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Plongée pour 10 minutes à vivre – Didier Houth

Publié le 05 mai 2015 par Le Journal De Personne
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10 minutes ce fut la durée de la plongée que nous effectuâmes sur le site dit de Fourmigue en face d’Antibe-Juan-les-pins. Tout a commencé en arrivant sur le lieu de plongée vers 10 heures. La mer était grosse, le ciel couvert. Nous plaisantions comme à notre habitude, puis Denis nous a donné ses dernières instructions. La sécurité, toujours la sécurité et il nous expliqua comment allait se dérouler cette plongée. On s’appareilla et la première palanquée se prépara à sauter. Nous, nous devions partir dix minutes après. Quand leur parachute de repérage fut visible, le pilote du bateau manœuvra, puis on sauta dans l’eau sur le « GO » de Denis. Cela fut son dernier mot. Nous descendîmes à 30 mètres dans les bulles des autres espérant être sur le site, mais nous restâmes dans le "bleu" sans rien trouver que de l’eau trouble, sombre et froide.

Denis était devant, moi derrière lui, ensuite Gilles, puis Jacques en serre-fil. Une dizaines de minutes plus tard, on remonta et on se stabilisa au palier de décompression. Je demandais à Denis la profondeur , de sa main droite, il me fit 5, pour 5 mètres. Puis il me montra le manomètre de son "Bi" pour me rassurer de sa réserve d’air. Il restait 90 bars. Il commença à dérouler le parachute de repérage, afin que le bateau vienne jusqu’à nous. J’étais à la hauteur de sa ceinture quand je vis le parachute arriver. Il l’avait lâché parce que Gilles était venu lui chercher de l’air. J’ouvris le parachute, j’enlevai mon embout de la bouche, le remplis d’air, le regardais s’élever doucement vers la surface, puis je tirais dessus pour m’assurer qu’il tenait bien. Après cette manœuvre, je n’avais plus d’air. Je me retournais vers Jean-Pierre qui m’en donna puis nous remontèrent tous deux vers la surface. M’élevant, je les regardais en dessous, tout semblait bien aller. Ce fut la dernière fois que je les voyais vivants.

Une fois à la surface, je fis signe au bateau qui vint vers nous. Le pilote nous demanda si ça allait et si on pouvait tenir car Nathalie, dans une autre palanquée, paniquait au milieu des vagues de la mer agitée. Une petite dizaine de minutes après, il revint nous chercher. Pendant que, grâce à notre entrainement de l’hiver, nous flottions comme on le pouvait. Peut-être que Denis et Gilles étaient déjà morts. Avec, le bateau, on tourna autour de notre point de repêchage, les cherchant ou leurs bulles, ou ce petit parachute coloré. Au bout de quelques minutes, le pilote appela les secours. Un hélicoptère arriva et fit le tour du secteur. Il ne trouvait rien, l’angoisse s’installait. Certains dirent qu’ils devaient avoir dérivés, sans beaucoup de conviction. D’autres ne disaient rien, dont Manuelle, la compagne de Gilles. Elle était assise à l’avant, dans son ciré jaune avec Jean-Pierre qui la tenait par les épaules. Entre temps, un bateau d’un autre club de plongée était venu. Il y avait des moniteurs connaissant le site pour faire des premières recherches. Ils remontèrent n’ayant rien trouvé. On était presque soulagé de cette non nouvelle.

L’hélicoptère revint avec deux plongeurs de la Gendarmerie Nationale. Ils sautèrent à l’eau puis montèrent à bord. Ils nous posèrent quelques questions. Ils étaient surtout intéressés de savoir s’il y avait du courant et de la visibilité au fond. Ils plongèrent et l’attente angoissante s’installa de nouveau. Une grosse bouée bleue apparue à la surface, puis deux, trois et quatre.
- Que se passe-t-il ?
- Ils doivent baliser le fond, établir un fil d’Ariane. Non ?
Les gendarmes remontèrent et dirent :
- Il y en a un sous chaque ballon. Dégagez les sacs du pont. Rentrez les femmes.
- J’aimerai mieux que quelqu’un tire sur la corde, on vient de faire une « profonde ».
J’étais figé à genoux, près de la barre. Je n’osai pas descendre dans la cabine, voir Manuelle et les autres. Pourquoi étais-je remonté et pas eux, Seigneur ? On remonta Denis en premier. Il était allongé à côté de moi. Sa tête commença à saigner, je mis une serviette dessus. Un gendarme m’aida à la déplier car je n’y arrivais pas. C’était celle de ma sœur Christine descendue dans la cabine. Après se fut le tour de Gilles. On l’allongea sur l’autre bord et on mit ma serviette sur sa tête que Jean-Marc avait apportée. Puis on repartit vers le port.

En revenant, les gendarmes commencèrent à discuter. Alimentaient-ils une discussion ou commençaient-ils leur enquête ? Sans doute un peu des deux. Je leur demandais si le parachute était ouvert. Il me répondit que Denis tenait encore sa corde dans la main quand ils le trouvèrent. Arrivé au port, il y avait la femme de Denis, debout, les mains jointes, tremblante et pleurant au bout de l’embarcadère. Moi, j’avais arrêté de pleurer, du moins provisoirement. Je vis aussi arriver un gros bonhomme courant torse nu le ventre flottant. Il nous demanda si quelqu’un pouvait l’aider à enlever le boot de l’hélice de son bateau. Personne ne lui répondit. Il resta à nous regarder sans comprendre. Jacques le pilote lui dit, pas maintenant.

En allant pour l’interrogatoire des gendarmes, je les vis une dernière fois, dans ce grand hall vide, allongés sur le carrelage froid, sous nos serviettes de plage. J’ai gardé longtemps cette serviette avant que mon épouse, ignorant sa valeur, ne la jette, la trouvant trop usée . Aujourd’hui, une plaque en leur mémoire repose au fond de la Méditerranée, sans doute recouverte par le sable pour le reste des temps.

A Denis et Gilles.

Didier Houth


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