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Daniel Verwaerde : « Le nucléaire a besoin de plus de pilotage stratégique »

Publié le 14 mai 2015 par Blanchemanche
#nucléaire #CEA #Areva
Daniel Verwaerde.Daniel Verwaerde. - Photo Eric Piermont/AFPNommé en début d'année administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, Daniel Verwaerde pointe les défaillances du nucléaire, qui ont conduit aux difficultés d'Areva, dont le CEA est le premier actionnaire.
Quel état des lieux faites-vous du CEA depuis votre arrivée ?
Je suis dans la maison depuis trente-sept ou trente-huit ans, mais je n'avais jusqu'à présent pas eu à traiter du nucléaire civil. Le CEA est un organisme de recherche assez exceptionnel, avec des équipes au meilleur niveau mondial. Mais il y a des difficultés dans la gestion de certains projets, comme la construction du réacteur de recherche Jules Horowitz à Cadarache (Bouches-du-Rhône), qui l'amènent à se poser des questions. C'est d'ailleurs une difficulté partagée par l'ensemble du secteur nucléaire, on le voit avec la crise que traverse Areva.

Vous êtes le premier actionnaire d'Areva. Comment expliquez-vous ses très lourdes difficultés ?
Pendant un grand nombre d'années, Areva et le CEA n'ont pas construit de réacteur. Quand on ne fait pas les choses, on perd en compétence, c'est vrai pour la maîtrise d'oeuvre, mais aussi pour l'ensemble des industriels qui contribuent à ces projets. Ce n'est pas si surprenant que cela, mais nous n'en avions pas conscience lorsque nous avons lancé ces projets au milieu des années 2000. Les standards de construction et les exigences de sûreté ont par ailleurs beaucoup évolué depuis quinze ans. Et la vraie question serait de faire en sorte que le monde entier adopte ces nouveaux standards. La troisième raison provient du plan d'investissement important lancé par Areva avant l'accident de Fukushima, lorsqu'on pensait que le nucléaire allait redémarrer rapidement.

Areva ne paie-t-il pas aussi une mauvaise gestion opérationnelle de ses projets ?
C'est le point le plus important. Le nucléaire doit s'améliorer dans ses méthodes de gestion de projet. Le nucléaire militaire s'inspire de la norme sur la conduite de projet de l'aéronautique -la norme RG 000040 -, le nucléaire civil devrait en faire autant. Ce n'est pas qu'une question de qualité des individus, mais c'est d'abord une question d'organisation.

La mise en cause de la qualité de la cuve de l'EPR de Flamanville par l'Autorité de sûreté a réveillé certaines critiques chez les exploitants...
Le fait que ce problème soit révélé en ce moment n'a pas arrangé les affaires de l'industriel, mais l'ASN est dans son rôle. Sa rigueur garantit la confiance des Français dans leur parc nucléaire. Les « frictions » correspondent d'ailleurs souvent aux points sur lesquels il y a un flou réglementaire, que chacun peut interpréter différemment. Mais on ne peut pas demander autre chose à l'ASN que d'appliquer la loi.

La gouvernance de la filière nucléaire par l'Etat est-elle satisfaisante ?
Le nucléaire a besoin d'un pilotage stratégique. Il existe, notamment avec le Conseil de politique nucléaire, mais il pourrait y en avoir un peu plus. On sent bien qu'il y a besoin d'une vision stratégique de l'Etat, mais le temps qu'il a fallu à la France pour libéraliser le secteur de l'énergie a rendu taboue une trop grande intervention de l'Etat. Il y a de ce fait une vraie difficulté de l'Etat à se positionner. Les Etats-Unis constituent à mon sens un exemple à suivre : ils savent réunir les différents acteurs industriels dans des comités stratégiques et s'appuyer sur leurs conseils. J'ai passé une grande partie de ma carrière dans les grands calculateurs et la simulation numérique : en France, on sous-estime l'importance des données, alors que c'est un sujet stratégique aux Etats-Unis, pour lequel le président réunit un tel conseil régulièrement.

Le CEA est actif dans la recherche sur le stockage de l'énergie. Où en êtes-vous ?
Les énergies renouvelables sont des énergies intermittentes. Nous gagnerons donc le pari des énergies vertes lorsque nous aurons résolu le problème du stockage et de la gestion de l'énergie. Dans ce domaine, le CEA s'est particulièrement focalisé sur les matériaux utilisés dans les batteries ainsi que sur leur sécurité. Nous avons également beaucoup travaillé sur le stockage de l'hydrogène et la pile à combustible. Deux domaines où une impulsion de l'Etat est sans doute nécessaire pour savoir s'il faut persévérer ou pas.

Le CEA a présenté un projet de restructuration de sa Direction des applications militaires (DAM). Est-ce un impératif budgétaire ?
La DAM va bien, mais il faut préparer l'avenir pour avoir une dissuasion nucléaire crédible et sûre après 2020. Compte tenu des évolutions technologiques rapides, il faut adapter la dissuasion pour parer à des « surprises stratégiques ». Notre organisation actuelle entre le centre de Ripault près de Tours et celui d'Aquitaine peut être plus efficace, en se regroupant autour de ce dernier, où les équipes bénéficieront en outre des liens avec l'aéronautique. Nous n'aurons ensuite pas de raison d'aller plus loin dans l'optimisation de la fabrication des armes nucléaires. Et aucun emploi ne sera supprimé. 
LE 13/05/2015
Emmanuel Grasland, Les Echos
Véronique Le Billon, Les Echos
http://www.lesechos.fr/journal20150513/lec2_industrie_et_services/02163958011-daniel-verwaerde-le-nucleaire-a-besoin-de-plus-de-pilotage-strategique-1118946.php#xtor=CS1-2

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