Les esclaves oubliés de Tromelin (Récit complet)

Chronique « Les esclaves oubliés de Tromelin »

Scénario et dessin de Savoia,

Public conseillé : Adultes / Adolescents

Style : Drame historique / Documentaire
Paru aux éditions Dupuis, collection Aire Libre, le 24 avril 2015, 120 pages couleurs, 20.50 euros
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L’Histoire

17 novembre 1760. “L’Utile”, une flute de la Compagnie française des Indes orientales s’apprête à partir. Le bateau est chargé de viande salée, de farine, d’Alcool, mais surtout d’esclaves malgaches arrachés de force à leur pays. Les corps sont empoignés, maltraités et jetés à fond de cale, à coup de trique.
Parmi ces hommes et femmes apeurés, Tsimiavo, une toute jeune fille et sa mère pleurent leur arrivée en enfer…
Chaleur, asphyxie des corps et des âmes, au milieu de la nuit, le bateau craque et l’eau envahit le navire. “L’utile” vient de s’échouer sur le banc de corail d’un minuscule îlot de l’océan Idien. En pleine tempête, le flot humain s’extraie de la coque et tente de rejoindre la grève, dans les vagues déferlantes…

23 Octobre 2008, le dessinateur Syvain Savoia est invité par l’archéologue Max Guérout, à se joindre à la mission scientifique sur l’île de Tromelin. Le coeur tremblant, sur l’aéroport d’Orly, il rejoint une partie de l’équipage. 12 h de vol plus tard, il fait escale à La Réunion. L’équipe se rassemble et embarque au complet sur un “Transal” antique et vrombissant, direction, les îles de Tromelin. Sur le minuscule îlot, ils doivent fouiller le site pour accumuler les preuves du passage des naufragés…

Ce que j’en pense

Sylvain Savoia, le dessinateur de série S.F. (“Nomad” avec Morvan), de polar contemporain (“Al Togo”) et de l’autobiographie largement récompensé “Marzi, petite carpe” (de Marzena Sowa) prend les rênes d’un nouveau projet en solo, dans la très belle collection “Aire Libre”.
Enthousiasmé par une lecture dans “Le Monde”, il nous raconte une double aventure humaine.

Tout d’abord, il y a le drame humain de ces esclaves du bout du monde, naufragés sur un îlot perdu au milieu de l’océan Indien, à 500 kilomètres de la terre la plus proche.
Simples villageois, arrachés à leur vie, par la convoitise des blancs, embarqués de force, malmenés, transporté comme du bétail, il nous fait vivre par procuration toute la terreur de cet “enfer sur terre” qu’ils vivent alors.
Avec le naufrage, vient le temps des changements. Comment les survivants des deux communautés (Les blancs si sur de leur supériorité d’un coté, les malgaches dans leur rôle d’esclaves de l’autre) arrivent à coexister ? Mal, bien entendu, avec toutes les démonstrations de pouvoirs et les violences associés qu’on peut imaginer sur ce bout de terre aride…
Mais les temps changent. Quand les français, emporté par lieutenant Castellan en tête, décident de construire un nouveau bateau pour quitter l’île, tout les bras sont bienvenus, les malgaches comme ceux des marins. Les survivants apprennent alors, tant bien que mal, à travailler ensemble pour le bien commun… jusqu’à ce que le bateau soit fini.
Comme la place manque pour embarquer tout le monde, une fois de plus, la “supériorité de la race” s’impose et l’équipage de marins français abandonne à son sort les quatre-vingt malgaches, avec trois mois de vivres et la promesse de venir les rechercher…
Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupère les huit esclaves survivants.

Avec “Les esclaves oubliés de Tromelin”, Savoia s’attaque à une étonnante et bouleversante histoire. Certes, il retrace l’histoire du naufrage avec précision, mais surtout il se met (et nous lecteurs avec lui) dans la peau de ces malgaches. Pour preuves, les dialogues des français nous sont incompréhensibles.

Pour rendre vivant, prégnant, le drame de ce hommes et femmes, il s’attache aux pas de Tsimiavo, une très jeune fille capturée avec sa mère. Par ce “prisme humain”, il livre les sentiments contradictoires de la communauté. Désespoirs, rancune, fureur, mais aussi incompréhension, solidarité, amour, toute la complexité humaine.
Son dessin réaliste, sobre et dynamique accompagne merveilleusement bien ces passages. Touchant, toujours pudique (les esclaves sont quasiment tout le temps nus), il nous offre, avec son crayon et ces mots, une magnifique leçon à “hauteur humaine”.

En parallèle du récit, se mêle le journal de bord de la mission de fouilles archéologiques dirigée par l’archéologue Max Guérout. Cet ancien officier de marine, créateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), a monté plusieurs expéditions pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Pour cette dernière expédition, l’archéologue a invité le dessinateur à les rejoindre lors d’une expédition d’un mois sur Tromelin.
Le résultat est un témoignage poignant de la vie du groupe de scientifiques et de leurs découvertes. Au jour le jour, Sylvain Savoia raconte avec une grande simplicité le quotidien de la mission. Cases sobres de scènes dessinées à hauteur d’hommes, les moments, anecdotes et découvertes sont annotés par de longs textes où Sylvain fait état de son ressenti.
Sensible, le récit de cette aventure humaine est néanmoins très émouvante car elle est vraie et fait le lien avec le drame des esclaves.
Sylvain s’y livre sans retenu, avec toute la sensibilité, la pudeur et la vérité désarmante dont il est capable.

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