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Pas bonnard, le dessin

Publié le 25 avril 2015 par 49leon49

J’ai voulu vérifier, me contredire, pourquoi pas,  tellement gêné de penser depuis toujours que son dessin défaillait quelque part, et qu’existait un mystérieux paradoxe entre la qualité de ses compositions et la faiblesse de ses formes, dès lors que celles-ci présentaient une difficulté graphique ou structurelle. En particulier les représentations d’éléments vivants, personnages ou animaux. Je ne comprenais pas comment ce chat sur ses pattes démesurées ou ce gant de toilette  comme un moignon ne faisaient tiquer personne et qu’on continue tranquillement à appeler ces toiles des chefs d’œuvres. J’étais resté sur le souvenir lointain d’une grande exposition à Martigny, pleine de nus lumineux, mais ponctuée de ce qui m'apparaissait déjà comme des incongruités. Depuis, ayant rencontré par-ci et par-là d’autres de ses tableaux, mon idée se faisait plus précise sur le sujet : oui, le dessin de Bonnard est problématique. De mon point de vue, des maladresses endommagent trop souvent l’image et en gênent la lecture. On aimerait se laisser porter par le rythme, la vibration et la magie de la couleur, et tout à coup une bizarrerie nous ramène à un certain prosaïsme : bras trop court ici, jambe excessivement raide ou longue ailleurs, etc. Au  Cannet  vu autrefois dans une toile un jeune garçon au pouce du mauvais côté de la main (en tous cas, le doute était permis).

Une simple faute d’orthographe suffit parfois à totalement nous détourner du fond de notre lecture, à nous déconcentrer. Et puis, en peinture, quels sont les critères qui marquent la différence entre interprétation et maladresse ?

J’ai donc profité de l’actuelle rétrospective d’Orsay, “peindre l’Arcadie”, pour creuser la question. La visite a malheureusement conforté mon impression, d’autant que le fameux et monstrueux chat blanc trône dans la première salle ! (Les explications faisant passer ce tableau pour un trait d’humour ne me convainquent pas.) Je n’ai rien, et ceux qui me connaissent le savent bien, contre l’interprétation libre de la forme, ses exagérations, ses tiraillements, ses tortures, bien au contraire. Je ne suis pas un adepte du dessin exact,  celui qui doit la vraisemblance, la possibilité, la représentation de la réalité commune, ou des lieux communs de la réalité. Je cherche et crois plutôt en un dessin juste et je considère, et le regrette, que celui de Bonnard ne l’est pas, en tous cas pas toujours, pas souvent. Quel dommage ! Car dans les toiles sans accroc de cet ordre, quel bonheur, quelle lumière, quelles palettes, quels accords ! Ce Monsieur est un génie de la couleur, de sa vibration, de sa luminosité, de ses rapports.  L’“atelier aux mimosas”, pour ne citer que lui, est  extraordinaire de ce point de vue, l’accord coloré y est un paysage, un monde en soi, est devenu un monde en moi, suscitant contemplation, rêverie, échappée. Rien ne gêne, rien ne heurte, et tout pousse à rester là, dedans, avec. Malheureusement, dans de nombreuses toiles, un petit grain de maladresse, en tous cas de ce que je considère comme telle, vient enrayer la coulée naturelle de l’œil.
J’aurais aimé regarder Bonnard sans tenir compte du dessin, comme (je l’ai déjà évoqué récemment) j’ai pu regarder Rubens sans tenir compte de ses sujets. Mon humeur de ce jour-là n’y était pas. Une fois le virus installé (celui qui pousse à dénicher à tout prix un problème de dessin dans la toile), difficile  de s’en défaire. La faute à la première faute. La faute au chat.

Mais cet homme est extrêmement attachant, et j’y resterai attaché. Il est le peintre du soleil, le seul véritable. Et je n’oublie jamais ses mots et réflexions sur la peinture, admirablement justes.

Il m’a aussi donné une leçon : ne surtout pas garder les toiles dont le dessin n’est pas sûr. Grâce à lui, j’entreprends dès aujourd’hui un nouveau tri dans l’atelier : pas de sentiments, toiles dépointées, brûlées pour l’oubli.

(Coïncidence : au moment de publier cet article, je trouve un papier de Cena dans la dernière livraison de Télérama, dans lequel il évoque précisément la question de la justesse du dessin, et de l’évitement des difficultés (en l’occurrence la représentation des mains). Il faudrait ne pas oublier d’avoir le même regard critique sur chaque artiste, quelle que soit sa notoriété.)


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