias. « Ces questions étaient taboues, on en parle désormais sans complexe. Les communautés affectées par le trafic sont informées et le résultat est incroyable », ajoute-t-il.

Le plus gros obstacle à cette politique d’information, ce sont les satellites qui fleurissent même sur les toits en tôle dans les bidonvilles. Les chaînes de télévision entretiennent toutes, ce rêve d’un éden européen alors que, pour la plupart des candidats à l’immigration illégale, l’aventure tourne au cauchemar.

Quand vous fermez une route, les trafiquants passent ailleurs

L’Union européenne fournit, aujourd’hui, une aide de 68 millions d’euros au Maroc pour renforcer l’action du ministère de l’Intérieur : formation des policiers et des douaniers et mise à niveau du poste-frontière au Maroc désormais équipé de scanners qui détectent la présence d’êtres humains dans les conteneurs. Un autre volet de ce programme d’aide concerne l’amélioration du traitement des migrants, l’accompagnement et la réintégration des personnes qui veulent rentrer dans leur pays. 

Les résultats obtenus par les autorités marocaines parlent d’eux-mêmes : 4811 tentatives de passage illégal vers l’Union européenne avortées en 2007, 1400 réseaux démantelés depuis 2004. Les trafiquants commencent à comprendre que ce n’est plus la peine de poursuivre leurs activités au  Maroc. Un succès que  tempère Ali Al Hima, président de la commission des Affaires étrangères du Parlement : « Tant que l’immigration légale n’est pas encouragée, d’autres routes s’ouvriront .» 

L’immigration légale aide à la lutte contre la pauvreté

Le Maroc tente de mettre en place avec l’ANAPEC, l’Agence marocaine pour la promotion de l’emploi et des compétences, un nouveau modèle d’immigration légale qui contribue au développement du pays. Douze mille femmes marocaines cueillent en ce moment des fraises dans le sud de l’Espagne. Ce sont des cultivatrices sélectionnées par l’agence pour l’emploi  dans les régions les plus reculées du Maroc. Elles passent entre trois et six mois en Espagne et gagnent 32 euros par jour, nourries et logées. L’expérience, financée en partie par l’Union européenne, est très encadrée par les autorités marocaines et espagnoles. Elle semble satisfaire tout le monde, sauf les réseaux criminels bien sûr.  

source : http://www.rfi.fr/actufr/articles/101/article_66864.asp


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