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c'est l'histoire d'une fille...

Publié le 27 mai 2015 par Dubruel

~~d'après L'ODYSSÉE D'UNE FILLE, de Maupassant

On donnait cette nuit-là Un coup de filet à la prostitution.

Soudain, je sentis un bras Sous le mien. J'eus un frisson Quand me souffla une petite voix :

-" Monsieur, s'il vous plait, sauvez-moi, Ne me quittez pas. "

Bien que fanée déjà, La fille n'avait pas vingt-cinq ans. Je lui dis calmement

: -" Reste avec moi. "

-" Oh, monsieur, merci ! "

Nous approchions du cordon de police. Il s'ouvrit pour nous laisser passer. Nous nous sommes engagés rue Condorcet. La fille m'a alors proposé :

- " Venez chez moi. Car j'oublierai pas vot' service. "

-" Hein ? ...Non. "

-" Pourquoi ? "

-" Parce que je suis marié, voyons ! "

-" Qu'est-ce que ça peut faire ? "

-" Je t'ai tirée d'affaire. Maintenant laisse-moi tranquille. "

-" Vous savez, c'te vie de fille, C'est pas une vie. "

-" Pourquoi l'as-tu choisie ? "

-" Est-ce que c'est ma faute ? "

-" Alors, à qui la faute ? "

-" J' sais-ti, moi ! "

J'avoue, ma foi, Que j'ai senti une sorte d'intérêt Pour cette fille abandonnée :

-" Dis-moi ton histoire. "

-" Voilà. J'avais seize ans ; Mes parents étaient décédés ; J' me suis mis en service près d'Issoire Chez un grainetier, M. Lenfant. Quand il m' regardait, Il avait un air curieux Et il aimait m' caresser les ch'veux. Moi, j' savais les choses de la vie. À la campagne, on est dégourdi. Et v'là qu'un jour, il veut m' prendre. Or, j' fréquentais l' beau Marcel. Les soirs, il venait me trouver. Mais v'là qu'une nuit, Mon maître, ayant dû entendre du bruit, Est monté Dans la chambre qu'il me louait. Il a vu Marcel avec moi. Ça a été une bataille effrayante. J'ai fait le signe de croix Et m' suis sauvée. Au matin, j' ai croisé des gendarmes. Y en a un, l' plus vieux, qui m'interpella :

-" Oùsque vous allez comme ça ? "

-" À Issoire, au bureau de placement. "

-" Comme ça, pédestrement ? Faites donc route avec nous. "

Comme on passait dans un bois, le vieux gendarme m' a dit :

-" Si nous allions reposer sur la mousse ? "

-" À votre désir, m'sieur. "

Et nous v'là partis. Il prend c' qui veut. J'étais honteuse. Je sanglotais. Mais j'ai point osé lui résister. Ensuite, j'ai eu faim. Il m'a offert un crouton d' pain. Puis il est parti, le lâche. Et moi, j' r'pris ma marche. À sept heures du soir, J'arrivais à Issoire. Dans une rue, des femmes sans âge Appelaient des hommes d' passage. Dans ces cas-là, m'sieur, On fait c' qu'on peut. J'ai fait comme elles et me mis À inviter les passants.

Y en a un qui m' dit : " Veux-tu monter ? " Dans la nécessité, on d'vient vite rusée -" Je n' peux pas. J'habite avec maman. " Il hésita et ajouta : " Viens-t 'en. " Il m'emmena, Fit son affaire et s'en alla Sans rin m' donner, l' saligaud !

Ensuite, n'ayant point d' sous, deux sergots M' mirent en prison. J'y suis restée huit jours de long Pendant qu'ils cherchaient qui j'étais Et d'où j' venais. J' voulais pas l' dire par peur des conséquences. Après un jugement d'innocence, On m' relâchait. Mais il m' fallait manger Et m' loger. J'ai cherché une place Mais je n' pus rin trouver, hélas, Vu la prison d'où j'venais !

Alors j'suis allé visiter Le juge Nanteuil Qui m'avait tourné de l'œil Pendant qu'il m' jugeait. Il m'a pas engagée... Mais il m'a... Bref, il m' donna Cent sous quand j' l'ai quitté Et il a ajouté :

-" Toutes les fois, t'en auras autant Mais ne viens pas trop souvent. "

Vu son âge, j'avais compris. Ça m' donna une réflexion. Je m' dis : ''Les jeunes, ça rigole, ça s'amuse Mais il n'y a jamais d' gras. Tandis que les vieux..., n'est-ce pas,... Vous voyez la ruse ! J' courais les rues à chercher mes nourriciers. Oh ! Le premier, j' l'ai pincé ! J' m' suis dit :

" En v'là un qui mord. " Il s'approcha et me dit tout d'abord : -" Oùsque vous allez, comme ça ? " -" Je rentre chez mes maîtres. " -" Ils demeurent loin vos maîtres ? " -" Comme-ci, comme ça. " J'ai ralenti le pas. Alors, il m' fit tout bas Que'ques compliments, et puis Il m'a demandé de passer un moment chez lui.

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J'en accrochais, en c' temps, Cinq ou six par jour. Puis j'ai connu un ancien président. On était ensemble tous les jours. Mais il a pas su se modérer. Il est mort peu après. Alors, j' suis venue à Paris Et... j' suis restée ici. "

Je marchais à son côté. Soudain, elle se mit à me tutoyer : -" Tu montes chez moi, chéri ? "

-" Non, je te l'ai déjà dit. "

-" Eh bien ! au revoir ! Mais, j' t'assure, t'as tort ! "


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