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FN et UMP : une nouvelle brèche à travers le conflit russo-ukrainien ?

Publié le 04 juin 2015 par Delits

En 2008, Nicolas Sarkozy se démenait, avec succès, sur le front diplomatique pour préserver autant que faire se peut l’intégrité territoriale de la Géorgie face à l’offensive russe en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Sept ans plus tard, la tonalité du discours est tout autre : en février dernier, Nicolas Sarkozy épousait le discours du Kremlin déclarant qu’on « ne peut pas reprocher » aux Criméens de « choisir la Russie » et reprenant par ailleurs l’argument du précédent du Kosovo invoqué régulièrement par la diplomatie russe pour justifier les referenda organisés en Crimée et dans les entités sécessionnistes de Géorgie.

Loin d’être le seul, nombreux sont les responsables de l’UMP à s’être exprimés au cours des derniers mois avec des accents fortement russophiles, à tel point que des personnalités comme Alain Juppé s’en sont ouvertement inquiétées[1]. Thierry Mariani ne cache ainsi pas son admiration pour le président russe : « Poutine est un exemple en termes de politique étrangère car il pense d’abord aux intérêts de son pays[2] ». De même, dans une tribune cosignée par 60 parlementaires UMP et UDI et publiée le 8 mai dans Le Figaro, Gérard Longuet et Thierry Mariani déclaraient que le boycott par François Hollande de la cérémonie de commémoration des 70 ans de la fin de la seconde guerre mondiale à Moscou serait vécu « comme une insulte et un mépris par le peuple russe ». Une tonalité de discours sensiblement proche de celle utilisée par les responsables frontistes qui ne cachent pas leur admiration pour Vladimir Poutine. Marion Maréchal le Pen déclarait ainsi qu’on « a humilié les Russes en refusant de livrer le Mistral », un argument également employé par Thierry Mariani en mars 2014 sur Twitter lors d’un parallèle entre la Crimée et le Kosovo : « La Russie n’oublie pas le Kosovo où les Occidentaux l’ont humiliée. Et nous risquons de nous souvenir de la Crimée où nous serons humiliés ».

Alors que la porosité entre l’UMP et le FN, par exemple sur les questions d’immigration et de sécurité n’est plus à démontrer, on peut s’interroger sur le fait de savoir si une nouvelle brèche serait en train de s’ouvrir sur les questions de politique étrangère à travers l’exemple du conflit russo-ukrainien et si ces prises de position sont en cohérence avec les attentes des sympathisants UMP.

Des sympathisants UMP sensibles aux intérêts russes

Portant un intérêt peu prononcé pour la situation en Ukraine (11%[3] des Français déclarent être « très intéressés »), les Français sont peu enclins à voir l’Union européenne y exercer une influence plus importante, une majorité relative (47%) souhaitant que son degré d’implication reste le même qu’actuellement (35% se prononcent pour une influence plus grande de l’UE et 16% pour qu’elle soit moindre). Si sur un tel sujet suscitant un faible intérêt dans l’Hexagone et ne générant pas de débat politique majeur, on pourrait s’attendre à un regard consensuel quelle que soit la proximité partisane des personnes interrogées, ceci est loin d’être le cas. On retrouve ainsi d’un côté des socialistes nettement plus prompts à soutenir l’Ukraine face à des frontistes plus sensibles, à l’image des dirigeants de leur parti, aux positions russes et enfin des sympathisants UMP plus indéterminés. Dans le détail, les sympathisants frontistes sont nettement plus nombreux à souhaiter une moindre influence de l’UE en Ukraine (34%), les sympathisants UMP sont majoritairement en faveur du statu quo (61%) tandis que les sympathisants PS se font plus interventionnistes (52%). De même, 65% d’entre eux aimeraient voir l’Ukraine se rapprocher de l’UE (43% de l’ensemble des Français) tandis que les sympathisants UMP optent plutôt pour le statu quo (40% contre 37% de l’ensemble des Français) et les sympathisants frontistes manifestent à nouveau leur tropisme pro russe (34% souhaitent que l’Ukraine se rapproche de la Russie contre 18% de l’ensemble des Français).

Une telle indétermination à l’UMP se traduit par une véritable hésitation sur la conduite à tenir pour l’Union européenne. Une moitié (52%)[4] se déclare ainsi favorable à une intervention plus directe de l’UE en Ukraine tandis qu’une proportion équivalente (47%) ne le souhaite pas. Les sympathisants UMP se situent ainsi entre les sympathisants PS et FN sur cette question, les premiers se distinguant par un interventionnisme largement majoritaire (69%, +17 par rapport à l’UMP) et les seconds par un isolationnisme tout aussi dominant (73%, +26 par rapport à l’UMP). Si les sympathisants UMP sont encore loin d’épouser les thèses du Front National sur la question de l’Ukraine, l’hésitation sur la conduite à tenir au sein du principal parti de droite est patente et témoigne d’une réelle audience au sein de l’électorat UMP pour un discours plus conciliant à l’égard de la Russie. En témoigne également le sentiment majoritaire à droite et à l’extrême droite que l’Ukraine constitue avant tout une zone d’intérêts de la Russie (respectivement 55% et 54% contre 50% de l’ensemble des Français) tandis qu’à gauche, les sympathisants socialistes sont plus hésitants, 31% (contre 19% de l’ensemble des Français) y voyant une zone d’intérêts de l’UE.

Une ligne de fracture au sein même de la droite, entre l’UDI et l’UMP

Si commenter l’opinion des Français à l’égard de la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est naturellement hasardeux dans la mesure où cette question ne se pose aujourd’hui pratiquement pas[5], une telle question a du moins le mérite de prendre le pouls de l’état de l’opinion sur le principe même de l’élargissement de l’Union européenne. Sur ce point sans surprise, les Français y sont opposés, et ce de longue date (dès 2002[6] donc à l’époque de l’Europe des 15, 50% des Français étaient opposés à un nouvel élargissement) : 67%[7] déclaraient en février 2014 leur opposition à une adhésion de l’Ukraine. Il est par ailleurs intéressant de noter que les clivages partisans en France sur ce sujet sont à nouveau significatifs. Tandis que les familles politiques les plus pro européennes sont divisées sur le sujet (49% des sympathisants PS, 49% au Modem et 48% à l’UDI y sont favorables), les sympathisants UMP se distinguent par une opposition nettement plus tranchée à l’idée d’une adhésion de l’Ukraine (75%), un positionnement par ailleurs bien plus proche de celui du FN (85%). De tels scores témoignent à la fois d’une certaine convergence de vue entre les sympathisants UMP et FN sur le sujet et donc aussi de l’existence d’un vrai clivage au sein même de la droite, entre les sympathisants UDI et UMP, les seconds étant sur une ligne bien plus eurosceptique.

Sur une question impliquant a priori moins de contraintes, celle d’une aide financière à l’Ukraine, les clivages demeurent similaires avec des sympathisants PS et UDI divisés mais majoritairement favorables à une aide financière (55%), des sympathisants FN presque unanimement opposés (90%) et des sympathisants UMP sur une ligne intermédiaire mais néanmoins très majoritairement opposés à l’idée (69%), signe à nouveau d’une relative porosité entre les électorats UMP et FN sur les questions de relation avec le voisinage.

En dehors de l’Europe: la tentation de l’isolationnisme

Si l’on s’intéresse à d’autres conflits dans laquelle la France a été ou a cherché à s’impliquer diplomatiquement voire militairement, la position intermédiaire adoptée par les sympathisants UMP entre le PS et le FN se confirme, bien que de manière moins évidente. Sur la question de l’intervention française au Mali, les sympathisants UMP étaient, bien que favorables, plus partagés sur le sujet (63%)[8] que les sympathisants PS (80%), se situant ainsi à mi-chemin entre les sympathisants PS et le FN, ces derniers confirmant leur refus de voir la France intervenir à l’extérieur de ses frontières (45% d’approbation). Si dans un contexte d’approbation majoritaire de l’intervention militaire française au Mali (65% des Français favorables), les sympathisants UMP ne font cette fois-ci pas preuve d’isolationnisme, ils demeurent donc toutefois moins enthousiastes que les sympathisants PS.

Il est possible de mettre ce positionnement sur le compte d’un réflexe partisan face à une intervention menée par un président socialiste, d’autant plus si l’on se rappelle de l’intervention en Libye, menée par Nicolas Sarkozy, pour laquelle le soutien, au moment du lancement de l’opération, était nettement majoritaire à l’UMP (75%)[9] et plus réservé au PS (68%), mais légèrement. Si l’on ne peut écarter cette possibilité, rappelons toutefois que lorsque interrogés en août 2013 sur la perspective d’une intervention des Nations-Unies (et non de la France) en Syrie, les proportions en termes de soutien étaient similaires à celles observées pour le cas du Mali avec des sympathisants socialistes largement favorables (76%)[10], des sympathisants UMP hésitants mais favorables (55%) et des sympathisants frontistes à nouveau majoritairement opposés (32% de taux d’approbation).

A la lumière de ces données, force est de constater une certaine porosité entre les sympathisants UMP et FN sur le degré d’implication de la France sur des théâtres étrangers. Si la majorité des sympathisants UMP demeurent la plupart du temps sur la même ligne que les positions socialistes, l’électorat du principal parti de droite s’avère toutefois nettement plus hésitant et en particulier sur la position à adopter à l’égard de la Russie et de l’Ukraine, hésitation qui témoigne d’une réelle audience au sein de cet électorat pour les prises de position formulées ces dernières semaines par certains responsables de l’UMP.

[1] Atlantico, Alain Juppé dénonce un « accès de russophilie aigüe » à l’UMP, avril 2015

[2] Pour plus de détails sur les prises de position à l’UMP, voir l’article du Monde : A l’UMP, la tentation de Moscou, avril 2015

[3] Sondage BVA/Ukraine Today, janvier 2015

[4] Sondage BVA/iTélé/Le Parisien/Aujourd’hui en France, février 2014

[5] La plupart des responsables européens n’y sont pas favorables à l’instar d’Angela Merkel qui a rappelé en marge du sommet de Riga le 22 mai 2015 que le Partenariat oriental ne constituait pas « un instrument d’élargissement de l’Union européenne mais de rapprochement avec l’Union européenne ».

[6] Sondage CSA/Marianne, décembre 2002

[7] Sondage Ifop/Atlantico, février 2014

[8] Sondage Ifop/Sud Ouest Dimanche, janvier 2013

[9] Sondage Ifop/France Soir, mars 2011

[10] Sondage Ifop/Le Figaro, août 2013


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