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L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

Par Camille Bercot @k_mi29

 Me voilà au beau milieu du paysage que beaucoup nous envient, une côte splendide, des plages de sable fin et une mer d'un bleu azur.

Juste avant d'entrer dans l'île Grande, je tourne le dos à la mer pour chercher cette Allée couverte de granite, que je trépigne de trouver. Une très gentille dame que je rencontre sur la plage me montre le chemin en m'accompagnant. Que de rencontres extraordinaires sur les chemins de nos Ancêtres...

Et enfin je me retrouve seule devant ce magnifique monument préservé, son nom signifie "Prairies des pierres longues".

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Ces 14 m 50 de long paraissent englobés dans un écrin de verdure.  Cette monumentale sépulture a été classée aux Monuments Historiques le 23 janvier 1956, mais elle faisait déjà l'objet d'intérêt à partir de 1883/84 par G. Du Mottay qui avait déjà mesuré son importance.

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A 14 m de l'Allée couverte, une pierre levée haute d' environ 1 m 40 hors sol et 1 m 60 en tout, parait tenir le rôle de garde de la sépulture.

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Ou peut-être servait-il simplement à prévenir de la présence de l'allée couverte? Aussi l'hypothèse qu'il  servait de guide de visée vers le soleil levant est envisagé, mais il est clair qu'il représente une sorte de limite ou l'entrée d'un lieu sacré.

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Ces menhirs de "prévention" ne sont pas rares.  Pour exemple, au Conguel à Quiberon (56) mais également à L'île longue près de l'allée couverte Ty lia (22) qui se trouve tout près de là. C'est également monnaie courante en Corse et en Palestine.

Le monument est orienté Est/Ouest et comporte 7 magnifiques dalles de couvertures.

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Sa largeur est d'environ 2 m et une grosse dalle de chevet sépare la cellule terminale ou Cella, de la chambre funéraire.

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La dalle de chevet.

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La "cella".

Cette architecture particulière est assez courante dans les monuments de la fin du Néolithique, et l'hypothèse que la Cella ayant l' utilité de place pour les offrandes aux défunts, revient également lorsque l'on parle de l'Allée couverte de Mougau Bihan à Commana(29), des Allées couvertes de Liscuis à Laniscat ou encore de l'Allée couverte de Kernic à Plouescat (29) . Ces monuments ont tous été érigés sur la partie Nord de la Bretagne.

Les cellules terminales paraissent en générale fermées, comme celle reconstituée ici, mais ce n'est pas le cas à Mougau Bihan ni à Liscuis où les dalles de fermetures ont peut-être été déplacées.

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

 L'entrée "chatière" du monument est moins large que le reste de l'Allée, ce qui est également une particularité de ce type d'architecture.

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Peut-être que par ce moyen, nos Ancêtres voulaient donner le sentiment de rentrer dans une grotte, créant une petite difficulté et augmentant l'impression de grandeur de la chambre funéraire.

Après études que je mentionne plus bas, la construction du monument a été daté d'environ - 2 100 ans av JC.

La sépulture était, lors de sa découverte, inclus dans un talus, ce qui a permis une préservation partielle du monument. Et c'est en 1954, que lors du nettoyage du talus, que l'Allée fut mise en valeur et que la structure terminale a été découverte avec les trésors qu'elle renfermait. La découverte entraîna, malheureusement un engouement important ainsi que des fouilles sauvages.

Bien sûr Mr Pierre-Roland Giot (à l'époque: Directeur de la circonspection des Antiquités Préhistoriques et grand archéologue), Mr Jacques Briard (à l'époque: Attaché de recherche au CNRS et grand archéologue) ainsi que Mr Jean L'Helgouac'h (grand archéologue, chargé des fouilles et de recherche par le CNRS), ont dans un premier temps trié les déblais sortis de la chambre terminale, déposés au cours des fouilles sauvages. Les splendides gravures ont également été misent en valeur et photographiées.

Une demande de fouille officielle est faite en 1956 et c'est en 1965 que toutes les conditions sont réunies pour qu'enfin s'effectuent une prospection approfondie, les fouilles et la restauration du monument. Car afin de vous donner une idée de ce à quoi pouvait ressembler la sépulture avant les fouilles, je mentionnerais que seules 3 dalles de couvertures étaient encore en place.

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

Ainsi des fouilles minutieuses, réalisées par Mr Jean L'Helgouac'h, dont je vais vous faire une synthèse:

- Fouilles au pied du menhir:

Aucun résultat.

- Fouilles et décapage autour du monument

Ce travail laisse apparaitre qu'il existait un monumental complexe de péristalithes ( des pierres étaient dressées et permettaient de maintenir la terre et les pierres du tertre autour de l'allée couverte) ce qui permet d'imaginer le gigantisme du monument à la fin de sa construction. Ce type d'architecture est préservé et encore visible autour du Dolmen en V de Ty ar Boudiged de Brennilis (29).

Ont été retrouvés:

  • 4 instruments de pierre biseautés aux 2 extrémités.
  • 1 beau grattoir de silex.
  • Des tessons de l'Âge du Bronze.

- Fouilles de l'entrée (2 m en face de l'entrée)

Ont été retrouvés:

  • Des rognons de silex.
  • Des tessons de toutes époques.
  • Un amas de Patella (coquillage) dans le blocage d'un orthostate.
  • 1 fragment de poteries Néolithique et 1 fond plat d'un vase de la même période. (Fond plat = Fin du Néolithique).

Les tessons de poteries datant du Néolithique retrouvés sur ce site sont de style Crech Quillé (St Quay Perros).

- Fouilles de l'entrée "châtière"

Ont été retrouvés:

  • 1 fond plat entier de 92 mm de largeur, rose.
  • Des fragments de fond plat.
  • Plusieurs fragments de vase à fond plat (rebord et fond) rose et noir à l'intérieur ou brun-noir.
  • Le haut d'un grand vase à la pâte grossière.
  • Des éclats et rognon de silex.
  • 1 pointe de flèche tranchante avec retouche.

- Fouilles de la Chambre Principale ( 9 m 50 de long)

Les fouilles y ont été assez décevante d'après les écrits que j'ai pu retrouver, car l'espace avait déjà été vidé et reremplit.

Dans la première moitié de la chambre, ont été retrouvés:

  • Quelques fragments de poteries Néolithique; la terre ayant été mélangée, tout y était déplacé de sa place d'origine, avec un gros tesson de vase moderne au milieu de tout cela.
  • Au centre, un beau foyer, permet d'imaginer l'occupation du site en tant qu'abri.
  • Les restes d'un dallage au sol.
  • Des tessons de l'Âge du Bronze ainsi que d'autres modernes.
  • 1 fond plat Néolithique.
  • Des fragments de rebords d'un vase de la même période.
  • Des fragments de bouteille à collerette.
  • 2 lamelles de silex dont 1 blond.
  • Un fragment du rebord d'un vase simple.
  • 1 morceau d'un énorme fond plat.
  • 1 perle de quartz présentant une perforation biconique.

- Fouilles de la deuxième partie de la chambre principale

Ont été retrouvés:

  • 1 très gros tesson de vase Néolithique brun.
  • 1 magnifique pointe de flèche de silex retouchée sur une face (qui pose questions).
  • 1 beau fragment d'une coupelle à fond plat rouge.
  • Les restes d'un pavage.
  • 1 petite bouteille à collerette intacte et magnifique haute de 180 mm, retrouvée entre deux dalles de pavage, dont la pâte est orangée.

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

  • 1 gros tesson épais rose.
  • Des tessons de l'Age du Bronze.
  • Des fragments de fond plat.
  • Et 2 superbes galets aménagés, semblables à des outils retrouvés sur l'île de Thinic (St Pierre de Quiberon) et à la Pointe St Gildas (Loire- Atlantique), qui à mon avis seraient peut-être des percuteurs...

Malgré l'absence de charbon de bois que l'on aurait pu dater grâce au carbone 14, la présence de poteries à fond plat et de la bouteille apporte un indice le monument était utilisé à la fin du Néolithique.

- Fouilles de la Cellule terminale

Il s'agit d'un endroit qui est longtemps resté à découvert et qui a été soumis à rude épreuve par les fouilles sauvages. C'est pour cela qu'ont été seulement retrouvés:

  • Quelques tessons de céramiques semblables à ceux retrouvés dans la chambre principale.
  • Mais, couchée sur le côté, une magnifique bouteille à collerette, haute de 156 mm, presque entière ( il manque une partie du goulot et un morceau de panse) qui a survécu aux aléas du temps et nous offre une superbe vision de ce que les premiers artisans pouvaient faire. A droite de l'image, celle de gauche étant celle retrouvé dans la chambre funéraire:

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

Après l'énumération des artefacts retrouvés sur place, je vais vous parler de ce qui est pour moi le réel trésor de ce lieu. Ce que nos Ancêtres nous permettent d'admirer chaque jour, et ce qui ne lasse pas mon imagination débordante: les splendides gravures de Prajou-Menhir.

* Dans un premier temps je remarque dans la chambre funéraire, quelques "protubérances" sur 3 orthostates différents, qui ne me paraissent pas naturelles, et dont la signification, malgré mes recherches, restent une énigme pour moi. Peut-être faisaient-elles parties d'un complexe de gravures aujourd'hui disparues?

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Sorte de mamelon unique.

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Il faut se faufiler dans une chatière afin d'accéder dans la chambre terminale où les gravures sont impressionnantes et plus "interprétables", selon bien sûr mes recherches et mes hypothèses propres. Je dirai donc que ce qui suivra n'engagera que moi. C'est accroupie, que j'admire ces gravures qui ont traversé plus de 4 000 ans. Et je profite du sentiment de me trouver dans une sorte de sanctuaire presque inquiétant.

* Dans un second temps, je me pencherai sur les deux paires de "seins", si elles en sont la représentation...

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Deux paires donc, une plus petite que l'autre, l'une à côté de l'autre. Ce qui me rappelle de suite celles que j'ai photographié dans l'Allée Couverte de Mougau Bihan à Commana, elle aussi riche de gravures.

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Mougau bihan, Commana (29)

Ce genre de représentation est relativement courante dans les Allées Couvertes d'Armorique.

Une hypothèse parle d'une représentation de la déesse mère, tant mise en avant depuis le début des études de ces monuments. Ici il s'agirait donc de la mère et de la fille, symbole de fécondité et de fertilité. Une interprétation que je trouve séduisante.

Dans un monde ou la démographie explose, où la terre nourricière féconde et fertile apporte de quoi nourrir les hommes, comme les seins d'une mère nourrissent l'enfant. Il est clair que les seins sont synonymes de réconfort et que le défunt en aura bien besoin dans le monde qui l'attend.

* Sur la dalle de chevet apparaissent encore des gravures que j'interpréterais comme étant un peu plus virile. (En haut de l'image).

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

Voici donc ce que l'on nomme 2 "idoles" ou "écussons" entourant une pointe de lance.

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La taille de la gravure est importante car elle prend presque toute la dalle de chevet.

La" pointe de lance", représente pour moi, l'aspect guerrier, le pouvoir d'ôter la vie aux vivants. Ce qui pourrait nous amener sur les chemins sinueux des guerres ou des violences de l'époque. Je n'en ferais rien, et je laisse le sujet aux personnes qui se penchent depuis longtemps sur cette énigme.

On retrouve le même style de représentation à Mougau bihan, cependant la forme est un peu différente.

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"Poignard à soie" de Mougau Bihan.

Une chose est sûr, l'aspect Méditerranéen de cette arme n'est plus à démontrer, prouvant ainsi une influence venant certainement de la mer.

Je dirais simplement que cette représentation m'inspire: virilité, masculinité, force, pouvoir et peut-être même patriarcat...

Les écussons eux, ont longtemps été interprétés comme une représentation féminine, cette déesse mère que l'on aimait tellement mentionner. Culte certainement mis en valeur au néoltihique et qui a peut-être été un peu mis de côté avec la fin de la période et l'apparition des métaux.

La lecture de "Désirs médusés" des très respectables archéologues Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres, apporte une question : Pourquoi représenter une femme comme cela alors qu' au regard d'autres gravures, nos ancêtres nous prouvent leur capacité et leur habilité à créer des représentations moins schématique? De plus l'attribut sexuel devrait être mis en valeur... Ce qui n'est pas le cas dans c'est deux écusson là.

La question reste donc ouverte.

Des cupules entourant l'intérieur des écussons posent également question. Pourquoi et que représentent-ils? Ont-ils une valeur symbolique ou représentative? Il est rare de retrouver cela, même si ces écussons sont monnaie courante dans les Allées Couvertes d'Armorique. Je donne ma langue au chat.

* Cependant, sur une dalle aujourd'hui disparue et remplacée, a été relevé une autre idole qui elle porte deux cupules analysées comme la représentions des seins, qui à mon humble avis ressemblent plus à des tétons masculins ou à des yeux...( dessin en bas à droite et image du bas de l'illustration suivante). L'excroissance sur le dessus de la gravure serait une tête... Et pourquoi pas une coiffe, portée pas les personnages charismatiques? (Encore une fois, cela n'engage que moi)

Il s'agirait donc d'une représentation hyper schématique d'une femme ou peut-être d'un homme. Ce style de gravure est également retrouvé à Groix ainsi qu'à Larmor Baden (56).

L'allée couverte gravée de Prajou-Menhir, Prajoù Mein-hir à Trébeurden (22).

*Je terminerais l'analyse, en parlant de cette gravure, qui m'a le plus intriguée et que je trouve magnifique.

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Ces seins accompagnés de ce que l'on croit un collier.

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La technique utilisé est le bouchardage, nos ancêtres retiraient la pierre tout autour, mettant en relief la gravure. Serait-ce également, une représentation d'une déesse mère?

"Le culte des déesses, a été également inspiré par les stèles méridionales nombreuses, présentant une forme anthropomorphe, féminine avec parfois des seins et un collier, n'ayant jamais de bouches;  faisant partie du monde des morts, ainsi celles-ci ne pouvaient pas communiquer avec le monde des vivants..." Jacques Briard

Pourquoi parle t'ont d'un collier, qui serait sous le nombril? Mon imagination m'engage sur l'idée que ça ressemble plutôt une femme enceinte...

Et pourquoi l'avoir associé à une pointe de lance, symbole de pouvoir?

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Association aussi présente à Mougau Bihan à Commana. Tant de symbolisme dans un même endroit !

Une famille, hommes, femmes et enfants, haut placés dans cette société très hiérarchisée, reposent peut-être dans ce monument pour qui nos Ancêtres ont investit tant de matériaux, d'efforts, de temps et de croyances. Cet endroit à quelque chose de luxueux.

Ainsi, on remarque que les découvertes pendant les fouilles et l'analyse incomplète des gravures nous permettent déjà de mettre en avant deux influences de civilisations fortes avec une domination méditerranéenne, proche orientale, et par la découverte de tessons de mobilier Seine-Oise-Marne, une influence un peu plus Nordique.

Encore un endroit riche et remplis de mystères que je ne me lasse pas d'approfondir.

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Ce qui me touche réellement dans ce genre de monument sont les gravures, encore présentent depuis tant de temps. Ces mêmes estampes élaborées avec soin, rappelant les croyances si cheres aux yeux de nos Ancêtres.

Toujours là, le voeux d'entrer et de rester dans une sorte d'éternité n'est pas loin d'être exaucé.

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Sources:

  • http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1966_hos_63_2_4072
  • Gallia 1956/57
  • "Les Mégalithes, ésotérisme et réalité" Jacques Briard, Editions Jean-Paul GISSEROT
  • "Bâtisseurs de Néolithique, Mégalithisme de la France de l'Ouest" Luc Laporte et Charles-Tanguy Le Roux
  • https://www.academia.edu/1954718/Le_D%C3%A9sir_m%C3%A9dus%C3%A9 ("Le désir médusé" Serge Cassen et Jacobo Vaquero Lastres)

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