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Journal d’une femme de chambre

Par Kinopitheque12

Benoît Jacquot, 2015 (France)

Journal d'une femme de chambre-2015


BELLE DE JOUR CONTRARIÉE

La seule passion charnelle à laquelle Célestine s’abandonne laisse un jeune maître tuberculeux dans le sang. Durant tout le reste du film, cette passion sincère disparaît ou n’est pas montrée, et de l’attraction sexuelle que la jeune servante suscite auprès de tous, elle joue, s’amuse et se sert (auprès du maître, homme mûr et libidineux éconduit comme un petit garçon dans l’erreur, du cocher trouble et secret, de l’hurluberlu de voisin). Car le récit est celui d’une ascension sociale : Célestine est femme de chambre mais n’entend pas le rester. Ainsi, le tout premier plan du film, tout en présentant le personnage qu’interprète Léa Seydoux, jolie figure, belle toilette, grimpant les escaliers d’un pas décidé, en est bien la métaphore.

La réalisation de Benoît Jacquot semble emprunter à celle de Buñuel, peut-être moins cependant au Journal d’une femme de chambre (1964) qu’à Belle de jour (1967). On croit sentir cette influence lors des mouvements de caméra, quand le metteur en scène insiste par des zooms et de brusques recadrages ; par exemple sur l’humiliation d’une bourgeoise contrainte d’exposer son propre godemichet à la vue de tous (et d’abord à la vue de ses servants). Benoît Jacquot par ailleurs fait de ce premier flash-back moins un souvenir qui nous permet de comprendre « l’inconduite » dont Célestine est capable (contrairement aux deux autres flash-backs qui suivront), qu’un fantasme qui là fend la toile (l’ambiance de la scène y est presque surréaliste) et nous laisse ensuite deviner sous les conventions et la besogne du quotidien des travers et, de façon générale, toute la concupiscence des relations… Des hommes envers la jeune fille, mais celle-ci n’est pas devinée, elle saute aux yeux. Plus subtilement de la femme de chambre à l’égard de ce qu’elle ne possède pas, non pas l’argenterie ni les très chers bibelots qui font la fierté de sa patronne, mais plutôt une autre condition que celle de sa servitude, une certaine « supériorité » qu’elle ira chercher auprès de Joseph (Vincent Lindon). Belle de jour nous revient à l’esprit car, en somme, même si le fétichisme est moins fort qu’il n’aurait pu être (la tenue de soubrette, les bottes du maître, les draps du cocher), même si la dimension onirique demeure mesurée, il est toujours question de soumission et de domination.

« Elle » sadique bonne à « troncher », « lui » pervers prêt à châtrer… Célestine ne se satisfait pas de sa place, où qu’elle soit, quand elle est servante. Et lorsqu’elle approche Joseph le bourru, le comploteur, le probable assassin d’une petite Roque mais qu’importe, elle va consciemment chercher une autre forme de soumission. Plus tôt, repérée par une maquerelle, elle pleure certainement de ne pouvoir devenir autre chose qu’une vague Belle de jour, bourgeoise et putain, la femme du cocher devenu quant à lui tenancier d’un troquet à marins.

L’argent et la possession avilissent tout ce petit monde. La bourgeoisie est dépravée. Les autres soumis, condamnés à l’étouffement de leur personne. Les femmes sont humiliées, violées, à l’occasion assassinées. Sans compter la haine de l’autre que Jacquot n’omet pas. L’antisémitisme est plus discret que dans le Journal d’une femme de chambre de Buñuel. Le film, dont l’intrigue est replacée à l’aube du XXe siècle, ne se finit plus ni sur les Croix de feu ni sur les cris scandés de « A mort les métèques ». Toutefois, le réalisateur fait bien de la haine de Joseph envers les Juifs le milieu du film (vers la 50ème minute). Et personne pour se battre autrement que pour son seul et soit-disant mieux-être. De la haine entre les classes, de la haine envers autrui, les seules amours sont malsaines et mortifères. Tout y puent le pourrissement.


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