Magazine Côté Femmes

L'arme du crocodile

Par Aelezig

Article de Grazia - Mars 2015

Que devient Lacoste ? Raffinée, avant-gardiste... La griffe française aux milles vies change une nouvelle fois de peau. Son objectif, reprendre l'avantage sur le terrain du prêt-à-porter.

Z02

La princesse de New York

Son dernier défilé a eu lieu à New York, il y a quelques jours : un hommage au tennis d'hiver teinté d'accents très Famille Tenenbaum, le film de Wes Anderson, avec des clins d'oeil à la jeunesse wesh des 90's. Des couleurs profondes, décalées, osées, et des modèles mêlant technicité et finesse du prêt-à-porter haut de gamme. Tandis que cet été, l'esprit nautique et les détails fonctionnels se fondent dans des silhouettes fluides, d'une élégance sportswear rare. Ces deux dernières saison, Lacoste a atteint une autre dimension. Et si son designer, Felipe Oliveira Baptista, peut se permettre de s'amuser des codes de la maison en dessinant des sweats René dit it first (en référence à René Lacoste), c'est qu'il a atteint son but. En neuf collections, il a transformé la marque de polos en nouvelle enfant chérie du sérail mode, que l'on acclame désormais outre-Atlantique. "Les derniers défilés ont été une révélation. La maison peut clairement se mesurer aux marques de luxe", selon Pascal Monfort, sociologue de la mode. "Longtemps, la maison m'a paru trop attachée à ses fondamentaux, au risque de se figer et donc de perdre de sa désirabilité... mais avec l'arrivée de Christophe Lemaire, puis de Felipe, la marque a gagné en modernité et en impact", ajoute le consultant luxe Jean-Jacques Picart. L'enseigne française, dont le célèbre crocodile fait partie des dix logos les plus connus au monde, entame une nouvelle ère.

L'envol du premium

"On est en grands travaux", confirme Felipe en souriant. Le créateur portugais nous reçoit dans son bureau, où des photos vintage de tenniswomen des seventies et de Chloë Sevigny à 15 ans, en vieux sweat, décorent ses murs d'un blanc virginal. Il a une allure sportive et virile, un sourire charmeur, un joli cachemire, mais des boots de kid aux pieds : Felipe Oliveira Baptista incarne à l'exactitude l'état d'esprit que Lacoste peut désormais véhiculer. Il y a eu l'époque court de tennis BCBG, incarnée par son fondateur dans les années 30, puis l'expansion, et plus tard, la récupération du polo par la rue. Enfin le développement titanesque des centaines de produits, au risque de noyer ses adeptes dans l'incompréhension. Mais dorénavant, la maison française, rachetée en 2012 par le groupe suisse Maus, a décidé de se positionner premium. En témoigne la nouvelle campagne de publicité Life is a beautiful sport, qui met en scène l'acteur Paul Hamy, dont le grand saut amoureux est mis en parallèle avec une expérience sportive urbaine. La marque épure son message, se déshabille pour mieux nous rhabiller. Elle veut réaffirmer un art de vivre, à mi-chemin entre le raffinement de ses débuts et l'innovation. D'ailleurs, ses lignes en magasin se métamorphosent pour se positionner face à Nike et consorts. On perçoit cette révolution dans le nouveau design des polos, ou l'élaboration d'accessoires plus haut de gamme, comme la ligne de maroquinerie Chantaco. Mais le véritable chantier reste la transformation des boutiques : sur 1200 points de vente à travers le monde, seule une soixantaine présente les collections prêt-à-porter. Le ton est donné : en décembre s'ouvrait une boutique rue de Sèvres, à Paris. A plus de 80 ans, l'enseigne culte au chiffre d'affaires 2013 de 1,8 milliard d'euros s'impose avec plus de cohérence et de vitalité.

Z03

La force du croco

Selon Pascal Monfort, cet envol était nécessaire. "Devant un marché sportswear en mutation, quand on est une marque aussi mythique que Lacoste, s'afficher luxe est presque un devoir". Ce lifting de fond s'appuie intelligemment sur l'héritage de la griffe. D'année en année, Felipe Oliveira Baptista a su jouer avec l'imaginaire véhiculé par Lacoste pour mieux écrire son futur. Ses collections deviennent un grand mélange, subtil, de tout ce qui en a fait sa gloire mais aussi, parfois, a fait frémir la clientèle habituelle du crocodile. "Quand je suis arrivé, on évitait de parler de la récupération street de nos modèles dans les années 90 qui ternissait ses codes. Moi, au contraire, je trouvais ça passionnant !" Pour Felipe, un code n'efface pas l'autre ; c'est dans sa diversité que Lacoste prend tout son sens. "Ce qui est étonnant, c'est que toutes les catégories de gens portant du Lacoste cohabitent depuis toujours. Il y a mille façons de porter notre enseigne." Le créateur a compris le secret de la longévité de la marque : elle appartient à chacun, elle est une somme de souvenirs personnels. Lui, fait simplement figure de grand rassembleur.

Rien n'est laissé au hasard !

Mais Felipe est surtout un artisan du futur, qui a entre les mains tout ce dont les autres marques rêvent aujourd'hui. "Nous sommes dans une époque où le prêt-à-porter converge avec le sport. Lacoste incarne cela et peut faire la différence, en s'affichant à un niveau supérieur", dixit Serge Carreira, professeur de mode à Sciences-Po Paris. A l'heure où la mode n'a jamais autant été électrisée par la fonctionnalité du textile, la maison peut se targuer d'être un labo depuis ses origines. Dans le secret de ses studios, à l'instar des Nike et Adidas, les équipes de création dessinent des modèles esthétiques mais pensés pour le mouvement, comme le vêtement thermo-soudé (assemblé par soudage, et donc sans coutures). "Le vêtement intelligent me fascine, avoue Felipe, C'est aussi un héritage de René Lacoste, qui a inventé la première machine à balles ou la raquette métallique." Outre l'aspect technique, si la marque se place un cran au-dessus, c'est qu'elle sait le sublimer d'un regard couture. Ses capes amovibles, sweats XL raffinés, jouent avec le nylon. Associé au taffetas, le survêtement s'inscrit dans la construction d'une garde-robe du futur. Et si la griffe est acclamée à New York, c'est que son excellence fait plus que le poids face à des milliers d'Américaines dont le sportswear luxe a toujours été le credo. "Son image de produit français de qualité donne encore plus de légitimité à ses choix de mode. Surtout quand ceux-ci sont le reflet des valeurs de Lacoste : raison et passion", conclut Jean-Jacques Picart. "René did it first"... but Felipe rocks it ?


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aelezig 127315 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte