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Cécile Cornudet : « Le FN a le monopole du vote anti-système »

Publié le 29 avril 2015 par Delits

Délits d’Opinion : La crise de leadership au FN peut-elle fragiliser le parti ou au contraire le libérer d’un héritage devenu trop gênant ?

Cécile Cornudet : « C’est un pari. Marine Le Pen pense que rompre avec son père est devenu indispensable pour faire changer le Front national de dimension, faire sauter le plafond de verre qui l’empêche de traduire sa progression électorale en victoires sonnantes et trébuchantes.

Pour changer de dimension, la présidente du FN a une cible prioritaire : les électeurs de la droite de l’UMP. Or ces derniers, cadres, personnes âgées, lui résistent encore pour deux raisons essentiellement : les dérapages de Jean-Marie Le Pen et la sortie de l’euro.

Est-ce que la rupture avec son père sera suffisante ? Est-ce que Marine Le Pen va aussi réorienter son discours économique ? C’est la grande question des mois à venir. Et je pense qu’elle n’est pas tranchée.

Dans son entourage, c’est partagé. Florian Philippot pense que renoncer à ces marqueurs que sont la sortie de l’euro et la place centrale de l’Etat dans l’économie entamerait sa crédibilité. D’autres comme Nicolas Bay ou Marion Maréchal Le Pen plaident pour une légère inflexion. L’accent pourrait être mis d’avantage sur les volets libéraux du programme, comme la baisse des charges pesant sur les petites entreprises. Je note d’ailleurs que Marine Le Pen a abandonné la revendication d’une hausse du Smic qu’elle avait défendu à un moment. Ils estiment aussi qu’il faudrait faire doucement évoluer le débat sémantique sur la sortie de l’euro, pour défendre plutôt l’instauration d’une monnaie commune.

Poursuivre la dédiabolisation du FN, mais jusqu’où ? Le chemin est très étroit. Marine Le Pen n’a pas envie de se « banaliser ». Elle a l’exemple de Gianfranco Fini en Italie en tête, qui a perdu sa particularité, et son audience, en devenant un parti de droite comme les autres. Elle veut attirer de nouveaux électeurs, tout en conservant ce qui fait sa force, c’est-à-dire sa capacité à accueillir tous ceux qui sont en colère contre les partis de gouvernement. En France, il n’y a ni Syriza ni Podemos, parce que le Front national détient le monopole du vote antisystème. Cela, elle veut le garder. Je constate d’ailleurs que depuis la crise avec le père, le FN est très offensif sur les questions d’immigration et de sécurité.

Délits d’Opinion : Six mois après son retour, Nicolas Sarkozy a repris sa place de leader de l’opposition. Est-il déjà intouchable en vue de la primaire ?

Cécile Cornudet : «Il est en position de force. D’abord parce que président du parti, il est un candidat naturel à la présidentielle. Les militants de droite sont culturellement légitimistes, le chef est celui qui tient la maison. Ensuite parce que Nicolas Sarkozy a beau être arrivé sans éclat à la tête de l’UMP, il ne fait pas d’erreurs depuis qu’il a été élu. Il mise sur le rassemblement dans un parti traumatisé par les divisions, il accepte la primaire alors qu’il y était opposé, il tente d’adoucir les angles, alors qu’il était connu pour l’inverse. Dans la campagne pour les élections départementales, il a été habile. Très offensif dans les mots à l’adresse des électeurs tentés par le Front national (avec notamment sa proposition controversée sur les repas de substitution dans les cantines scolaires), très ouvert tactiquement à l’égard du centre et de l’UDI. Son premier réflexe après le 1er tour a été de rencontrer le président de l’UDI. C’est très « juppéen » !

Pour Alain Juppé, la partie n’est pas facile. Il domine toujours dans les sondages ; il reste soutenu par un électorat d’un nouveau type, droite, centre, gauche, qui peut répondre –c’est son souhait en tout cas- à l’envie de nouvelle donne politique qu’expriment les Français dans les sondages. Mais est il toujours le Juppé « droit dans ses bottes » de 1995? Est il prêt à s’engager dans un combat très dur avec Nicolas Sarkozy ? A ces deux questions, personne n’a encore aujourd’hui de réponse. Alain Juppé ne veut pas dévoiler ses cartes en 2015 pour ne pas s’épuiser dans la campagne (la primaire est dans dix-huit mois, fin novembre 2016). Il se préserve (est ce que cela ne va pas finir par agacer les électeurs ?) et il reste un mystère.

En fait, si Nicolas Sarkozy est disons en pole position, le jeu est quand même très ouvert. Une primaire désignant le candidat de la droite et du centre pour la présidentielle, c’est inédit, on ne sait pas ce que cela va produire. Que se passe t il si l’un des candidats du duo de tête est empêché ou renonce ? Quel va être la taille du corps électoral : très large comme l’espère Juppé ou plus réduit comme l’estime Sarkozy ? Comment va se traduire le besoin de renouveau que l’on sent chez les Français (Bruno Le Maire, qui a émergé en osant affronter Nicolas Sarkozy à la présidence du parti peut il créer une surprise)? Impossible de répondre à ces questions.

Délits d’Opinion : A deux ans de l’échéance présidentielle le PS peut-il se réinventer ? Si oui à quelle échéance ?

Cécile Cornudet : « Le PS tente de se réinventer, puisque c’est votre mot, ou du moins de se gauchir. La motion majoritaire conduite par Jean-Christophe Cambadélis pour le congrès de Poitiers, début juin, rouvre la question de la réforme fiscale, est critique sur le travail du dimanche et très mesurée sur le pacte de responsabilité. Mais est ce que cela peut porter ? Je ne suis pas sûre. A mon avis, les électeurs regardent moins ce que dit la gauche que ce qu’elle fait, puisqu’elle est au gouvernement. Et de ce point de vue, rien ne change vraiment. Le mouvement –réel- du PS dans les mots et les intentions peut très bien se retourner contre lui : les électeurs de gauche, même ceux qui critiquent la politique du gouvernement, ne vont que mieux voir le décalage entre les mots et les actes. Ils risquent de penser que l’on se joue d’eux.

La nouveauté de ces derniers mois, c’est que François Hollande a beau rester très impopulaire, il a tué le débat sur sa légitimité et sur sa capacité à se représenter en 2017. On ne dit plus peut il se présenter, mais a-t-il quelque chance de gagner. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Il a rendu sa candidature pour 2017 inévitable. Il y a un an, il y avait un risque pour lui de voir grandir le débat sur une primaire à gauche (puisque les statuts du parti restent muets sur ce qu’il faut faire lorsque le président est sortant) : ce débat n’existe quasiment plus. Il a su gérer la période des attentats, et surtout, il s’est mis soudain à croire à nouveau en lui-même. Deux événements ont été déclencheurs. Le retour de Nicolas Sarkozy sur la scène politique d’abord. François Hollande est persuadé que son adversaire de 2012 gagnera sa primaire mais qu’il saura une nouvelle fois se faire détester dans l’opinion. Depuis l’automne il est également persuadé que Martine Aubry ne se présentera pas contre lui (son ralliement à la motion Cambadélis vient de le confirmer). Dès lors, qui d’autre?

Manuel Valls a fait le choix de la fidélité, du « couple » indéfectible Hollande-Valls -c’est son mot – jusqu’à 2017. Les attentats ont fini de le conforter dans l’idée qu’il avait plus à gagner à être un homme solide et fiable, un « homme d’Etat » capable de durer à Matignon, qu’à porter le fer maintenant. Il a le temps.


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