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La révolution institutionnelle italienne

Publié le 11 mai 2015 par Sylvainrakotoarison

" Engagement maintenu, promesse respectée. L'Italie a besoin de ceux qui ne disent pas toujours non. En avant avec humilité et courage ! " (Matteo Renzi, le 4 mai 2015).

La révolution institutionnelle italienne


Depuis quinze mois, l'Italie connaît un nouvel homme fort, après une autre tête forte, qui, elle, a suscité beaucoup de polémiques et de scandales, Silvio Berlusconi. Il s'agit de l'actuel Président du Conseil italien, Matteo Renzi (40 ans depuis le 11 janvier dernier), ancien maire de Florence et à la tête d'un pays en grandes difficultés économiques (en 2014, récession de 0,4% !) mais aussi politiques, et les difficultés politiques sont récurrentes. Le 1 er mai 2015, Matteo Renzi a inauguré l'exposition universelle à Milan qui durera six mois, devanture de l'Italie, et tout semble s'esquisser dans les meilleures conditions : déjà douze millions de réservations et cinq cent mille visiteurs rien que pour le week-end du 1 er mai.
Profitant d'une popularité étonnamment durable, Matteo Renzi a voulu réformer l'une des faiblesses de la vie politique italienne depuis la guerre : son instabilité gouvernementale. Lui-même avait renversé le 22 février 2014 son propre ami politique Enrico Letta qui, désormais, a quitté le Parlement italien en fin avril dernier pour diriger la section internationale de Science Po ...à Paris à partir du 1 er septembre prochain.
Dans les années 2000, l'ancien Président du Conseil Silvio Berlusconi avait envisagé de réviser la Constitution italienne pour faire des institutions italiennes calquées sur la Ve République française, et il se serait alors fait élire Président de la République. Mais ce projet a été abandonné rapidement car la classe politique italienne a toujours été très rétive à ce genre de changement.
Depuis la guerre, l'Italie n'a cessé de sombrer dans les combinaisons politiciennes et l'instabilité gouvernementale. Pas moins de soixante-trois gouvernements ont dirigé le pays en dix-sept législatures depuis le 10 juillet 1946. La cause première de cette instabilité, c'est le mode de scrutin proportionnel qui empêche tout parti voire toute coalition à avoir une majorité absolue, comme en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, et qui donne un pouvoir exorbitant à des petits partis limitrophes sans lesquels aucune majorité ne serait possible. Depuis une vingtaine d'années, à part l'exception Grillo, le paysage politique s'était finalement simplifiée en deux camps coalisés avec d'une part, la mouvance d'origine berlusconienne, de centre droit, et la mouvance issue à la fois de la démocratie-chrétienne et du lointain Parti communiste italien, de centre gauche.
Régulier serpent de mer dans le débat public, aucune réforme du mode de scrutin n'avait été jusqu'au bout de l'instabilité... jusqu'à ce lundi 4 mai 2015. C'est dans cette perspective historique qu'il faut évidemment reconnaître à Matteo Renzi un sens politique très aigu ainsi qu'une très grande habileté parlementaire.

La révolution institutionnelle italienne

Il faut dire que les citoyens italiens ont une histoire très mouvementée avec leurs lois électorales. La dernière datait d'il y a neuf ans, loi n°270 du 21 décembre 2005, appelée "Porcellum", mais si elle a régi trois élections législatives (en 2006, 2008 et 2013), elle a été déclarée anticonstitutionnelle le 4 décembre 2013 par la Cour Constitutionnelle et n'était pas conforme au référendum du 18 avril 1993. Il fallait dans tous les cas la modifier.
Après beaucoup de débats et d'agitations, Matteo Renzi a donc mis le 4 mai 2015 son gouvernement en jeu pour faire adopter cette nouvelle loi électorale. Il l'a fait approuver à l'arraché, malgré des oppositions de toutes parts. Rien n'était évident, d'autant plus que le vote était secret.
De quoi s'agit-il ? De garder un scrutin de liste mais de donner une prime majoritaire (il y en avait déjà une précédemment mais dont le mécanisme assez complexe ne permettait pas la stabilité au sein d'une coalition), et d'organiser éventuellement un second tour. Un peu comme les élections municipales ou régionales en France.
Un second tour aura lieu deux semaines plus tard si aucune liste n'a obtenu au moins 40% des voix au premier tour, et ce second tour se fera seulement entre les deux listes arrivées en tête au premier tour, ce qui va renforcer la structure bipolaire de la classe politique.
La liste qui a obtenu 40% des voix au premier et qui est la première en voix (ou seulement première en voix au second tour éventuel), obtiendra une prime majoritaire qui lui assurera au moins 340 sièges soit 54% des 630 sièges. Donc, une majorité confortable attribuée au parti arrivé en tête (et pas à la coalition arrivée en tête) pour gouverner durablement le pays pendant toute la législature. La représentation des petits partis reste cependant possible puisque le seuil d'élection est fixé à 3% des voix.
La révolution institutionnelle italienne

Cette disposition réduit donc le poids de la plupart des partis politiques en Italie. Le parti de Silvio Berlusconi (Forza Italia) a voté contre car il aura beaucoup de mal, maintenant qu'il est très divisé, à atteindre cette première place. Les députés du parti de Beppe Grillo ont voté contre pour la même raison, car cette loi les désavantagera aussi.
Mais au sein du Parti démocrate, le parti de Matteo Renzi, beaucoup de voix se sont fait entendre sur le thème de l'homme providentiel : une cinquantaine de députés de la majorité ont ainsi rejeté la réforme qui fera émerger, selon eux, un régime autoritaire avec un chef du parti majoritaire tout puissant durant la législature. Pippo Civati a notamment dénoncé cette loi qui va aboutir à un gouvernement personnel et à une dérive autoritaire.
Concrètement, le vote parlementaire a été un triomphe pour Matteo Renzi car la plupart des opposants ont préféré bouder le scrutin : la réforme électorale a été en effet définitivement adoptée par 334 voix sur 630, avec seulement 61 votes contre et 4 abstentions.
Fort de ce succès, Matteo Renzi a montré qu'il contrôlait la situation de sa majorité, ce qui n'était pas gagné d'avance, surtout sur un sujet aussi litigieux.
C'est intéressant de voir qu'en France, pour des intérêts purement claniques, des voix réclamant, au contraire, le scrutin proportionnel alors que les pays qui ont la proportionnelle dans leurs gènes commencent petit à petit à tirer les conséquences de l'inefficacité d'un tel système. En particulier, en Italie, qui vient donc de mettre une très grande dose de majoritaire, et aussi en Israël qui, par l'émiettement de la représentation à la Knesset, favorise la formation de coalitions instables avec des petits partis extrémistes et religieux ultraorthodoxes qui n'encourageront en rien la recherche raisonnable de la paix.
Mattero Renzi voudrait aussi supprimer le Sénat italien, mais cette idée rappelle l'opposition très forte entre bicaméralisme et régime autoritaire. Pas sûr que, malgré son habileté politique, il parvienne à aller jusqu'au bout de cette réforme qui, à mon sens, serait une grave erreur institutionnelle, autant en Italie qu'en France (puisqu'on en parle aussi en France).

Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 mai 2015)
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Pour aller plus loin :
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Benyamin Netanyahou.
Suicide à la proportionnelle.
Serpent de mer en France.
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Enrico Letta, un nouveau visage en Europe.
Habemus Lettam (29 avril 2013).
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L'Europe des Vingt-huit.
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Tournant historique pour l'euro.

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http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-revolution-institutionnelle-167199

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