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Libre-échange: Bruxelles tente de déminer l'accord avec les Etats-Unis

Publié le 09 mai 2015 par Blanchemanche
#TAFTA #Commissioneuropéenne #USA
08 MAI 2015 |  PAR LUDOVIC LAMANTLa commissaire européenne a présenté une version « améliorée » du point le plus controversé des négociations sur un futur accord de libre-échange avec les États-Unis: le mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur. Certains y voient une entreprise d'« enfumage ». D'autres, à commencer par Paris, « une première étape » vers un compromis acceptable. Le moment est crucial.De notre envoyé spécial à Bruxelles. Des négociations houleuses avec la Grèce aux menaces britanniques d'un « Brexit », en passant par les renoncements sur la « réorientation » de l'Europe, il est difficile de trouver matière à se réjouir, ces jours-ci, à Bruxelles. Dans ce contexte déprimé, les discussions en vue d'un accord de libre-échange entre l'UE et les États-Unis (le TTIP dans le jargon bruxellois), sont en train de prendre un tour politique inattendu. Les rapports de force sont mouvants, des ministres montent au créneau, un débat s'ouvre au sein des institutions, l'issue est incertaine.
La commission de Jean-Claude Juncker, poussée par la société civile et certaines capitales, a consenti à lâcher du lest sur quelques points durs du texte. Ce n'est pas une révolution, loin de là, mais cette attitude tranche avec l'intransigeance des derniers mois. « C'est un première évolution politique [de la part de la commission - ndlr], qui doit maintenant se concrétiser », a déclaré Matthias Fekl, le secrétaire d'État français au commerce extérieur, à l'offensive sur le dossier, avec son homologue allemand.L'affaire porte sur le pilier le plus controversé du TTIP (ou « TAFTA », pour ses adversaires): le mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur privé. Il doit permettre à une multinationale d'attaquer en justice un État qui mettrait en place un règlement défavorable à ses intérêts. Pour ses défenseurs, il s'agit de renforcer les protections des entreprises, afin de les inciter à investir davantage à l'étranger, et donc doper les échanges commerciaux et la croissance. Pour ses adversaires, le droit souverain des États à réguler est menacé.
Le débat sur ce mécanisme (l'ISDS), déjà en vigueur dans des centaines d'accords bilatéraux, est très vif au sein de la société civile depuis le début des négociations à l'été 2013 (lire notre enquête au printemps 2014). Il cristallise la plupart des oppositions au TTIP partout en Europe, à commencer par l'Allemagne. Il vient de s'inviter de manière spectaculaire à la table des ministres européens du commerce, réunis jeudi à Bruxelles – ce qui était loin d'être acquis il y a encore quelques mois.
La commission avait lancé, l'an dernier, une consultation publique sur l'ISDS. La quasi-totalité (97 %) des 150 000 répondants plaidait pour une suppression du mécanisme. Face à ce désaveu, Cecilia Malmström, la commissaire au commerce, s'était alors engagée à réformer le mécanisme d'arbitrage. Ce sont ces propositions d'un ISDS « amélioré » qu'elle vient de présenter, d'abord au parlement européen mercredi, ensuite devant les 28 ministres jeudi. En cas d'échec sur ce volet, c'est l'ensemble de l'accord qui se trouverait menacé : il est hors de question, pour Washington, de signer un accord sans ISDS.
https://twitter.com/MalmstromEU/status/596293474347044865
Very constructive debate on new proposals on arbitration mechanism today at trade Council. Over all strong support for our reformed approach— Cecilia Malmström (@MalmstromEU) 7 Mai 2015

D'après la commissaire, les 28 ont, « dans leur ensemble », apporté jeudi un « soutien fort » à son« approche réformée » de l'ISDS. Autour de la table, l'Autriche et la Hongrie restent les plus sceptiques, mais ne bloquent pas les discussions. Que propose la commissaire Malmström (télécharger son texte en anglais) ? En vrac, l'ajout d'un article qui réaffirmerait le droit à réguler des États, la mise en place d'un mécanisme d'appel (inexistant aujourd'hui) pour contester les décisions, calqué sur ce qui se pratique au sein de l'OMC, ou encore une amélioration de la sélection des juges (les conflits d'intérêts sont légion, en matière d'arbitrage État-investisseur, les juges dans une affaire pouvant devenir les avocats dans une autre).
L'opération est loin d'avoir convaincu tout le monde. Côté parlement européen, les sociaux-démocrates (deuxième groupe de l'hémicycle) regrettent un texte « qui ne va pas assez loin pour restaurer la confiance des citoyens ». Au nom des Verts, Yannick Jadot parle d'une commission qui veut « enfumer le débat », regrettant des « pistes de réformes peu abouties et qui ne répondent pas à la perversité intrinsèque de ce mécanisme ».
Quant aux ONG, elles sont tout aussi dures : « Ces propositions ne font que lubrifier un système pour le rendre plus acceptable aux yeux des critiques. Elles sont une gifle portée à l'opinion publique, qui a massivement rejeté l'inclusion de l'ISDS dans cet accord, lors de la consultation publique », juge Cecilia Olivet, du Transnational Institute, un groupe d'experts et d'activistes basé à Amsterdam. « Une nouvelle tentative de diversion de la commission », renchérit Amélie Canonne, au sein de l'AITEC, qui estime qu'« aucune des propositions ne répond aux enjeux soulevés lors de la consultation publique par les citoyens et un nombre croissant d'experts du droit ».La commissaire au commerce Cecilia Malmström le 7 mai à Bruxelles.La commissaire au commerce Cecilia Malmström le 7 mai à Bruxelles. © CE.Le secrétaire d'État français, lui, a choisi de défendre cette ébauche de réforme de la commission, loin d'être parfaite à ses yeux, mais qui amorcerait une dynamique vertueuse. « Il y a une convergence de vues, sur le fait que l'ISDS ne peut plus être le standard pour le règlement des différends », a affirmé Matthias Fekl. « L'ISDS tel qu'on l'a connu est de l'histoire ancienne », a renchéri son homologue allemand, Matthias Machnig, lors d'une conférence de presse commune (une démarche pas si fréquente à l'issue d'un conseil à Bruxelles ces derniers temps...).
Les deux sociaux-démocrates sont à la manœuvre, depuis l'hiver dernier, pour porter une réforme plus ambitieuse de l'ISDS, un « mécanisme totalement nouveau (…) pour rétablir l'équilibre entre les États et les entreprises », selon les mots de Fekl. Paris et Berlin militent en particulier pour la création, à terme, d'une cour permanente de règlement des différends entre État et investisseurs, qui permettrait d'améliorer les pratiques de fond en comble. Ils sont soutenus par les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou encore le Luxembourg. En conclusion de sa note, la commissaire Malmström fait un clin d'œil aux positions franco-allemandes, estimant que l'UE « devrait travailler à la création d'une cour permanente » – une formule qui ne l'engage pas à grand-chose, mais qui a le mérite de laisser une porte entrouverte pour les débats des semaines à venir.
Les 28 doivent désormais s'entendre, sans doute d'ici la fin de l'été, sur un texte juridique précis pour fixer ce nouveau mécanisme d'arbitrage. Il faudra ensuite le « vendre » aux Américains, réputés rigides sur ces questions d'arbitrage. La commission va-t-elle en rester à cette ébauche d'« ISDS light » qui ne viserait, pour reprendre les termes de Yannick Jadot, qu'à « amadouer les sociaux-démocrates » à peu de frais ? Auquel cas la stratégie franco-allemande risque vite de tourner court. Ou va-t-elle infléchir un peu plus ses positions ?Le deuxième scénario, plus ambitieux, n'est pas tout à fait exclu. Car Cecilia Malmström sait très bien qu'en l'état, le texte ne recueillerait sans doute pas de majorité au parlement européen (qui a un droit de veto en matière commerciale). Et pas non plus dans la plupart des parlements nationaux, à commencer par l'Assemblée nationale à Paris, où les députés sont remontés contre l'ISDS. Bref, la commission a donc tout intérêt à arrondir un peu plus les angles, si elle espère, en bout de course (c'est-à-dire dans quelques années), faire voter l'ensemble de l'accord commercial par les élus… Ce n'est pas pour autant que la commission entendra cet argument : le dossier grec a montré que sa stratégie n'était pas toujours des plus subtiles.
http://www.mediapart.fr/article/offert/b20c2fe20006336742ac4dbda1a544dc

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