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La Miséricorde (inédit), de Jean Raspail

Publié le 23 juin 2015 par Francisrichard @francisrichard
La Miséricorde (inédit), de Jean Raspail

Dans sa collection Bouquins, les éditions Robert Laffont ont eu la bonne idée de publier en un volume six romans de Jean Raspail. Or, parmi ces six romans, il en est un qui est inédit, inachevé, situé "en lanterne rouge" du peloton. Il s'intitule La Miséricorde.

Pour les cinq premiers romans - Le Jeu du roi, Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, Qui se souvient des hommes..., Septentrion, Sept cavaliers... -, je me contenterai de faire appel au préfacier de leur réédition. Il dit très bien quelle idée fixe anime l'auteur tout au long de son oeuvre romanesque, laquelle ne se résume d'ailleurs pas à ces six titres rassemblés sous le titre plus général de Là-bas, au loin, si loin...

Dans sa préface, pour caractériser cette idée fixe, Sylvain Tesson emploie l'expression de "désagrégation de toute chose sous la roue de l'Histoire". Devant cette désagrégation, il expose le comportement original, dépourvu de nostalgie, inventé par Raspail: "Il a choisi de veiller sur les ruines. De se faire leur serviteur. Il ne s'agit pas là de les réédifier, d'appeler à leur Restauration. Il s'agit de se tenir au chevet de l'agonie, comme une bonne fée penchée sur un mourant."

Puisque c'est une idée fixe, on la retrouve bien sûr dans La Miséricorde, ainsi que le comportement qui va avec. Ce livre singulier n'en mérite pas moins d'être aussi connu que le sont ses cinq prédécesseurs. Qu'il soit inachevé ne doit en effet pas en décourager la lecture. Au contraire. Peut-être n'en est-il que plus précieux. Peut-être en est-il mieux ainsi.

Jean Raspail dit dans son post-scriptum: "N'est pas Bernanos qui veut". Sans doute. Mais n'est-ce pas, de la part du romancier, et grand voyageur, excès de modestie? Il semblerait plutôt que toute fin d'un tel ouvrage est indicible, que le livre tel qu'il est se suffit à lui-même et que la Miséricorde divine doit demeurer, de toute façon, une question ouverte, sans réponse...

Au début des années 1950, le curé de Bief, Jacques Charlébègue, a commis un double crime, monstrueux. Il a assassiné sa maîtresse enceinte de lui, a arraché de son ventre l'enfant qu'elle portait pour la baptiser, s'est acharné sur les deux visages de la mère et de l'enfant, pour les défigurer...

En 1960, Mgr Anselmos le nouvel évêque de Nivoise, dont dépend la paroisse de Bief, au contraire de son prédécesseur, Mgr Perrin, ne veut pas ignorer les appels à l'aide épistolaires de Jacques Charlébègue, qui occupe la cellule 25 à la prison de Clermont-Nivoise et porte le matricule R/1042.

En 1954, Jérôme des Aulnais, jeune avocat, a été l'assistant du bâtonnier H. qui assurait la défense de Jacques Charlébègue. En 2001, il se trouve dans la petite ville de X., à une quarantaine de kilomètres de Périgueux.

Lors d'une visite touristique de l'ancienne abbatiale Saint-Saturnin, devenue église paroissiale, bien involontairement, lui qui ne s'est pas confessé depuis quarante ans, est pris dans le mouvement des nombreux pénitents que reçoit le père Jacques en confession, tous les jours de 14 heures à 18 heures.

Le père Jacques officie dans "un vieux confessionnal, un vrai, rescapé du vandalisme clérical des années soixante et soixante-dix, en bois sombre ornementé, la petite cabine du prêtre au centre, fermée par une porte à barreaux serrés qui ne laissait rien voir de l'intérieur, et les deux cellules des pénitents, de chaque côté, dissimulées par un rideau opaque qu'il fallait écarter pour entrer".

Quand arrive son tour de déposer son paquet, Jérôme des Aulnais entend la voix du prêtre et est intensément surpris. Car, cette voix, même altérée par l'âge, il la connaît. C'est celle du curé de Bief, telle qu'il l'a entendue quarante-sept ans plus tôt à la cour d'assises de Bordeaux...

Dans Le journal d'un curé de campagne, Georges Bernanos écrit: "Le mauvais prêtre est un monstre. La monstruosité échappe à toute commune mesure. Qui peut savoir les desseins de Dieu sur un monstre? A quoi sert-il? Quelle est la signification surnaturelle d'une si étonnante disgrâce?"

Ce passage, cité par Jean Raspail, résume bien les questions que pose la monstruosité de ce prêtre, qui n'est plus le même longtemps après. La Miséricorde peut-elle s'étendre à un tel monstre, que Mgr Anselmos tente pourtant de comprendre quelques années seulement après ses crimes de sang? Il s'adresse alors à son vicaire général, l'abbé Jacquelein, en ces termes:

"L'abbé Charlébègue aurait pu quitter sa paroisse, s'enfuir avec la jeune fille enceinte, s'établir quelque part, inconnu chez les inconnus, travailler. Vous savez aussi bien que moi que l'Eglise ne l'aurait pas totalement abandonné. On s'efforce de reclasser les prêtres défroqués, qui sont sans armes contre l'existence. On limite leur déchéance. Mauvais prêtres, on les aide à devenir des hommes dignes. C'est cette dignité au rabais que le curé de Bief a refusée. Par amour et par crainte de Dieu, il a tué, pour tenter d'effacer aux yeux des hommes la faute d'un prêtre de Dieu."

Francis Richard

Là-bas, au loin, si loin..., Jean Raspail, 1172 pages, Bouquins Robert Laffont


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