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Un jour de chance

Publié le 02 juin 2008 par Madelgado

J’ai mis les pieds à Santa Fe de Bogotá, la craintive et violente capitale de Colombie, dans une soirée dominicale. L’année, c’était 2005. Le mois : janvier.

Depuis Popayan, au sud, ce furent au moins 16 heures de voyage en agréable compagnie. L’adjectif n’est pas gratuit. Ça se doit à Paola, une véritable colombienne de Cali, source des plus belles femmes du pays.

Sans temps et pas de sou au-dessus, je n’ai pas pu y descendre et m’héberger sur la ville pour vérifier la célébrité du lieu. Je m’obstinais à arriver à Cartagena de Gabriel Garcia Márquez et le seul choix était d’avancer avec rapidité, en ne faisant des petits arrêts qu’à Bogotá.

L’arrêt de l’autobus à Cali, lors du déjeuner, m’a pourtant permis de rencontrer Paola, une brune de cheveux bouclés, « courbes » généreuses et manières de jeune fille de la banlieue de Rio. Paola ferait la brésilienne et marraine de batterie à n’importe quelle école de samba du Brésil.

Accompagnée, elle a embarqué avec la destination de Bogotá après avoir passé le réveillon avec la grand-mère et famille et a occupé tout de suite la place la plus au fond dans l’autobus – juste à coté de la mère et en face de sa grand-mère. Me voilà donc à vivre mon deuxième coup de bonne chance au même jour. Le premier avait été embarquer, mais de ça je m’occuperai plus tard.

De retour à la route, il n’a pas tardé pour que la mère de Paola se plaigne de l’impossibilité de pencher en arrière le siège. Des opportunités comme celles-là ne surgissent pas deux fois pour un voyageur solitaire. Bon coeur, je me suis mis à disposition d’échanger de place. La mère de Paola a occupé la mienne, alors que je me suis assis à coté de sa fille. Démarrer une conversation a été facile. Etre bavard et agréable c’est le bagage inhérent de n’importe quel backpacker.

On a bavardé sous l’ouïe attentive de la grand-mère de Paola, qui parfois trouvait une façon de s’y mêler. Lorsqu’on est arrivé à Bogotá, Paola, la mère, la grand-mère et presque la moitié de l’autobus savaient déjà toute la vie du journaliste et voyageur brésilien.

Sans conditions d’oser l’embrasser dans les ténèbres, je me suis contenté de débarquer avec son numéro de téléphone et un rendez-vous pour le lendemain sous l’excuse de lui faire me montrer la ville. Je les ai accompagnées au taxi et j’en ai pris le prochain, même si ça c’est contre mes principes de voyageur à petit budget – il faut le remarquer.

C’était minuit passée déjà, il n’y avait plus de transport publique régulier et l’auberge où je désirais me faire héberger était trop loin pour marcher. En plus, je savais que je me serais certainement fait voler. Le taxi était donc ma seule option.

Ç’aurait été un aboutissement de voyage commode et tranquille, sans l’inconvénient de flâner par une métropole à la recherche d’hébergement à bas prix. Cépendant, n’importe quel backpacker qui ait un tout petit peu d’orgueil doit être préparé pour l’impondérable. Moi, je ne l’étais pas.

Je suis entré en Colombie en autobus, provenant d’Equateur, sans presque rien de la monnaie locale que le suffisant pour bouffer un petit panini et payer le billet de bus. J’étais sûr que j’allais trouvé un bureau de change ouvert le lendemain (dimanche) et pour ça j’ai dispensé les échangeurs de planton à la frontière, une attitude prudente qui finirait par me mettre dans un caffouillis.

Mon billet me permettait poursuivre la route jusqu’à Cali, où j’arriverais dimanche matin trop tôt. Au réveil, je chercherais un lieu ouvert pour échanger les dollars que je portais dans le slip. J’ai pourtant résolu de descendre avant, à Popayan, sous l’invitation de Madalena, une jolie jeune colombienne qui a embarqué et s’est assise à coté de moi juste après avoir passer la frontière.

Pratiquement une adolescente, Madalena a entraîné la conversation et, pour ma surprise, m’a invité à rester chez elle, vu que ses parents étaient en voyage. Je vous avoue que j’ai accepté la proposition en supposant que j’allais avoir une longue nuit de sexe, chose rare pendant un backpacking, et un lit propre et accueillante… Je me suis trompé !

Madalena n’avait été qu’hôpitalière. En peu de gestes, elle a rapidement éclairé qu’elle ne voulait pas mes caresses. Même comme ça, j’en avais eu du profit. On a trop parlé et puis j’ai dû aller à l’impersonnelle chambre de visites.

Le lendemain, je me suis réveillé tôt, j’ai remercié ma cicérone et je me suis lancé vers la gare routière. Là-bas, sans le suffisant en sou colombien pour acheter mon billet à Bogotá, j’ai me suis rendu compte que j’allais avoir des soucis. Pas une des entreprises acceptait les dollars. Les bureaux de change de la ville n’ouvraient pas les dimanches parce que peu de touristes s’y lançaient pas.

Il ne me restait qu’espérer que la seule entreprise qui n’était pas encore ouverte accepte mes dollars. Ce fut quand la bonne chance est entrée en jeu une autre fois.

J’ai attendu que les gens de la queue se soient dispersées pour m’approcher du guichet. L’employé de planton, rude, a traité de mettre fin à mon espoir et m’a dit qu’il était défendu d’accepter des dollars.

Ç’aurait été un long dimanche plein d’ennui et perdu sans la compagnie de Madalena si ce n’était pas la gentillesse d’une femme âgée qui avait écouté mon chuchotement et s’est donc rapprochée. Elle a dit qu’elle achetait souvent des dollars, puisque sa fille habitait aux États-Unis et elle voulait lui rendre visite.

J’ai fini par réussir à vendre le suffisant de dollars pour acheter mon billet à Bogotá, ce qui était, dans ce moment-là, un avancement. Et c’est avec si peu d’argent dans les poches que j’ai débarqué dans la craintive capitale colombienne, considérée la ville la plus violente des Amériques.

L’argent dans la pochette ne suffisait que pour arriver à l’auberge en taxi. Et je devrais y être arrivé si ce n’était pas une barrière policière montée par l’Armée 200 mètres avant.

Les militaires ont été directes : le taxi ne pourrait pas continuer à cause de l’insécurité. On était à coté de la résidence officielle du président de la République Colombienne, l’adresse la plus visée du pays par les guérrilleros des Farcs intéressés de mettre un fin à Álvaro Uribe.

Ce qui n’était pas une mauvaise idée. Ce ne sont pas tous les colombiens qui disposent d’escorte personnelle dans ses errances par Bogotá. J’ai donc expérimenté une éphémère sensation de sécurité absolue qui du coup serait substituée par la crainte.

On a trouvé l’auberge avec les portes fermées. Evident, en s’agissant de l’horaire. Il était 1h déjà. On a tout essayé pour me faire entrer. On a appuyé sur la sonnette, on a frappé à la porte, on a donné un coup de fil du téléphone publique. Tout en vain.

J’ai donc demandé aux militaires s’il y avait des hôtels à bas prix aux alentours. La réponse a été décourageante. De la radio, sous une espèce de conférence montée pour sauver le voyageur brésilien, est venue une indication. Les autres hébergements se trouvent loin de là-bas. Moi, je n’avais pas de monnaie locale pour prendre un taxi, et marcher c’était trop dangereux.

J’ai convaincu les militaires à m’accompagner à l’adresse indiquée par la radio. Dans quelques minutes le tuyau s’est montré pas bien. Ce fut au coin de la dernière rue que j’ai pu voir briller sur la façade les cinq étoiles qui classifiaient l’établissement. Le prix était interdit même à un voyageur au point de dormir sur le trottoir. U$150 pour une nuit de sommeil dans la chambre la plus simple, une bagatelle suffisante pour me maintenir une semaine tout entière sur la route.

J’ai donc pensé : à part le froid, dormir devant le palace présidentiel ne serait pas mal. Au moins, je serais en sécurité. Ce fut quand il m’est arrivé le troisième coup de bonne chance de cette longue journée. Au même temps qu’on retournait à la barrière montée par l’Armée, le militaire à mon coté a aperçu qu’un clochard venait vers nous.

Le pèlerin était évidemment ivre, mais, d’après le militaire, connaissait le centre-ville comme la paume de la main. On lui a demandé s’il connaissait un hôtel à bas prix. La réponse, cette fois, a été encourageante. Il y avait un lieu. C’est vrai qu’il était bien fréquenté par les prostituées, mais il était bon marché, pas plus de deux ou trois dollars chaque jour. Pas de question de quoi faire.

Une fois sans la compagnie des militaires, mon guide et moi sommes partis. On avait juste commencé à marcher quand l’homme, qui se protégeait du froid avec un bonet noir, a bougonné qu’il avait faim. C’était le mot-clé pour régler les honoraires du service. J’ai été rapide au vif. J’ai averti que je m’étais fait voler et que je ne disposais que de 100 ou 200 pesos dans le porte-monnaie (à peu près 1,50€). Pour lui, c’était excellent. On a donc pu continuer.

Je suis arrivé à l’hôtel en sécurité. J’ai payé le prix combiné au clochard et je suis monté à mon habitation : rustique, pas de serrure et verrouillée avec un verrou. Pour celui qui allait dormir dans la rue, ça me suffisait parfaitement. La salle de bain, partagée entre tous de l’étage, n’avait pas non plus de serrure et était, en plus, innondée. À ce moment-là, j’ai dû conclure que pisser c’était une nécessité physiologique parfaitement dispensable.

Le lendemain, je me suis levé tôt, d’un bond, avec l’intention d’échanger les dollars au premier bureau de change ouvert, payer la cahute et chercher un hébergement moins hostile. Tout a marché comme le prévu – j’ai pu quand même vérifier si l’auberge était fermé à cause d’un congé de fin d’année.

Comme souvenir de toute cette épopée, j’ai porté sur le corps pendant quelques jours une bonne centaine de point rouges, probablement des piqûres de pouces qui ont participé d’un gros banquet à la brésilienne.

par Rodrigo Werneck

traduit par Maikon A. Delgado


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