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Pour sauver l’école, un espoir

Publié le 15 juin 2015 par Soseducation
Lorsque les collèges de banlieue font parler d’eux, c’est souvent à cause de la crise éducative qu’ils traversent. Illettrisme endémique, violence, communautarisme, établissements dont les deux tiers des personnels demandent à partir chaque année… Et pourtant, avec une véritable ambition, des méthodes éprouvées, et beaucoup de pragmatisme, la partie n’est pas perdue. À preuve, le Cours Alexandre Dumas, à Montfermeil, qui réussit à remettre sur les rails des dizaines d’élèves issus de milieux particulièrement défavorisés. À son ouverture en 2012, il faisait figure d’expérimentation marginale. Depuis, il essaime dans la France entière, et la fondation qui le porte, Espérance Banlieues, suscite un intérêt croissant. Rencontre avec son président et fondateur, Eric Mestrallet, qui vient de publier avec le journaliste Harry Roselmack un livre formidable, sobrement intitulé: Espérance Banlieues.

Espérance banlieues ! Entretien avec Éric Mestrallet

SOS Éducation : Eric Mestrallet, qu’est-ce qui vous a conduit à créer une fondation éducative ?

Eric Mestrallet : Espérance Banlieues apporte une réponse, par une offre scolaire nouvelle, à un besoin qui n’était jusqu’ici pas comblé, dans les banlieues de nos villes, avec leurs particularités : difficultés sociales et économiques pouvant aller jusqu’à une grande précarité, difficultés familiales, difficultés culturelles, qu’il ne faut pas nier. La diversité des origines des habitants aboutit en effet chez les jeunes à une problématique de construction de l’identité qui peut être une vraie souffrance, voire une vraie désespérance.
En tant que citoyen, je souhaitais apporter ma petite pierre à l’édifice d’une solution car la désespérance est intolérable. Cela a commencé par la fondation d’un établissement pilote à Montfermeil car élus, associations et chefs d’établissement y voyaient un fossé se creuser avec la jeunesse. A la rentrée 2012, nous avions une dizaine d’élèves ; nous sommes montés à une quarantaine en cours d’année, à 80 en 2013, et 110 en 2014. Nous avons doublé la superficie de nos locaux, mais là nous devons vraiment pousser les murs, d’où notre besoin de soutien actuel ! SOS : Quelles sont vos spécificités d’un point de vue pédagogique ? EM : L’équipe de professeurs est présente sur de longues plages horaires, puisqu’en dehors des cours, ils surveillent les récréations, prennent leurs repas avec les élèves, encadrent les heures d’études… Ainsi, l’enfant a la possibilité de voir l’adulte sous différentes facettes, ce qui le rend proche, et aimable. On sort de l’opposition entre celui qui sait et l’enfant.
Le fonctionnement même en tant qu’école indépendante octroie la liberté au directeur d’école de recruter le corps professoral. Nous avons la joie de n’avoir parmi les professeurs que des volontaires qui viennent réaliser leur vocation éducative.
Autres points importants: les petits effectifs des classes qui permettent de s’intéresser individuellement à chaque enfant et de l’aider à se construire dans tous les volets de sa personnalité. Travail en équipe, pragmatisme dans le choix des méthodes et des programmes, goût de l’innovation pour mieux s’adapter, voici quelques éléments constitutifs du succès Le résultat est là : les enfants reprennent le goût d’apprendre, se projettent, voient leur projet professionnel se former. De futurs hommes et femmes debout ! SOS : Pensez-vous que votre modèle soit répliquable ailleurs, voire généralisable ? EM : Bien sûr, car ce modèle d’école est d’abord caractérisé par ses choix éducatifs et pédagogiques et qu’il est économiquement peu coûteux. La demande existe ailleurs, nous sommes considérés par des maires de droite comme de gauche comme un facteur d’intégration d’une population qui a tendance à s’exclure du système. Une quinzaine de projets est en développement, aves des parrains prestigieux, tel Harry Roselmack avec qui j’ai écrit ce livre, ou Thierry Marx à Asnières par exemple. D’autres souhaitent parrainer notre développement, mais si nous notons un intérêt grandissant pour nos projets et une vraie dynamique auprès des enseignants volontaires pour nous rejoindre, le principal frein que nous rencontrons reste le financement : les frais de scolarité (75 euros / mois par enfant) ne couvrent que 20% de nos charges réelles. Si les pouvoirs publics, tout en respectant nos spécificités, nous aidaient à répondre à notre mission qui est une mission de service public, nous pourrions tout à fait d’ici quelques années avoir 100 ou 200 écoles Espérance Banlieues, c’est-à-dire 25 000 élèves qui retrouvent le goût d’apprendre, et sont fiers de leur pays qui leur permet d’accéder au monde adulte. Toutes les institutions locales, mairies, collèges, préfets de l’égalité des chances, saluent notre contribution au mieux « vivre-ensemble ». Nous sommes en fait une œuvre complémentaire. SOS : D’après cette expérience, quelles seraient alors les inflexions à donner au reste du système éducatif ? EM : Deux points m’apparaissent essentiels: s’intéresser à l’enfant « réel » et non à un enfant théorique qui serait le même partout en France; redonner à chacun des membres du triangle éducatif (parents/professeurs/enfants) leur juste place avec bon sens et sans idéologie pour que chacun soit respecté dans son rôle. 

On n’aborde pas l’instruction de la même manière avec un enfant au centre de Paris et en banlieue. Il faut prêter attention aux spécificités de chaque enfant, et donc rompre avec cette approche monolithique de l’éducation qui s’est développée sous tous les gouvernements de la Vème République. Il faut, aussi, associer les parents qui restent les premiers éducateurs de leurs enfants. Ce sont eux qui confient une délégation aux professeurs pour qu’ils transmettent leur savoir à leurs enfants. Cela nécessite une profonde cohérence, et beaucoup de discussion. Nous l’incarnons dans nos écoles lors de l’attribution d’une sanction, positive ou négative, qui est communiquée à l’enfant par les parents aux côtés du directeur. Il est donc toujours demandé aux parents d’adhérer au projet pédagogique de manière volontaire et non par défaut. Dans ce projet, le professeur est le dispensateur d’un savoir à acquérir; à travers d’un certain nombre de rites et de rythmes il donne aussi progressivement à l’enfant les clés du monde adulte : lire, écrire, compter, apprendre l’histoire principalement…et aussi devenir membre d’une communauté nationale où chacun trouve sa place et a plaisir de servir.


Pour sauver l’école, un espoir

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