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Pile ou face

Par Tsilia
Pile ou faceLa vie, c’est à pile ou face.Pile, tu nais du bon côté de la planète. Face, tu nais du mauvais côté.
Et, sans vouloir juger personne, je crois qu’on ne se rend pas bien compte de la chance de vivre du côté pile tant qu’on n’a pas vu le côté face du Monde.
Tu sais, ce côté face dont on parle à la télévision aux informations du soir. C’est loin, très loin de chez nous, alors on regarde les images à l’écran, on s’affole 5 minutes, on jure sur l’injustice du Monde, on tape du poing si on est d’humeur rageuse. Et puis on zappe.
Oui, je suis dur avec l’être Humain, tellement humain qu’il détourne les yeux et continue de se plaindre de sa vie alors qu’il a tout. Mais quand on a tout, c’est un peu comme quand on est con, on ne s’en rend pas compte.
Je ne dis pas que je suis différente, ni que je suis meilleure. Juste, j’ai vu le côté face. Je le vois tous les jours. Et j’apprécie chaque jour un peu plus la chance que j’ai d’être venue au Monde du bon côté.Je le vois tous les jours ce “mauvais” côté du Monde, mais je ne vous l’ai jamais montré. Pas que j’ignore ce côté, non loin de là, c’est juste que moi, si j’étais pauvre, à gratter le sol pour sauver un bout de pain, à vivre dans une maison de carton ou de tôle, à devoir faire mes besoins dans un trou, je n’aimerais pas qu’on me prenne en photo.
Alors ce côté face je le vois, je l’imprime dans ma tête, il s’imprime de lui même d’ailleurs. Mais je n’arrive pas à le prendre en photo, par respect pour Eux. Parce qu’il y a toujours des gens partout et que ça ne se fait pas, tout simplement.
Mais voilà, ça fait déjà plusieurs fois qu’on me demande de voir cet autre côté de Djibouti. Et mon Homme, l’autre fois, s’est rendu dans un de ses quartiers pour son travail. Il a ramené quelques photos.

Pile ou face Pile ou face


C’est ça, le vrai Djibouti. Pas celui des hôtels de luxe que nous fuyons tellement nous trouvons ça insultant. Mais celui des enchevêtrements de tôles et de cartons qui servent de maisons. Des chemins de sable défoncés de partout qui forment des routes. Des montagnes de déchets qui pourrissent et empestent l’air chaud. Le côté face du Monde, celui dans lequel ils vivent, ou survivent. Il s’entassent à dix, à quinze, entre 4 planches de tôle.
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Et ils le supportent, ne disent rien, ne se plaignent pas. Ils n’ont pas le temps pour ça. Ils doivent chercher de l’eau toute la journée, chercher de la nourriture, gagner quelques francs contre un travail pourri et usant en plein soleil. Les gosses font la manches sur le bord des grandes routes. Ou jouent sur un bout de sable, avec une brindille, un caillou, seulement habillé d’un long tee-shirt. Et rien d’autre.
Quand je croise des enfants, je donne des bouteilles d’eau, un bout de pain frais. Jamais d’argent car je ne suis jamais sûre que ça leur revienne vraiment. L’association pour laquelle je fais du bénévolat se situe dans un quartier comme celui là.
Et chaque fois, je me rappelle qu’ici c’est le côté face, et que moi je viens du côté pile.
Pile ou face
Rien que pour ça, je me sens redevable. C’est une question de chance et de malchance. Un hasard à la con qui nous distribue sur la planète. Je ne suis en rien responsable de tout ça. Mais à défaut de pouvoir réparer l’injustice (et là je tape des deux poings), j’essaye d’aider.
Ces photos ont une saveur particulière pour nous, car nous savons que c’est là que vit notre Hawa, femme de ménage et nounou de notre fille.
A voir ça chaque jour, à traverser ces quartiers sans y vivre, on apprend à relativiser nos propres soucis. Car peu importe le problème que nous avons, ce n’est pas pire que ça. Rien n’est pire que ça. Car ils ont les mêmes problèmes que nous, de santé, et autre, mais en plus ils vivent ici…
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Mon article d'aujourd’hui vous semble peut-être dur, réprobateur, amer, et sans foi en l’être humain. C’est possible, et c’est surement vrai en plus. Car j’ai passé la journée d’hier en réunion à l’association où je fais du bénévolat. Et le sujet principal fut de trouver plus de nourriture à distribuer à toutes nos adhérentes. A toutes ces femmes et ses enfants, ayant le VIH ou pas, qui ont un cruel besoin de vivres.
Nous avons de plus en plus d’adhérentes, et de moins en moins de nourriture. Nous avons dû réfléchir sur des critères pour dissocier les prioritaires… Entre celles qui ont le VIH, celles qui ne l’ont pas mais qui sont veuves, seule avec 5 ou 6 ou plus d’enfants, celles qui ont le VIH, qui ont déjà 5 enfants, dont la moitié atteint du VIH, et qui viennent d’accoucher d’un nourrisson atteint lui aussi…
Comment choisir ? Comment faire le choix de donner à certaines, et pas à d’autres ? Comment leur expliquer que pendant un mois elles auront quelques choses et ensuite pendant trois mois elles n’auront rien ? Comment prendre la décision quand on sait où elles vivent, qui elles sont, ce qu’elles traversent ? Comment leur dire qu’on n’a plus assez de lait en poudre pour tous les nourrissons, alors même qu’elles ne peuvent pas allaiter parce qu’elles ont le VIH ?
Alors oui, aujourd’hui, je suis amer. Et j’ai une boule dans la gorge. Qu’on ne vienne pas me parler d’OGM, de bio, d’huile de palme dans le lait des bébés, de petits pots pleins de cochonneries, de légumes pas assez beaux pour être vendu. Parce que quand tu n’as rien, tu te contente de ce que tu trouves.
Je suis surement injuste (mais je m’en fous). A chacun ses soucis et je n’ai pas le droit de décider lesquels sont les plus graves. Mais depuis que je vis en Afrique, d’abord l’Algérie, maintenant Djibouti, je vois LES VRAIS problèmes.
Alors j’ai un peu (beaucoup) de mal à entendre le reste. Et de moins en moins envie de rentrer en France.

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