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Circuit Des Yeux – In Plain Speech

Publié le 16 avril 2015 par Hartzine

Circuit Des Yeux, c’est une histoire d’émotions véhiculées depuis sept ans, les mêmes, étroitement liées à une approche de la prod qui ne cessera d’évoluer jusqu’à aujourd’hui. En 2008, Sirenum introduit une personnalité musicale atypique, presque déviante, à la voix fantomatique et saturée braillant des chants incantatoires sur fond d’expérimentation sonore, au rythme tribal et lourd. Dès 2011 et son debut album Portrait, les textures gagnent en profondeur et en lyrisme, en tristesse aussi. La voix reste parfois fantomatique mais sa tessiture ronde et grave gagne en harmoniques, avec des passages dans les aigus dignes d’une mezzo. Les accords folk tirent de temps à autre sur la longueur et les glandes lacrymales, c’est un chapelet de moments d’exaltation brute, un duel entre le larynx et les instruments, une escrime vibratoire. Chacune de ses sorties est une ode au romantisme, celui qui comble en même temps qu’il déchire, celui qui angoisse en même temps qu’il euphorise. Haley Fohr ne change pas de style, elle le mature, le forge au marteau de ses tourments, le colle à sa peau pour mieux faire frissonner la nôtre, et ses plaintes déchirantes dans Acarina, en 2013, déshinibent au figuré une approche radicale sur le bouleversement intérieur.

In Plain Speech, prévu le 18 mai prochain chez les esthètes de Thrill Jockey, sublime encore cette approche d’un storytelling aux instruments multiples. La voix, mieux mise en avant que dans les précédentes prods et résonnant clair et fort, et les quelques chœurs aux octaves complémentaires s’alignent en parfaite harmonie avec les mélodies. C’est une voix basse et forte qui exprime la maturité, celle de l’abréaction qui transcende une situation personnelle consommée ou métaphorique par une musicalité puissante et douloureuse, se volatilisant parfois dans des acrobaties mélodiques aux trémolos fabuleux, moments de fragilité et de tension comme dans Ride Blind, où sourde une appréhension terrible, une violence éructante mais muselée. Le violon, omniprésent avec la guitare, est tantôt d’une mélancolie fragile mais pas aliénante dans A Story Of This World, tantôt métronomique dans Dream of TV, où un staccato d’introduction égrène les deux premières minutes, comme nous invitant à mettre en place une intrigue qui s’étoffera quelques secondes plus tard dans une saturation superbement domptée. Frottées, écrasées ou pincées, les cordes sont domestiquées pour ordonner un enchevêtrement complexe de textures sonores à la dramaturgie bienveillante.

Circuit des Yeux by Julia Dretel - EDITCDY403832pp

Photo © Julia Dretel

C’est une folk désarmante aux multiples strates musicales mais à un seul niveau lecture, celui du pathos, dans son déroulement intégral et fantasmé, de l’ébauche au développement, dont elle nous offre les premières clés dans Do The Dishes: ‘There’s something deep inside of you, Something that’s worth leachin’ into’ et qui résonnent dans Fantasize The Scene, une ballade vers l’inconnu, emblématique du désir de se perdre dans l’allégorie spleenétique, une fuite du dernier espoir qui tournerait facilement à la mièvrerie si elle n’était exposée avec un tel brio et ne s’achevait sur une conclusion d’une quiétude résolue et réconfortante: ‘Now that I’ve arrived, the door is open wide. Into the shadows I see, A figure is walking back to me’. Haley est une dramatiste qui, même en l’absence de paroles, impulse à ses créations musicales une dimension du récit, aux découpes stylistiques proches du scénario: amorce, intrigue, tension, climax, dénouement. Électriques, acoustiques, analogiques, loopés, soufflés ou grattés, entre ses mains les instruments prennent la qualité du discours dans des constructions verbales enrichies de multiples allitérations, métaphores et autres aposiopèses. Sous l’apparente déconstruction de son approche, Circuit Des Yeux dissimule une solide maîtrise de la rhétorique musicale qui, en perdant l’auditeur dans un méandre de réactions variées et parfois contradictoires, offre à l’ensemble la cohérence d’une œuvre sublime et confondante, une poésie à découvrir en live à l’Espace B le 9 juin prochain aux côtés de Liturgy (Event FB).

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