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Comment j’ai vidé la maison de mes parents

Publié le 11 avril 2015 par Adtraviata

Comment j’ai vidé la maison de mes parents

Quatrième de couverture :

Un jour, alors que l’enfance sera déjà loin, nous deviendrons orphelins. Une fois nos disparus enterrés, nous devrons accomplir cette tâche impudique : vider la maison de nos parents. Pour chacun des objets et souvenirs de leurs vies, nous n’aurons que l’un de ces choix : garder, offrir, vendre ou jeter. Puis, dans le désordre des émotions, nous fermerons leur porte, qui est aussi un peu la nôtre.

Lydia Flem est l’auteur d’une douzaine de livres traduits en plus de quinze langues. Membre de l’Académie royale de Belgique, elle est également psychanalyste et photographe. Comment j’ai vidé la maison de mes parent est le premier volume d’une trilogie autobiographique. Lettres d’amour en héritage est également disponible en Points.

Avec beaucoup de sensibilité et une grande précision, Lydia Flem aborde un sujet grave, celui du deuil des parents : tous, un jour (du moins dans la logique plus ou moins naturelle des choses) nous perdrons nos parents, et la séparation se marquera notamment par une autre forme de présence, qui pourrait se révéler encombrante : l’héritage qu’ils nous légueront.

Lydia Flem est non seulement écrivain mais elle est aussi psychanalyste. Cela se ressent, notamment par ses références à Freud, dans la réflexion approfondie qu’elle mène sur la mort des parents quand on est un adulte déjà accompli, sur l’ambivalence des sentiments qui peuvent survenir : « Comment oser raconter à quiconque ce désordre des sentiments, ce méli-mélo de rage, d’oppression, de peine infinie, d’irréalité, de révolte, de remords et d’étrange liberté qui nous envahit ? » (p. 9) Car dans notre société, peu d’espace, peu de temps sont accordés aux endeuillés pour traverser la perte et retrouver un nouvel équilibre des relations.

Une des premières réalités les plus visibles de ce travail de deuil est l’héritage, c’est-à-dire se retrouver tout à coup propriétaire légal de biens que les parents ne nous ont pas nécessairement transmis, donnés clairement de leur vivant. Que faire ds objets, des papiers, des souvenirs personnels, de cette maison à vider ? Vider, un verbe cruel que Lydia Flem égrène avec une grande lucidité.

Face à cette tâche, elle est d’abord et avant tout une fille, une fille unique qui prend d’abord le temps de raviver les derniers jours, les derniers instants de ses deux parents, et surtout de sa mère partie en dernier, et dont elle a respecté les dernières volontés. Un respect qui apaise un peu sa douleur et l’aide à trouver grâce aux yeux de cette mère jamais satisfaite des efforts de sa fille pour se faire aimer telle qu’elle était. Vient ensuite le temps, long, terriblement long, souvent teinté d’amertume, d’incrédulité, où il lui faut ranger, trier, vider la maison, pièce par pièce. Une maison où ses parents ont accumulé et gardé les papiers, les objets, les souvenirs de toute une vie, sans jamais rien jeter. Une tâche gigantesque, presque insurmontable et pourtant libératrice pour une fille qui n’avait jamais vraiment trouvé sa place dans la lignée familiale marquée par la Shoah et les nombreux membres déportés et gazés à Auschwitz. Une histoire que ses parents n’avaient jamais racontée clairement à Lydia, comme pour se protéger et pouvoir recommencer une nouvelle vie malgré l’horreur.

« Je voulais savoir. Non plus être le contenant passif d’une trop grande douleur mais assumer l’histoire qui avait précédé ma naissance, comprendre l’atmosphère dans laquelle j’étais née. Me dégager d’un passé qui étai reté entravé dans leurs poumons et m’avait empêchée de respirer librement. Les documents que je grappillai en divers lieux de la maison établissaient les faits, crus mais clairs et distincts, sans l’ombre d’une émotion, sans le risque d’une fusion mortifère. » (p. 75)

« De tous les coins et recoins émergeaient toujours davantage de feuilles, d’enveloppe, de cartes, de notes, de cahiers, de petits carnets, de photocopies, de photographies, de plans, de brouillons, de listes, de pense-bêtes. J’en avais le tournis.

Devais-je, par fidélité, conserver ces infimes fragments de vie ? Leur étais-je enchaînée ? Mon père et ma mère avaient peut-être inconsciemment cherché à ensevelir l’horreur sous l’abondance de l’anecdotique, du quotidien, des petits bonheurs soutirés à la vie, au coup par coup, c’est toujours ça de pris à l’ennemi. Chacun garde intentionnellement ou par hasard, par paresse, par lassitude, des tas de paperasses. Mes parents avaient conservé presque toutes les strates de leur vie, tout ce qu’ils avaient pu sauver du néant : bouclier imaginaire contre le vide qui demeurait en eux ? Mais en quoi cela me concernait-il à présent ? Je n’étais pas censée, en devenant leur héritière, me faire leur psychanalyste. J’étais partagée entre l’envie de poursuivre mon exploration et le désir de plus en plus puissant de bazarder le tout. La curiosité m’en empêchait encore. » (p. 84-85)

Ainsi, au fur et à mesure des découvertes, des choix cornéliens, « garder, offrir, vendre ou jeter », Lydia Flem peut à la fois se détacher et se réapproprier l’héritage de ses parents. En témoignent les listes, les longues listes d’objets trouvés dans la maison, le passage très émouvant sur les vêtements cousus et portés par sa mère, les dons qu’elle réussit à faire à des amis pour que les choses puissent vivre une nouvelle vie. Et ainsi à travers ce lent travail minutieux, l’héritière passe du chagrin à la joie, de la mort à la renaissance. On sent que les souvenirs ne sont pas achevés, il n’y a pas de point final à ce premier volet d’une trilogie autobiographique.

Difficile de rester indifférente à ce petit livre, car il convoque les souvenirs de mes parents et de leurs frères et soeurs vidant eux-mêmes les maisons de mes grands-parents, et annonce ce travail que je devrai moi-même effectuer un jour, heureusement pas seule non plus, dans quelques années, le plus tard possible, j’espère.

Lydia FLEM, Comment j’ai vidé la maison de mes parents, Editions du Seuil, 2004 et Points, 2013

L’avis de Mina

Avec ce récit autobiographique, voici une nouvelle participation au Projet Non-Fiction de Marilyne. C’est aussi une sortie de PAL qui correspond à mon objectif 2015 : découvrir des auteurs dont je possède déjà plusieurs titres dans la pile… (j’en avais déjà 4 de Lydia Flem sans l’avoir jamais lue !)

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