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Mais… il fume !

Publié le 06 juillet 2009 par Sylvie_bigant

Kyushu : Miyazaki - Beppu ... 14/09 - 22/09
Nous débarquons au port de Miyazaki, sur la côte sud-est de Kyushu. Avant même de pédaler, il nous faut des sous. Une de nos expressions courantes au Japon c'est : 'Qu'est-ce que ça part vite !'. Qui revient environ toutes les semaines. Nous nous rassurons en faisant des sommes, des moyennes journalières, en enlevant des dépenses : 'Oui mais ça, ça ne compte pas...'. Au final, nous arrivons à tenir notre budget de 30 euros/jour pour deux (ce qui est luxueux par rapport à la plupart des cyclistes rencontrés) parce que nous ne prenons pas de transport en commun et que nous campons dans des endroits gratuits. Nous avisons une banque. Elle n'ouvre qu'à 9h, dans un quart d'heure. Nous nous posons à côté d'un magasin et tout de suite, une dame sort, nous propose de nous mettre à l'ombre et nous amène deux verres de thé glacé. Un des motards du ferry passe à côté de nous quelques instants plus tard, s'arrête et nous tend un petit paquet de pâtes de fruits. On commence déjà à aimer le Japon !

Encore une fois Ben met beaucoup de temps à la banque et revient dépité : 'Ils ne prennent pas les cartes étrangères !'. Oups, il ne nous reste plus que 10 euros et la ville principale est tout au nord, à 500 km d'ici. Les dames du magasin s'affairent pour nous aider puis le banquier revient en courant, nous pouvons retirer au 7 Eleven (une supérette) un peu plus loin. Drôle de solution.

Nous longeons la côte et nous croyons transportés à Hawaï. Enfin, nous n'y avons jamais été mais c'est comme ca que nous imaginons les îles: des palmiers qui se balancent dans le vent marin, une mer bleu intense, un ciel bleu et des nuages blancs qui flottent comme des flocons. D'ailleurs nous nous avouons un peu plus tard qu'un nom revient sans cesse dans nos têtes : Pearl Harbour ! Sans doute à cause du film. Nous déjeunons à côté d'Aoshima, une minuscule péninsule dont le sol rocheux est quadrillé comme si on y avait posé des dalles. Nous nous rappelons les Pancake Rocks en Nouvelle Zélande et la péninsule de Port Arthur en Tasmanie. En guise de déjeuner, nous achetons des , des boites avec du riz, du poisson ou de la viande, un peu de salade. C'est joli mais peu nourrissant. On complète avec des pâtisseries et tout de suite la note grimpe. Aie, aie, aie, ça va être dur ! Ce sera un de nos souvenirs récurrents du Japon, la FAIM ! Non seulement, c'est relativement cher mais les portions sont minuscules. On comprend pourquoi les Japonais sont aussi minces, ils mangent comme des moineaux. Mais quand on pédale 60 à 80 km par jour avec des dénivelés de 1500m et des pentes à 8% (c'est-à-dire raides à très raides), ça ne suffit pas. Du coup, on a souvent l'estomac qui gargouille et on est toujours sur le qui-vive : 'Regarde ce n'est pas trop cher et ça a l'air nourrissant...'. Ben met longtemps à oublier ces jours heureux en Chine où il se prenait un thé glacé à midi et un autre le soir avant de se coucher. Et Sylvie regarde d'un œil désespéré les glaces. Malheureusement les Japonais sont fans de glaces italiennes et on en trouve à tous les coins de rue ! Au bout de quelques jours, nous prenons notre rythme de croisière : à midi, bananes pour la route (meilleur rapport poids-prix) et pâtes le soir. Nous consommons aussi pas mal d' , ces boulettes de riz triangulaires fourrées au poisson, aux légumes... et qu'on emballe dans une grande feuille d'algues. Sylvie adore aussi les boulettes de riz gluant fourrées à la pâte de haricots rouge et Ben ne manque pas de prendre un air dégoûté à chaque fois qu'elle en engloutit une ! Encore et toujours, notre sujet favori de conversation reste la nourriture. C'est un sujet de prédilection chez les cyclistes si on en croit les blogs d'Albane et Benoît et des Jolivot et toutes les discussions qu'on a avec les cyclistes. Pensez à nous la prochaine fois que vous croquerez dans un croissant ou un camembert !!

Après une cinquantaine de km, nous bifurquons dans les montagnes. Les palmiers et la mer cèdent la place à des petits villages aux maisons dans les tons gris et marron entourés de rizières où les épis de riz vert tendre se balancent avec la brise. Nous sommes un peu déçus par les villages. C'est comme si les habitants ne se souciaient pas de l'extérieur et se concentraient sur l'intérieur. A part les maisons des gens aisés. Nous frappons à la porte d'une maison un peu plus jolie que les autres. La dame nous fait comprendre : 'Oui, bien sûr vous pouvez planter votre tente dans ce champ de riz fauché en face mais vous allez avoir plein de moustiques. Et puis il risque de pleuvoir. Plantez donc votre tente sous l'auvent devant ma maison'. Nous sommes très surpris, tout le monde nous a avertis que les Japonais invitent très rarement chez eux. Surpris mais enchantés, nous sommes toujours partants pour entrer en contact avec les locaux. Après avoir 'planté' la tente (sur du béton), elle nous invite à entrer chez elle pour prendre une douche. Nous tombons sous le charme et Sylvie est ravie, c'est comme si elle entrait dans son rêve de maison japonaise : les pièces sont divisées par des grilles de bois recouvertes de papier blanc, modulables à volonté et les planchers en bois sont recouverts de tatamis, ces sortes de tapis en paille de riz tressée serré, moelleux sous les pieds. Nous passons la soirée avec elle, sa sœur et le mari de sa sœur. Elle est veuve et vit seule mais son frère et sa sœur habitent dans des villages proches. Ses deux enfants ont la quarantaine et habitent des villes sur la côte de Kyushu. Nous n'aurions pas deviné qu'elle avait au moins la soixantaine. Ils ne parlent pas anglais mais nous nous débrouillons par signes et avec notre petit guide de conversation. Il y a d'ailleurs quelques moments très drôles. Ben demande où habite ses enfants mais se mélange les pinceaux avec les syllabes et cela donne quelque chose comme : 'Kodo dokomo ?'. Le beau-frère part d'un énorme éclat de rire, c'est tout juste s'il ne se tape pas sur les cuisses tellement il trouve ça drôle. Il se lance dans des variations : 'Kodo mokodo...'. Ben aurait dû dire : 'Doko kodomo ?' littéralement 'Où enfants ?'. Le japonais est facile à prononcer, il n'y a pas de tons comme en chinois. Par contre, on se mélange souvent dans les syllabes.

Nous avons monté la tente de nuit, nous nous réveillons à l'aube (5h30 !) dans un décor de rêve : le volcan s'éclaire peu à peu dans des teintes roses orangées et se met à fumer de plus en plus, comme si lui aussi s'était endormi cette nuit. Ben a toujours été fasciné par les volcans, il est aux anges ! De petits bateaux de pêche à l'ancre se balancent sur l'eau, certains pêcheurs sont déjà en route pour le large. Nous longeons la côte sur quelques dizaines de km puis nous enfonçons dans les montagnes. Sylvie est un peu déçue, elle préférerait suivre la mer mais les côtes japonaises sont très bétonnées à cause des risques de tsunami. Un mur de béton s'élève au bord de la route nous empêchant souvent de voir la mer. Les montagnes offrent de bien plus belles vues. Juste avant d'attaquer la montée ('très raide mais courte' a dit Will dans ses notes), une dame nous offre un sac de mandarines. C'est parce qu'elle sait que ça va être vraiment dur ? En nous éloignant, nous voyons encore longtemps Sakurajima et ses fumerolles. Il fait chaud et très humide sur cette île, sauf peut-être au plus fort de l'hiver. Nous retrouvons une végétation similaire à la Nouvelle Zélande : des arbres immenses, une végétation luxuriante qui envahit même le bord de la route, des fougères, du vert, du vert partout. Nous sommes maintenant vraiment dans les montagnes, Will (le cycliste qui nous a préparé la route) nous avait prévenus. Les pentes sont courtes, entre 5 et 8 km mais très pentues. Et apparemment, le pire reste à venir... Emballés par la nuit précédente, nous tentons notre chance à une nouvelle Michi-no-eki. Les gens n'ont pas l'habitude que des cyclistes leur demandent mais acceptent et nous nous installons derrière des arbres, sur une pente pas trop raide, il n'y a pas de plat ici ! Le soleil se couche tôt, vers 6h donc nous aussi (un peu plus tard que le soleil quand même !). Vers 21h, des vrombissements nous réveillent. Zut, nous sommes sur le terrain de prédilection des jeunes de la région. Ils se retrouvent le soir avec leurs motos et s'amusent à passer et repasser à plein gaz sur la route en pente juste au-dessus de notre pente. Nous avons camouflé les réflecteurs depuis longtemps mais les phares éclairent la tente au passage et d'après les cris, nous avons été repérés. Nous écoutons, tremblants, on ne sait pas trop ce qui pourrait passer par la tête de cinq ou six jeunes grisés par le bruit et la vitesse. Ils partent une demi-heure plus tard, ouf.

Descendre sur Ebino city nous prend un peu plus de temps que prévu. Encore une de ces descentes raides où nous perdons du temps à attendre que les jantes refroidissent. Nous profitons à peine du plat dans les rues de la ville que nous devons déjà remonter. Nous passons deux curieux ponts, ils semblent enserrer la montagne dans leurs anneaux métalliques. En bas de la descente, le paradis nous attend... enfin, le paradis pour deux cyclistes affamés qui n'ont vu que des supérettes depuis plusieurs jours, un centre commercial ! Comme c'est le Japon, nous laissons nos deux vélos dehors avec toutes nos sacoches sans cadenas ni surveillance et partons joyeusement explorer cette caverne d'Ali Baba. Nous déjeunons sur un banc à côté d'une dizaine de distributeurs de boissons : riz, croquettes de pommes de terre, poisson et drôles de légumes. La pharmacienne qui nous a aidé à trouver des comprimés de magnésium (nos muscles n'en peuvent plus de toutes ces montées-descentes !) nous amènent deux bouteilles d'eau fraîche. Sa gentillesse nous rappelle notre premier jour sur l'île quand Ben a dû changer un maillon de sa chaîne. La dame du magasin à côté nous avait d'abord offert deux bouteilles d'eau (achetées au distributeur) puis deux foulards, c'est vrai qu'on transpirait...L'après-midi nous offre un peu de répit, nous suivons une piste cyclable relativement plate. Après avoir passé trois jours dans les montagnes, cette grande vallée cultivée de champs de riz semble incongrue ici, en plein centre de l'île. Des détonations nous alertent, ils ne sont quand même pas en train de chasser en pleine zone habitée ! Nous comprenons en voyant des sortes des petits engins rouges dans les rizières et des moineaux s'envoler, très intelligent et beaucoup plus efficace que les épouvantails. Le répit dure peu, après une vingtaine de km, nous remontons déjà. Le lac artificiel que Will avait décrit comme spectaculaire est très décevant, un barrage, l'eau est très basse et grise. Nous comprendrons trois semaines plus tard lorsqu'il nous montrera les photos : les cerisiers en fleur, l'eau presque en haut, bleue... Les paysages changent énormément d'une saison à l'autre. L'été n'offre pas les meilleures couleurs d'ailleurs. Mieux vaut venir au Japon quand les cerisiers sont en fleurs ou à l'automne, quand les arbres sont rouges. Au village de Yuyama, nous pensons pouvoir planter la tente dans le joli parc en face de l' mais c'est impossible. La dame de l' passe plusieurs coups de fil et juste comme elle trouve un couple qui accepte qu'on campe dans leur jardin, Ben revient. Un vieil homme propose qu'on campe dans son champ juste fauché, à côté du parc ! Nous plantons la tente après un bain chaud bien mérité. Nous avons une vue imprenable sur le village. La nuit tombe, les bruits s'estompent et les étoiles s'allument une à une... un soir comme on les aime.

Cette journée reste une des plus dures du Japon et probablement du voyage mais aussi une des plus belles. Malheureusement pour nous les voitures japonaises et même les camions ont des moteurs puissants ce qui n'incite pas les ingénieurs à faire des routes en pentes douces. Ce matin, la route monte à 8-10% sur 7 km, redescend et remonte de la même façon sur encore 7 km. Les pentes sont très raides et on en vient à faire une pause tous les km pour boire et reprendre un peu d'énergie. En contrepartie, cette route est magnifique, étroite, de la largeur d'une voiture, elle serpente dans les montagnes et il y a très peu de circulation. A l'ombre sous les pins, avec seulement les chants des oiseaux, nous avons l'impression d'être seuls au monde, un petit paradis pour cyclistes. Nous achetons des chips et des ananas au sirop dans un minuscule magasin et pique-niquons quelques km avant le deuxième col. La route longe ensuite une rivière, toujours en montée mais moins pentue. L'automne arrive et la nuit tombe vite maintenant, vers 18h. D'après la carte, il ne reste qu'une quinzaine de km jusqu'au camping. Sylvie ralentit, pas assez mangé. Ben avise un petit magasin dans un tournant, il fonce ayant en tête d'être ressorti avec de quoi manger quand Sylvie arrive à sa hauteur. Le couple qui tient le magasin tente d'en savoir plus sur son vélo et sa destination mais il est trop pressé. Le mari va à la pêche aux informations quand Sylvie arrive et elle apprend ainsi que la carte est fausse, ce n'est pas quinze mais trente km qu'il nous reste ! Rouler de nuit est trop dangereux dans les montagnes. Et ici, la route est coincée entre la montagne et la rivière, il n'y a nulle part où camper. Mais nos anges gardiens veillent... Nous avons tellement de chance dans notre voyage que nous avons décidé que les anges gardiens existaient ! Le couple commence par nous montrer le parking mais ils trouvent que c'est un peu dangereux, les voitures pourraient rouler sur notre tente dans le noir. Soudain, le mari a comme un éclair de génie : 'Le bungalow !'. Il stocke ses marchandises de valeur dans un petit bungalow préfabriqué à côté du magasin. Il pousse toutes les boites d'un côté et nous désigne l'espace dégagé d'un geste : 'Vous pouvez dormir là !'. Encore une fois, nous sommes ébahis par tant de gentillesse. Il installe une lampe à l'extérieur pour que nous puissions dîner sur la table, nous amène à boire, des mandarines et une salade de fruits en dessert. Inutile de dire que nous dévalisons leur magasin pour les remercier !

Nous prenons un jour de repos bien mérité après sept jours de montagnes russes et de camping à la va-vite. Journée de lessive, nettoyage, repos et gros repas... Nous réalisons que nous n'aurons pas le temps de finir la route que Will nous avait tracé. Après l'île de Shikoku, nous irons directement à Kyoto puis Tokyo au lieu de passer par le nord, Fukui, Matsumoto... Nous sommes terriblement déçus. Nous avions bien estimé mais nous avions oublié d'inclure la semaine à Tokyo et nous ne pouvons pas déplacer notre vol sur le Chili. Nous reviendrons ! Le soir, nous sommes témoins d'un drôle de phénomène, une invasion de fourmis volantes. Elles sont toutes tombées au sol et font un tapis dans les zones lumineuses. Les enfants hurlent et refusent d'entrer aux toilettes !


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